Algérie

Invoquer Novembre pour sortir de la crise



53 ans après le 1er Novembre, l'Algérie va mal, très mal.

La corruption, le clientélisme, le parasitisme, le trucage des votes, les trafics en tout genre, le piétinement des règles, ces comportements déviants qui sapent quotidiennement les fondements de la société sont tellement entrés dans nos moeurs, qu'il est vain de chercher à les isoler, à les considérer comme « anormaux » : ils sont devenus la norme, ce qu'il convient de faire pour réussir. Dans le même temps, la misère sociale et culturelle, la mendicité, l'analphabétisme, le retour des grandes épidémies, la remontée des pratiques superstitieuses, la fuite à l'étranger des cadres les plus compétents, de la jeunesse. Et, après que Boumarafi eut dit : « Qtaltu, normal », il est temps que nous cherchions l'origine de la réalité désignée par un tel vocable. Car si la monstruosité du sous-lieutenant félon paraît évidente, la responsabilité des islamistes et de ceux qui nous gouvernent depuis 1962 l'est déjà moins aux yeux d'une partie des Algériens. L'on parle de plus de 200 000 morts et de plusieurs dizaines de milliards de dollars en dégâts matériels, mais combien de vies sont brisées, d'espoirs évaporés ? Qui peut mesurer les souffrances de l'Algérie après tout ce qu'elle vient d'endurer par la faute de ses enfants ?

Nous avons perdu jusqu'à la capacité d'indignation devant les situations choquantes, et ceux qui l'ont conservée paraissent « anormaux », ne comprenant rien au monde qui les entoure. Ahmed Ath Ramdhane, un des artisans de l'Algérie indépendante, en était arrivé à dire : je déteste cette société quatre fois ce que je l'ai aimée le premier Novembre 1954.

Ce n'est pas tout : l'objet de cet article est de prévenir celles et ceux qui aiment l'Algérie : ce que nous avons vécu et continuons de subir n'est qu'un signe avant-coureur du cataclysme qui ne manquera pas de survenir dans un avenir prévisible.

Car les maux sociaux dont il vient d'être question ne sont que les symptômes, la forme apparente d'un mal plus profond dont nous ne parvenons pas à faire un diagnostic pertinent, à trouver les questions dont la réponse désigne aux yeux de tous les racines du mal. Enfermé dans un autisme suicidaire, notre pays refuse depuis des décennies de voir avec lucidité le monde qui nous entoure et les termes de sa pérennité dans l'océan de tensions qu'il représente. Même ceux que révolte l'un ou l'autre des symptômes cités plus haut ont du mal à penser le problème dans sa radicalité : pour reprendre une métaphore médicale, ils concluent à un accès de fièvre quand nous sommes devant un cancer généralisé.

L'interprétation la plus courante de la crise consiste à désigner un bouc émissaire : c'est lui, le coupable, il suffira de l'éliminer pour que reviennent la paix et le bonheur. La démarche reste même si la cible est susceptible de varier : ce sont les laïco-assimilationnistes, ce sont les islamistes, c'est les généraux, c'est la mafia politico-financière, c'est le président de la République... et dernière trouvaille : c'est le système ou encore le régime. Avec de telles analyses, la solution est tout indiquée : supprimez l'autre, mettez-moi à sa place et tout ira bien. Derrière de telles assertions, nous trouvons généralement une ignorance profonde de la complexité des problèmes du pays, et (ou) un mépris pour les Algériens, jugés indignes de comprendre les ressorts de cette complexité. L'identité du courant islamiste est dans son programme (l'application de la Chari'a) et non dans son islamité (la Cha'hada). Il situe l'origine de nos problèmes dans l'éloignement du Chemin de Dieu, et leur solution dans l'application de la Chari'a (dictée par les chouyoukhs, substituts d'Allah). Au moment où plus que jamais, notre société est appelée à faire un effort d'Ijtihad pour adapter son mode d'organisation aux contraintes que lui impose la mondialisation, les islamistes nient l'historicité des règles sociales. Au moment où regarder le monde avec lucidité, c'est-à-dire affirmer la souveraineté de la raison devient un impératif vital, les islamistes ont massivement recours à l'argument d'autorité. Ali Zamoum disait : démontre que ton point de vue est juste, et ensuite ajoute, si tu le veux, qu'il est développé dans le Coran ou par Karl Marx. La notoriété de l'auteur n'est pas un critère de validité.

L'intégrisme étatiste est en perte de vitesse depuis l'effondrement du communisme, il continue toutefois d'alimenter des illusions. L'élargissement du champ d'intervention de l'Etat est considéré comme la panacée en vue de forcer le développement, éviter la mainmise étrangère sur l'économie, réduire les inégalités sociales et la pauvreté. Pourtant, en Algérie comme ailleurs, l'Etat n'a pas tenu sa promesse, il aura été une grosse machine à gaspiller les ressources, la matrice ayant engendré les couches bureaucratiques parasitaires, un démobilisateur des énergies. Le néo-libéralisme a la cote aujourd'hui. Né de l'effondrement du bloc communiste, le consensus de Washington trouve dans la déréglementation un remède miracle aux maux des sociétés contemporaines. Force est de constater que, partout et singulièrement dans les pays du Sud, la déréglementation, loin de réaliser le développement durable, a favorisé les catégories sociales parasitaires, et la mainmise de l'étranger. Il en est ainsi parce que la régulation des sociétés humaines par des processus qui fonctionneraient spontanément une fois supprimée l'intervention de l'Etat est une croyance de la même veine que celle des islamistes. De fait, la libéralisation déchaîne des forces au pouvoir destructeur ou créateur infini, et il n'y a pas de recette pour contrôler ces forces. Chaque société doit inventer son modèle, propre à maintenir l'équilibre entre libération des énergies et maintien de la cohésion sociale. Ces quatre modes de pensée fondamentalistes alimentent l'essentiel de la vie politique dans notre pays. Au-delà de leur opposition apparente, ils ont en partage une vision manichéenne du monde, caractéristique de notre sous-développement culturel. Le débat politique qui en résulte est stérile, incapable de conduire à la résolution des problèmes réels de la société. Le drame de l'Algérie n'est pas que dans la complexité et la gravité des problèmes à résoudre, il est dans notre incapacité à les penser de façon pertinente. Sommes-nous alors condamnés à nous enfoncer dans la crise jusqu'à la désagrégation de la nation ? Au vu de l'impréparation du pays aux énormes contraintes qui pèseront de plus en plus sur lui, aucun esprit lucide ne peut aujourd'hui écarter une telle évolution. Elle n'est toutefois pas une fatalité, si nous parvenons à actualiser la promesse de Novembre 1954 et la formidable mobilisation des énergies qu'elle a suscitées. Dans ce but, nous préconisons d'appréhender l'Algérie comme lien social dont la pérennité est un combat permanent. On lira la crise comme étant l'inadaptation à son environnement de la forme prise par ce lien depuis 1962, et le projet de sortie de la crise comme l'ensemble des mesures susceptibles de réaliser son adaptation durable.






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