Algérie - Actualité littéraire

Interview Alger la blanche L'Américaine Claire Messud s'est plongée dans son passé pied-noir.



Interview Alger la blanche L'Américaine Claire Messud s'est plongée dans son passé pied-noir.
Une jeune romancière américaine se penchant sur le sort d'une famille «en exil de l'Algérie française», c'est plutôt étonnant. L'intérêt de la Vie après ne tient pas cependant à ce seul exotisme. Il est dans les circonvolutions d'un récit attaché à délimiter quelques légendes familiales. Il est dans l'analyse éperdue qu'une adolescente effectue sur elle-même pour tenter de comprendre pourquoi le passage d'un âge à l'autre ressemble à un changement de nature.

Quand commencent les histoires? A quel moment commencer le récit? Sagesse, narratrice de la Vie après, a 15 ans en 1989, lorsque son grand-père tire le coup de feu qui annonce le commencement de la fin. Il dirige un grand hôtel dans le sud de la France. Il ne supporte pas le désordre. Il est le garant de la stabilité, l'ultime garde-fou, alors même qu'il représente une «erreur» fondamentale: «Dans l'épopée nationale, la famille de mon père était une faute de goût, liée, par les circonstances, non seulement à cette atroce guerre sans nom de leur patrie, mais aussi à la noire honte historique des collaborateurs de Vichy, et, de plus loin encore, aux abominables excès de l'affaire Dreyfus.»

Autour de l'adolescente: sa mère américaine, si seule, son frère handicapé, son père, Alexandre, anéanti par la tyrannie de ses propres parents. Alexandre fut le dernier à quitter l'Algérie, en 1962, accompagné du cercueil de sa grand-mère. Chez Claire Messud, née en 1966, dont la Vie après est le deuxième roman, il semble facile de compatir avec les faibles. L'ambiguïté des forts caractères l'intéresse davantage. Sagesse: «Je ne parvenais pas à décider si mon grand-père était sentimental ou sans-coeur.» Un suicide creuse un vide saisissant en plein dans le livre.

Quelle est votre nationalité?

Ça m'est une question difficile, parce que j'ai trois passeports: français, canadien, américain. Cela n'a rien à voir avec mon identité. Je ne suis peut-être pas autant française qu'américaine ou canadienne, puisque je suis anglophone surtout, mais je suis aussi bien canadienne qu'américaine, je vis aux Etats-Unis depuis cinq ans, je suis plus au courant de ce qui s'y passe, mais je suis la seule de ma famille à être américaine, uniquement parce que je suis née là par hasard. Mais cela devient de plus en plus courant d'être comme ça.

Vous faites de l'Amérique le pays du futur.

Pour le personnage du livre, l'Europe, c'est le passé. Pour moi, c'est le passé de mon père, pas le mien. J'ai habité Londres sept ans, j'adore la Grande-Bretagne, mais je ne serai jamais anglaise, ils ne me considéreront jamais comme une des leurs. Aux Etats-Unis, au Canada, ils s'en fichent. Ma tante me dit toujours: «Mais tu es française». Je ne le suis manifestement pas, je n'ai pas un accent américain mais je fais des fautes, on me demande d'où je viens. Aux Etats-Unis, personne ne me le demande, parce que tout le monde vient de quelque part.

«La vie après» est l'histoire de votre famille?

La famille de mon père est pied-noir, c'est ce qui m'a inspirée. Ils sont tous partis d'Algérie entre 1953 et 1955. Il a fallu que je fasse des recherches: une des raisons qui m'ont poussée à poursuivre ce travail est qu'on n'en parlait pas dans ma famille, ni mes grands-parents, ni mon père. J'ai écrit ce livre presque en secret, et j'avais peur. Ce livre n'est pas l'histoire de ma famille (la seule chose qui en vient réellement, c'est l'histoire de l'arrière-grand-tante sage-femme), cette histoire, je ne la connais pas bien, mais je me disais: cette guerre, ce pays, ces tourments, sont les leurs. Mon grand-père était trop âgé pour me lire, et il est mort depuis, mais mon père et ma tante ont eu l'air contents, et puis une cousine m'a écrit que le livre l'a aidée, cela m'a rassurée, j'ai eu des appréhensions en pensant à cette publication en France.

Mon grand-père, une fois à la retraite, a passé cinq ans à écrire une énorme histoire de la famille, mille pages, avec des lettres, et des photos, pour ma soeur et moi. Nous étions d'abord trop jeunes pour la lire, et puis c'était en français. Quand j'ai su que je voulais écrire ce livre, je me suis dit que je ne lirais pas celui de mon grand-père avant d'en avoir fini avec le mien. A présent, j'ai commencé son récit, mais c'est long, il existe un seul exemplaire qui se trouve ici en France, je ne peux pas partir avec aux Etats-Unis.

Est-ce qu'on peut tout transformer en roman?

Cynthia Ozick, après le Châle (évocation d'un camp de concentration, ndlr), a dit qu'elle n'aurait pas dû l'écrire, car il y a des choses qu'on n'a pas le droit de mettre en fiction. Mais, pour moi, la Vie après n'est pas un roman de la guerre d'Algérie, je ne me serais pas sentie libre de le faire, je voulais juste explorer les traces de cet héritage dans les générations qui suivent. Je crois dans l'imagination, dans le pouvoir de l'imagination, c'est une foi que j'ai. J'ai plus appris en lisant Tolstoï qu'avec les livres d'histoire. Je crois qu'il y a des vérités plus grandes que les faits. Si on s'intéresse aux individus, je ne connais pas de moyen plus profond, plus large, que le roman. Aux Etats-Unis, les mémoires sont à la mode. Mais, chaque fois que quelqu'un créé son histoire, décide de quoi y mettre, c'est un roman. Pour moi, tout est roman.


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