Algérie - Waciny Laredj


Quel parcours conseilleriez-vous pour appréhender la littérature algérienne de ses écrivains fondateurs à la jeune génération d’aujourd’hui ?
Waciny Laredj : La littérature algérienne est traversée par le français, l’arabe et la langue berbère qui s’appuie sur l’oralité. Toute approche ne prenant pas en compte cette diversité demeure limitée mais cette richesse n’a pas été pleinement assumée car la littérature algérienne reste unie par son "algérianité".
La francophone est traversée par plusieurs courants. De l’école exotique ou littérature de voyage (1830-1900) , avec Gustave Flaubert, Alphonse Daudet, Guy de Maupassant, ensuite les algériansites (1900-1935), l’école d’Alger (1935-1950) et l’école nationale ( 1950-1962), la littérature de la génération post-indépendance, avec Albert Camus ou Jean Sénac, ont permis au lecteur algérien d’accéder à cette double culture. Suivis par Mohammed Dib, Assia Djebbar, Kateb Yacine, Rachid Boudjedra, Rachid et Yasmina Khadra . A partir des années 1960, la poésie algérienne de langue arabe a vu émerger Moufdi Zakaria, Jalwah, A. Rezzagui, Zineb Laouedj, Fanni Achour et Rachida Khawazem. Les premiers romans algériens de langue arabe datent de ces années-là, avec Rih al-Janoub d'Abdelhamid Benhaddouga et l’As de Tahar Wattar. Aujourd’hui, Khallas djilali, Mustapha Faci, Bagtache Merzac et Boutagine sont à découvrir.

Quelles sont les thématiques de la littérature d’aujourd’hui ?

W. L. : La guerre continue de hanter la littérature algérienne. L’histoire est revisitée à travers des romans comme Nuits de Strasbourg d’Assia Djebbar, Le Serment des barbares de Boualem Sansal ou Calamus de Merzac Bagtache. D’autres thèmes, plus liés au présent, sont venus s’ajouter, comme l’injustice, la violence, l’amour avec, par exemple, La Vie à l’endroit de Rachid Boudjedra ou Fetwa de Brahim Saadi.

Gérard Depardieu lisant les Confessions de Saint-Augustin, le poète Kateb Yacine à la Comédie-Française , la langue algérienne s’incarne cette année à travers le spectacle vivant…
W. L. : Gérard Depardieu retournant vers une source berbèro-latine nous renvoie à notre histoire commune qu’il faut assumer pleinement. Kateb Yacine à la Comédie-Française, c’est plus que la reconnaissance d’un écrivain de talent. C’est admettre que l’histoire change et les hommes aussi. Celui qui était rebelle contre l’occupant d’hier est à la tête de toute une génération qui a produit une littérature algérienne en langue française.

Quel état des lieux pour l’industrie du livre en Algérie ?
W. L. : Il est difficile de parler aujourd’hui d’industrie du livre ou de cinéma. Toute l’infrastructure réalisée après l’indépendance s’est sclérosée dans un système bureaucratique, géré de manière catastrophique. Les problèmes de développement, économiques et politiques, n’ont bien entendu pas facilité non plus la naissance d’un pole d’édition. Aujourd’hui de petites maisons d’éditions se débattent. La distribution et la diffusion sont quasiment nulles. Les charges douanières et les taxes imposées rendent l’achat du livre impossible. Il est devenu un luxe.

Parlez-nous de votre roman à paraître Les Balcons de la mer du Nord…
W. L. : C’est un roman d’amour et d’exil. Après quatre romans sur la situation algérienne des années 90, j’avais besoin de dire la nouvelle Algérie qui se fait dans la douleur et le fracas des grandes déceptions. Mais Les Balcons de la mer du Nord n’est pas seulement un requiem d’une Algérie en pleine perdition. Il dit la perte de sens, la déception d’une vision du monde qui n’était qu’utopie éphémère. Quand la mort n’est que l’expression la plus brutale de nos incapacités et défaites face à une modernité qui a perdu son sens initial et libérateur.


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