Toujours El Harez. Ce fonctionnaire des collectivités locales qui
connut au cours de sa carrière d'innombrables walis, pour finir ses jours dans
un total manque de considération. Évincé de son poste, puis harcelé de partout,
il va quérir une assistance presque paternaliste auprès de son dernier
protecteur.
L'indifférence et
l'ingratitude le tiennent à la gorge.
Les essuie-glaces
souffrent à faire éjecter toute cette asse aquatique qui colonise, par grosses
ondées le pare-brise de son véhicule. Le débit pluvial étant si fort et dense
qu'il le contraint à manager sa vitesse. Un long et prudent ralenti est observé
pour le voir se situer dans un élan aérodynamique approprié à la chaussée et à
la pluie abondante. La nullité de la visibilité se trouve ainsi soutenue par
l'insuffisance de vision que le conducteur accuse dans ces conditions extrêmes
de conduite. El Harez est sur l'autoroute le menant à
quelques encablures de sa cité vers celle où Nour El hakim exerce ses hautes fonctions. Il croit, qu'aller voir
sans rendez-vous, son ancien chef est une façon de soupeser son aura. La
préméditation de son acte de faire ce voyage impromptu s'est cogitée la vielle.
Il hésitait, cependant craignant d'être frustré par un contretemps auquel il ne
s'est pas prémuni. Etre mal reçu. Encore que ce voyage s'est rendu impératif
tant que l'objet l'ayant suscité reste lié à cette attaque dont il est l'objet
de la part de son nouveau chef : l'expulsion du logement.
Le faste des
lieux est loin d'être celui des salons officiels de l'ancienne ville. Nour El hakim, à
la stupéfaction de son visiteur ; le fait attendre. El Harez
commence, alors dans cette salle d'attente lugubre et taciturne à ronger ses
ongles. Voire, il se sent rongé par une contrariété regrettable. Le temps est
une éternité. Si ce n'est cette affaire d'habitation et d'imaginer ses enfants
sur la chaussée publique qui le tiennent à la happe il n'aurait pas, se dit-il,
du venir exposer son calvaire, ignorant tout d'un probable dénouement. La
migraine le prend en mal atroce au moment où il est indistinctement convié à
pénétrer pour la première fois ce bureau. Paraissant à l'habit, égal à lui
même, Nour El Hakim ne s'efforce pas outre mesure, de
quitter son fauteuil pour saisir cette allure qu'entreprend El Harez, croyant avec répondre à une invite d'accolade. La
main du wali est tendue avec une nonchalance qui, brusquement est prise pour
une nette flagellation par le visiteur. Une immense sensation l'envahit avec
hardiesse. Il se dit, excès de fierté débordant ; qu'il doit quitter au plus
vite cette scène inhabituelle pour lui. Elle est insoutenable. L'indifférence
du wali face à son ancien collaborateur n'est pas de nature à rendre
l'expression des lieux propice à étayer l'objet de la visite. El Harez ne peut s'abstenir de demander urgemment la
permission de quitter ce bureau-mouroir. Il est aussi
vite, expédié par une ou deux questions furtives et générales, de type ; -
alors ca va ? -Comment va ? S'essayant avec
abnégation d'acquiescer à répondre affirmativement, mêlant une frêle parole
inaudible à la limite d'un balbutiement à un hochement de tête doué d'un
vaporeux sourire à fortiori sarcastique ; El Harez
scrute expressément sa montre, pour dire sans le faire, à son interlocuteur de
le libérer. Il sortit comme il y est rentré de ce bureau dans lequel il croyait
trouver une quelconque résolution à l'objet de sa visite. Navré, frustré et
fortement déçu. Le monde semble s'écrouler sur sa frêle silhouette. Sa tête
n'arrive plus à se contenir sur ses épaules. Une sorte de fourmillement,
semblable aux indicateurs symptomatiques d'une vraisemblable hyper tension.
Puis il se rappelle en saisissant d'un coup furtif toutes les scènes qu'il a
vécues dans l'intimité des coulisses de ce haut fonctionnaire. Ainsi la
pathologie de dédoublement de personnalité présagée chez son ex-patron s'est
substantiellement réaffirmée. Il se souvient de l'équivoque dans le langage
tenu face à une sommité ou à une autorité et le contrordre intimé en dehors de
sa présence.
Cette façon
d'agir, de vouloir paraitre serviable, à l'écoute,
attentif à autrui n'est en fait, se résout-il, qu'un leurre. Une tactique
d'envergure nationale. En fait c'est une mauvaise malice dissimulée sous un
sourire et une forte amabilité qui se cache derrière ce que les gens ont pris
pour une intelligence managériale. Nour El hakim virtuellement déshabillé, est tout nu aux yeux de
celui qui sait énormément de choses. Il se dit, que le jour viendra où tout
sera déballé.
Le retour
s'annonce difficile. La pluie a marqué un répit, mais la mélancolie temporelle
le gagne et l'enfonce dans une angoisse indescriptible. L'ingratitude est dans
la personne, se disait-il. Il se souvient de cet adage tant de fois rassasié dans les bureaux, que l'administration est ingrate.
L'administration la voit-il, comme une impersonnalité. C'est une chose
immatérielle. Ce sont en fait les gens qui sont censés la représenter qui
seraient à l'origine ou d'une ingratitude ou de son contraire. Là, tout un
foisonnement d'adages et de philosophie vient l'envelopper sous une kyrielle de
justifications, l'aidant à mieux ingurgiter la désillusion et l'inconsidération dont il présumait avoir fait objet. Denis
Diderot se présente à lui, comme un rappel en lui susurrant à l'oreille «Je
puis tout pardonner aux hommes, excepté l'ingratitude et l'inhumanité. ». Il
aurait aimé trouvé chez son ancien patron, au moins
une certaine note de charité. Une mansuétude. L'insensibilité remarquée,
quoique obscurément affichée, chez son vis-à-vis d'il y a un moment, ne pouvait
le laisser sans émois. Abattu et immensément désappointé, il rentra emportant
sur son cÅ“ur les ecchymoses exécrables d'une légèreté distraite personnifiée.
Comment se fait-il que ce monsieur, qui ne valait au début d'une période qu'un
infime personnage n'atteignant même pas la minuscule personnalité d'un
administrateur de campagne ou la trompe d'un sous-préfet, puisse-t-il le mettre
en sourdine lui et ses immenses déboires et vicissitudes ? Lui qui, durant
toute la présence professionnelle de ce wali, n'a pas rechigné un instant à
assumer les pires situations qu'aurait provoquées l'agissement malhabile de ce
chef d'exécutif. Le logement, ou bien la politique locale le concernant,
n'était, au commencement de l'aventure du LSP qu'une idée, utopique même dans
l'esprit de son concepteur. El Harez en a fait une
réalité. Palpable et remportant trophée après trophée de la part de l'autorité
supérieure dans le crédit du wali. De conflit à conflit avec les opérateurs,
qualifiés d'instruments d'urbanisme, il s'est, à son corps défendant créé des
adversaires, voire des ennemis. Pour la simple raison, qu'il était là ; comme
un censeur d'irrégularités. Une isolation thermique et phonique entre le wali
et autres appétences malsaines. Il était la réflexion même qui précédait toute
décision. Il veillait à tout. Au grain et au moulin. A l'assiette foncière, au
béton et au fer à béton. La distribution des quotas, le choix de terrain et la
mise en place des dossiers techniques, n'étant pas de son ressort exclusif et
attributif, demeuraient tout de même, sous son regard
attentif. Il agissait quand bien même au nom du wali. D'où cet étiquetage, qui
parfois lisible et semi-légitime encore nourri par
l'environnement gravitant par pur intérêt autour de Nour
El Hakim ; laissait choir une antipathie sur la personne d'El Harez. Il subissait le pauvre l'effroi et l'ignominie
également au nom de son wali. A cette époque se rappelait-il, il n'avait point
de vie privée. Il la consumait toute entière dans le silence ténébreux des
bureaux de la wilaya. Ses horaires de travail ne furent jamais réglementés. Ils
ne sont pas identiques à ce personnel administratif soumis aux dispositions de
la durée légale de travail. Lui, c'est une exception. Il est l'ombre pensante
du wali. C'est la lumière, éteinte ou en marche du bureau du wali, qui lui
servait de signe de départ. Nonobstant cette pesanteur, la vie lui paraissait
ainsi faite. Il jubilait à la réalisation d'un projet.
Ce sont tous ces
souvenirs, comme des éléments antidépresseurs qui viennent gaillards se
bousculer dans le peu d'espace qui lui reste dans ses cavités cérébrales. Elles
sont toutes hélas emplies de sanie, de dégout,
maintenant qu'il se ravise que tout cela ne valait pas la peine. Le remord le
perfore, le brise au moment où le souvenir l'enchaine.
Nour El Hakim,
savait la compétence avérée de son conseiller. Pour lui, El Harez
se confinait dans une belle plume, une infaillible mémoire et une prévision qui
ne se trompe jamais. Une montre supra électronique. Mais que pouvait-il faire
pour lui voilà qu'il n'exerce plus sous son autorité ? Il savait en détail le
motif génésiaque de la visite qu'avait entreprise chez lui El Harez. Intercéder en sa faveur auprès de son remplaçant
pour lui offrir, non pas une quelconque gratification, mais juste la paix et la
tranquillité. Surtout qu'il vient d'être déféré par-devant la justice, par
procédure d'urgence pour cette histoire inouïe de logement de fonction. Il
savait avec sérénité et en toute cause qu'il ne s'agissait pas là d'un logement
obéissant aux règles en usage pour ce type d'attribution. A son tour, El Hakim
gérant au peigne fin les contours de sa carrière préfectorale, il s'abstient
volontairement de vouloir prendre la moindre initiative pour apporter à son
quémandeur le moindre appui. Un coup de fil, serait, se dit-il, pris en
considération pour sa note d'évaluation. Car s'assimilant à une interférence
dans une gestion qui n'est plus sienne. Il ne veut point se mettre aussi, sur
le dos un wali houleux et trop loquace. Tout cela, croit-il serait vu d'un
mauvais angle de la part de la hiérarchie.
El Harez soupçonnait ceci. Il n'en soufflait mot. En fin
connaisseur du mécanisme de fonctionnement des cadres supérieurs de l'Etat,
leur trouille, leur désengagement vis-à-vis de leurs alliances jugées inutiles,
leur subite volte-face, le retournement de veste ; il sait imperturbablement
qu'en agissant de la sorte ils assurent leur survie et leur longévité dans le
poste occupé. Cette mythique obligation de réserve, brandie à chaque évasion
est toujours servie comme échappatoire. Seuls certains walis ou autres
responsables en savaient apprécier à juste titre la valeur intrinsèque des
hommes qui les ont côtoyés. Il ne cesse d'évoquer dans ce p'tit
café «le p'tit prince » des noms qui résonnent encore
dans les tympans des citadins. Il cite Khelifa,
Mohamed Cherif, Abdelkader, Abdelwaheb
et ferme sèchement la liste. Il ne compte pas mettre sur le livre d'or que
détient la postérité locale, le nom de ce Nour El
Hakim. L'indignité l'aurait frappé.
Qu'à cela ne tienne. En attendant de se
confronter à la barre pour cette instance judicaire à propos de son gite personnel intentée par le wali en exercice, il prépare
l'écriture de ses souvenances et se fait la promesse qu'il dira tout un jour,
dans un procès qui s'ouvrira bientôt en public. Il se fera pour ce faire
assisté, aidé, corroboré, appuyé et étayé par beaucoup de «témoins obscurs ».
Il y narrera ce qu'il a vu et entendu dans l'ombre et le silence des cabinets.
Ce qu'il a accompli par délégation et sans conviction comme actes rédhibitoires
dans l'opacité des lois et règlements. Il y sera question des liaisons
douteuses, des visites nocturnes, des préséances indéfinies, des avantages
octroyés aux uns et pas aux autres, la fusion d'intérêts occultes, les cadeaux
faramineux de fin de missions, les offrandes couteuses
et exceptionnelles à des occasions banales, bac, sixième de la progéniture etc.
Il relatera également les ordres, la personnalité, l'ossature et «l'hommerie » (rodjla) des uns et
des autres.
Arrivé à domicile éreinté, non pas par la
route, mais par cette terrible audience, il stationne son véhicule et se
rappelle avoir lu dans une chronique du jeudi ceci : «Que de cadres éteints au
crépuscule d'une vie professionnelle houleuse et atteints de traumatismes psycho-administratifs n'ont pu tenir l'équilibre aux barres
parallèles du système. Sans le savoir ou feignant de l'être, les tenants du
pouvoir n'auront été à une certaine finalité qu'un
minuscule rouage d'un mécanisme complexe. Chacun à sa tablette, chacun prépare
un morceau du dispositif qui se trame hors portée de vue et qui en bout de
chaîne finirait inévitablement par broyer ceux là mêmes qui l'ont conçu !
Voyez-vous messieurs, la fonction publique peut paraitre
comme une révolution arabe, elle vous emmène, avec votre titre de potentat dans
les méandres nauséabonds la postérité ».
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Posté Le : 15/09/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com