Algérie

Innocence



Il est difficile de dire quel est le phénomène le plus grave : est-ce le fait qu'en une semaine, on annonce que cinq enfants ont disparu, avec tout ce que cela suppose comme atrocités et drames, ou le fait que le pays se soit habitué à cette violence inqualifiable ? Car les faits sont là, dans toute leur horreur. Le kidnapping d'enfants est devenu un phénomène de société auquel plus aucune région du pays n'échappe. L'horreur s'est donc installée. Inexorablement. Elle porte des prénoms, Yassine, Salim, et d'autres, auxquels on a de la peine à associer la mort. Elle est dans les journaux, avec des photos qu'on n'a pas envie de voir, et des comptes rendus qu'on n'a pas envie de lire. Elle est entrée on ne sait comment, pour s'imposer comme un compagnon avec lequel on est obligé de cohabiter. Il y a, bien sûr, les sociologues qui tentent d'expliquer comment l'être humain le plus normal peut commettre les actes les plus pervers.Il y a aussi les psychologues qui étaleront leur science pour expliquer comment se fait la perversion dans une société où la frustration est si répandue. Il y aura les juristes qui débattront de la peine de mort, et de ses effets dissuasifs contre certains crimes. Il y aura même, en bout de chaîne, les hommes politiques qui prôneront le châtiment le plus rigoureux contre ce type de crimes et, à l'opposé, ceux qui parleront de « malades » et de « détraqués » pour parler des auteurs de ces crimes et évoquer leur irresponsabilité. Mais tout ceci ne peut occulter la réalité, ni l'atténuer. Des enfants meurent, régulièrement, dans d'atroces souffrances, après avoir subi le pire, face à un pays qui regarde ailleurs. Un pays qui a décidé de ne pas voir. De ne pas savoir.Il en a encore donné la preuve cette semaine. Alors que la criminalité prend une ampleur que le pays n'a jamais connue, les responsables algériens ont décidé de s'attaquer à la... cybercriminalité ! Bien sûr, il s'agit là d'énoncer une intention, que le pays entier oubliera dans une semaine, si ce n'est déjà fait. Des spécialistes sont venus expliquer « les dangers de la cybercriminalité, et la nécessité de déployer des efforts supplémentaires pour faire face à ce nouveau fléau ». Le ministre a défini une politique, l'expert a expertisé, des directives ont été envoyées à qui de droit. Puis, le rideau est tombé. Chacun est rentré chez soi, l'esprit tranquille. La République est sauve.Cette résignation face à un phénomène aussi grave traduit une paralysie totale d'un système politique désormais incapable d'analyser une situation de manière lucide, de proposer une démarche et de la mettre en application. Car il serait faux de croire que le pays fait face à la criminalité comme il a fait face au terrorisme dans les années 1990. Au milieu des années 1990, on peut admettre que les dirigeants du pays avaient fait des choix, et qu'ils avaient opté pour la confrontation avec un courant politique dont l'avènement leur paraissait dangereux. On peut leur reprocher d'avoir sous-estimé les conséquences de leurs choix, et de n'avoir pas réussi à maîtriser le cours des événements.Mais aujourd'hui, la situation a radicalement changé. Le pays ne fait plus de choix, contestables ou non. Il les subit. Il est paralysé, dans un monde qui évolue à une vitesse vertigineuse. Ceci est valable aussi bien dans les domaines politique, économique, social, sécuritaire ou culturel. L'agitation de surface ne doit pas faire illusion. Elle n'a aucun effet. A commencer par tout le spectacle offert par les appels répétés à la révision de la Constitution pour permettre à M. Abdelaziz Bouteflika de briguer un troisième mandat.Aller aujourd'hui à l'option du troisième mandat n'est pas un choix, mais un non choix. Cela signifiera que le pays n'a pas réussi à trouver les nouveaux consensus nécessaires pour faire autre chose, pour au moins faire face au phénomène des harraga, à la criminalité, au terrorisme, et assurer une bonne gestion des ressources financières du pays. Dans le domaine économique, le résultat est loufoque. Après plus d'une décennie d'agitations, après avoir changé les fonds de participation en holdings puis en SGP, voilà le plus célèbre ministre chargé du secteur, Abdelhamid Temmar, qui se trouve dessaisi de ses prérogatives après un constat d'échec. Il n'a ni privatisé, ni nationalisé, ni attiré l'investissement étranger, ni investi l'argent algérien à l'étranger. Le bilan de son collègue de l'énergie, Chakib Khelil, n'est guère différent. Il a mis des années à faire une loi, et des années à la défaire, pour revenir au point de départ. Faut-il parler encore d'Abou Bakr benbouzid qui a passé sa vie à réformer l'école pour finalement décider de ne plus faire passer d'examens aux élèves ?Il n'est pas nécessaire d'énumérer tous les domaines dans lesquels l'Algérie ne fait plus de choix. C'est l'ensemble de la vie sociale qui est touché. Mais quand cet immobilisme conduit à ne plus être en mesure de protéger l'innocence, symbolisée par ses propres enfants, il y a forcément des questions à se poser. Des questions, en vérité, que chaque algérien se pose, mais que le système politique ne peut plus se poser parce qu'il en est incapable.
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