Algérie

Insoutenables soutenances



Rencontre inopinée avec deux amis de la fac. Evocation, bien sûr, de vieux souvenirs très vieux si l’on se met à compter, pas si vieux si on se laisse embobiner par l’adage qui prétend que l’on a toujours vingt ans. L’un d’entre nous s’est souvenu de nos soutenances de mémoire, passages ô combien émouvants, sensations d’achèvement et de libération, ouvertures vers de vagues plans de carrière, encore que l’emploi était assuré… Après, on sortait prendre un café, au Cercle des étudiants Taleb Abderrahmane, pour pousser un immense ouf et aller le soir annoncer la nouvelle aux parents qui vous félicitaient simplement : «C’est très bien. Mais qu’est-ce que tu vas faire maintenant '»
De l’évocation, nous sommes passés à la comparaison aux temps présents. Mes deux interlocuteurs, enseignants à l’université, m’ont abreuvé d’anecdotes, toutes aussi incroyables les unes que les autres, révélatrices du folklore nouveau qui s’est emparé des institutions universitaires du pays.
Exemple : un binôme présentait son mémoire. Dès la fin de l’exposé, les questions débutèrent. La mère d’un des deux étudiants descendit alors les marches de l’amphithéâtre, aidée d’une jeune parente, pour poser devant chaque professeur une copieuse assiette de gâteaux. La mère de l’autre étudiant, provoquée cela dit, en fit de même et, au bout d’un moment, les jurés durent poser les documents sur leurs genoux, leurs tables transformées en étal de pâtisserie un soir de Ramadhan ! Et le jury n’a pas réagi, demandai-je naïvement ' Mais ce n’est rien, ça, me dirent-ils.
Sachez donc que des collations sont servies pendant et après ! Qu’une soutenance peut attendre la fin des libations de la précédente ! Que les enfants sont parfois admis dans les amphis ! Qu’il arrive que des youyous soient poussés dès qu’un étudiant a répondu à une question ! Que dans un centre universitaire, des cartes d’invitation (façon mariage), ont été imprimées ! Que des fils ou filles de parvenus distribuent des objets (façon cadeau d’entreprise), «sérigraphiés» en souvenir de l’événement ! Pendant ce temps, comment font les étudiants qui vivent en cité universitaire pour assurer la fiesta ' Et ceux dont les parents attendent qu’ils les aident un jour à sortir de leurs conditions de vie déplorables ' Nous étions entrés à l’université avec le bac, mais aussi les valeurs d’une société qui nous apprenait à ne jamais humilier plus pauvre que soi…  Certes, les Algériens ont un besoin terrible et sans doute justifié de fête. Certes, ils la font à leur manière, soit très méditerranéenne, et heureusement d’ailleurs. Certes, la tradition du «pot de thèse» s’est répandue dans le monde, mais généralement dans des salles réservées à cet effet.
Mais, franchement, sans être rabat-joie, comment s’étonner qu’avec des soutenances-baklawa (ou makroute, selon les disciplines), l’université prenne l’allure d’une kermesse '


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