1ère partie
«La lutte pour
l'indépendance, c'est l'épopée ! L'indépendance acquise, c'est la tragédie.» Aimé
Césaire
Le temps des prophéties
et des mises en garde
A tous les
désenchantés amèrement déçus par un passé qui n'a pas été à la mesure de leurs
espoirs infinis. A tous ceux qui se contentent de survivre grâce à des
réminiscences mythiques, on doit leur rappeler que ce passé anobli par son
sublime idéal et par sa lutte pour l'indépendance n'a pas été infailliblement
et intégralement une épopée tel que Aimé Césaire le voyait. Le plus souvent , c'est au sein de cette lutte et de cette épopée féériques que se mit en place le terreau de toutes les
dissensions internes qui fragiliseront à tout jamais le devenir de ces pays
prétendument décolonisés : Primauté du Politique sur le Militaire , rivalités
entre l'Intérieur et l'extérieur et autres avatars de Luttes idéologiques
fratricides à traves lesquelles l'Etat deviendra un
«un fond de commerce» gangrénée par une corruption
institutionnalisée. L'économiste et journaliste Ihsane
EL-KADI dira que celle-ci «s'entend comme la mise aux enchères d'une parcelle
de pouvoir de décision , transformation d'une position
de pouvoir en marchandise , marchandisation de la décision politique ,
administrative et commerciale.» (1)
A l'aube de
l'indépendance, nous sommes en1963, assez tôt mais néanmoins prémonitoire d'un
avenir truffé d'aventurismes, lorsque Ferhat Abbas,
en parlant de ce qui allait devenir, selon ses propres termes la «République
des camarades» disait : «Quand on veut fonder un parti, il n'est pas question
de créer une catégorie de privilégiés et de super-citoyens.
Ni d'institutionnaliser une autorité parallèle», il décrira ces nouveaux commis
de l'Etat comme étant «des cadres budgétivores et profiteurs qui se
désintéressent complètement du sort des masses» auxquelles, «ils imposent
silence et mépris en faisant peser sur elles la menace» Ce sont «de nouveaux
caïds» dira-t-il. La majorité des prophéties qui ponctuaient son discours
finiront par se réaliser dans les délais les plus courts, il nous prédisait :
«Un régime policier qui arrivera à brève échéance si nous n'y prenons garde …
Un régime qui fabriquera des robots, des opportunistes et des courtisans».
Cinquante années
après ces indépendances consacrées par un cocktail d'euphorie, de chimères, de
scepticisme et de terribles appréhensions, le monde arabe las de mentir et de
sévir explose.
Le constat que
tout le monde fera à propos de ces régimes, dénoncés et abandonnées mêmes par
leurs protecteurs et anciens seigneurs du Nord qui ont conforté leurs folies,
sera partout irrévocablement identique : Un régime militaire, autocrate,
policier et répressif qui a servi toutes causes et intérêts sauf ceux des
peuples.
«La sécuritocratie caractérise bien ces régimes. Les
insurrections dans la région révèlent, pays après pays, l'état de déliquescence
des institutions politiques. Pour la plupart, ce sont des Etats objectivement
en faillite que les armées sont amenées à sauver.» (2)
N'en déplaise à
feu Ferhat Abbas, notre régime n'aura été dans
l'immédiat ni précaire ni corrodé par ses propres pratiques, bien au contraire,
contre vents et marées, celui-ci allait jouir d'une pérennité surprenante.
En analysant des
traditions politiques éculées (qui auraient dû laisser place à une nouvelle
forme de gouvernance plus éclairée) William.B.QUANDT,
qui n'est plus à présenter pour les politologues ou historiens algériens , avait dans son ouvrage sur le processus de
formation de l'élite politique algérienne (1954/1968) (3) énuméré certaines
spécificités (tares ou qualités) qui caractériseront l'embryogénèse
de ce que sera plus tard le Pouvoir algérien. On pourra déceler dans son étude
des phénomènes propres à toutes les révolutions qui expliquent sans doute les
prévisibles configurations politiques ultérieures. L'auteur fera référence à
«L'Extrême instabilité de l'élite politique algérienne durant et même après la
lutte de libération nationale. Une élite composée de nombreux «clans, factions
et cliques». Il abordera aussi les avatars d'une «Révolution qui n'aurait pas
seulement perpétué les antagonismes anciens mais aussi crée de nouvelles
sources de tension au sein de l'élite».
Mais au-delà de
ce qui pourrait apparaître dans ces essais d'anthropologie politique comme des
redondances, un phénomène assez étrange relevé par l'auteur pourrait nous
permettre d'une part , de faire la corrélation ( à défaut d'y gloser doctement)
entre la genèse de ce pouvoir et la pérennité du régime politique algérien
jusqu'à ce jour mais aussi et surtout de relever dans ce présent toujours
conflictuel les raisons de la reconduction des échecs qui sont notamment
sous-tendus par ces compromis collusoires qui ont toujours préexisté au sein du
pouvoir lui-même et qui, par une réaction en chaîne, pervertiront la société
toute entière. William.B.QUANDT, surpris par la
résultante de ces violents antagonismes politiques d'antan, rapportera
précisément à ce sujet que «le jeu de toutes ces tensions politiques et de
leurs tentatives de solution se solde par une cohésion, une stabilité accrues
de l'élite politique, plutôt que par une quelconque désintégration.» Ainsi
cette troisième remarque qui sera la plus pertinente nous amènera à y déceler
déjà dans cette matrice du Pouvoir algérien les prodromes qui feront de notre
pays ce que je qualifierai d'une «Algérie de tous les contrastes». Cet
instrument politique amoral dont nous nous sommes dotés et qui consiste à
contourner, dépasser ou résorber les conflits par des
traités pragmatiques tacites et spécieux anéantit tout espoir de véritable
changement. Il me semble aujourd'hui qu'il est aisé de se rendre compte que
c'est quasiment le même schéma qui est reconduit depuis l'indépendance,
considéré comme étant le seul modèle politique et social qui convienne à nos
humeurs, un étrange consensus que la société algérienne a adopté. Tout le monde
est conscient que d'une manière ou d'une autre, chacun aura son heure de gloire
et pourra saisir l'opportunité d'investir cette pyramide de prédations à
condition d'inhiber ses spécificités politiques, idéologiques ou morales pour
se fondre dans un magma politique qui prendra en compte et résorbera non
seulement «les équilibres régionaux» mais gérera un patchwork d'aspirations
politiques et sociales insatiables car constamment inégalitaires. Il y a lieu
d'apprécier dans cet engrenage démocratisé une forme de mobilité sociale
permanente qui se traduira par un extraordinaire dispatching de richesses et de
privilèges, un moyen de préserver une forme apparente de stabilité politique et
de progrès social.
En 1999, à son
arrivée au pouvoir, abasourdi par le piteux état dans le quel se vautrait nos
institutions, le président Abdelaziz Bouteflika, lors
d'une conférence de presse à Rimini(Italie) affirmera sans ambages : «Depuis
que je suis au pouvoir, je suis arrivé à la conclusion que l'Etat algérien
était bien pourri.» , il rajouta : «Je ne connais pas de pays au monde où la
crise morale a débouché» sur un si grand nombre de perversités et où l'Etat
national a , à ce point vacillé.» L'Etat réussira à éviter pour une énième fois
cette «désintégration» évoquée par W.B.Quandt, mais
aucune leçon ne sera tirée de ces infantilismes archaïques hormis l'installation
d'un régime ultra sécuritaire et un état d'urgence qui s'installera dans le
temps et finira par devenir une norme. Néanmoins cette corruption et cette
gabegie qui furent les causes de cette tragédie atteindront des cimes
inimaginables. Le pays allait connaître de nouveau le règne du clientélisme, du
népotisme, du tribalisme, de la gabegie et autres formes de déviances
politiques et sociales encouragées par des institutions impuissantes, laxistes
et très avisées. Lorsque le Pouvoir ne jubilait pas, il restait pantois devant
ce climat d'anomie et de festin pantagruélique auxquels prenaient part
d'anciens convives parmi les apparatchiks et de nouveaux convertis à ces noubas
hérétiques. «Pour se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible, ils ont élaboré
une corruption institutionnalisé afin de distribuer la rente à des éléments
protecteurs et des centres de pouvoir qui les aident à réprimer et à museler la
vie publique.» (4)
Cette politique
maison du «Laisser faire, laisser aller» au nom d'une paix et prospérité
précaires, ces mÅ“urs étranges qui nous donnaient une impression d'un déjà vu
considérablement amplifié ne constituaient ni un outrage ni un péril. Les
seules pudibonderies et la seule éthique vis-à-vis de lesquelles l'Etat restait
intransigeant demeuraient les sacrosaintes notions de
sa sécurité et de sa pérennité. Et c'est ce en quoi l'Etat avait toujours
excellé : Le culte de l'Interdit.
Nous assisterons
à la mise en place de pratiques plus ou moins controversées où coexistait un
désir patent de réformes avec des reflexes archaïques
minés par une politique autoritariste qui prônait et instaurait au sein du
sérail et au-delà des sphères déconcentrées de l'Etat l'uniformisation des
opinions et une allégeance servile qui ne pouvaient générer que flagornerie
destructrice.
Tout le monde
trouvait son compte dans ce «Zaouadj El-Moutaâ»
Près d'un demi
siècle après l'Indépendance, L'ancien chef du gouvernement Ahmed Benbitour ne manquera pas comme tout citoyen lambda de
relever cet extraordinaire paradoxe et dilemme, il dira : «Je ne crois pas à
l'efficacité des partis politiques aujourd'hui, car ils se sont inscrits dans
la logique du système. Leur fonctionnement n'est pas du tout démocratique, ils
ont fini par reproduire les mêmes méthodes que celle du régime.»(5). Rien
d'étonnant car en effet, tous ces microcosmes (partis politiques, syndicats,
associations, intellectuelles cooptés) satellisés autour de ce genre de régime
rentier et patrimonialiste ne peuvent subsister qu'en
qualité de forces vassales et parasitaires qui finiront par user des mêmes
moyens et se contenter des mêmes aspirations que celles du Pouvoir qui les
aurait adoubées : Durer dans la jouissance. C'est en cela que l'Algérie se
distingue des autres pays arabes et africains , à défaut de partager le pouvoir
et corrélativement à une démocratisation de la corruption , l'Etat a mis en
place un système poreux qui permet à une grande majorité de la population par
milles expédients et entourloupes , l'accès à des richesses , des privilèges ,
des opportunités ou tout simplement des droits légitimes qu'on n'aurait jamais
pu voir nulle part ailleurs, dans le monde arabe ou parmi les pays africains.
L'Algérie de tous
les contrastes
Grace à la magie de la rente et à son pouvoir fédérateur, l'Etat
a réussi à entamer simultanément deux processus d'essence antinomiques. D'une
part, Le progrès et le développement en y injectant des investissements
colossaux et d'autre part la régression par la perpétuation d'un style de
gouvernance qui capotera la majorité des politiques nationales. S'il faut avoir
l'honnêteté de reconnaitre qu'une volonté sincère, de
considérables efforts et des budgets colossaux ont été déployés dans d'immenses
chantiers de réformes plus ou moins contestés, il n'échappera à personne que
toutes ces politiques décidées en amont portaient déjà en elles mêmes
potentiellement les germes d'une inéluctable faillite, et cela pour des raisons
évidentes liées à ces machiavéliques calculs politiciens. En effet, l'Etat avait
pour ses propres raisons supprimé ou freiné l'émergence de structures ad hoc
censées garantir la transparence et la probité, sévir contre toutes les formes
de débordements et enfin assurer l'efficience et l'aboutissement de toutes les
volontés politiques que le pays ambitionnait de mettre en Å“uvre.
On ne peut pas
patauger dans autant d'opulence financière sans sombrer dans la dépravation
politique et économique après avoir préalablement commis le sacrilège de
retrancher de la république ses mécanismes fondamentaux de contrôle, de
régulation, de moralisation et de coercition :( Inféodation de la Justice. Gel des
prérogatives du parlement en matière de transparence budgétaire et autres
domaines d'intervention relatives à des problèmes
cruciaux sinon à des sujets stratégiques. Mise en hibernation de la Cour des Comptes- Immobilisme
de l'I.G.F. - Musèlement de
la Presse-Caporalisation des associations et
des syndicats…) En persistant à nier le caractère indissociable et décadent de
ce mariage contre nature que l'Etat lui-même avait crée et dont il ne pouvait
se défaire. Notre pays a été une contrée bizarre ou tout coexistait, la morale
et la licence, le droit et l'injustice, l'espérance et le désespoir. Notre mère
nourricière, ce diabolique enjeu de toutes les guerres internes, la SONATRACH a été pendant
de longues décennies l'objet d'une gestion digne des confréries secrètes.
«Le secteur
pétrolier et les revenus qui en découlent jouent un rôle central dans l'état
des relations entre les clans et les groupes d'intérêts qui composent le régime
et entre ce dernier et la société. Au nom d'un principe de souveraineté à
géométrie variable, la rente pétrolière est gérée de manière systématiquement
opaque, opacité qui permet d'assurer une redistribution inégale de la rente
entre la société en général et les composantes du pouvoir.»(6)
Il aurait fallu
l'immixtion in extremis de la DRS
pour que le peuple algérien sorte de sa torpeur et découvre que la République
avait depuis toujours précieusement rangé dans son placard à ballai les seules
institutions (Parlement, Cour des comptes, I.G.F…) habilités à préserver le
patrimoine de la Nation
de la rapine de l'Etat. On se mettra alors à ergoter sur une utopique
transparence budgétaire fondamentalement consubstantielle aux autres pouvoirs
qui étoffe l'édifice institutionnel d'une véritable République plus authentique
et plus noble que cette «République des camarades» dont parlait Ferhat Abbas. Pour des questions qui mettaient en péril les
fondements même de l'Etat et l'avenir de la Nation, et pendant qu'on s'adonnait aux razzias
et aux pillages, le Parlement, la
Cour des comptes et l'I.G.F
jouaient malgré eux à la marelle.
«Le secteur
pétrolier a constamment échappé à un contrôle extérieur au premier cercle du
régime…même les représentations politiques mises en place par le régime ne sont
pas autorisées à demander des comptes sur la gestion de SONATRACH» (7). En
2008, L'ONG Transparency International classera notre
poule aux Å“ufs d'or parmi les sociétés les plus opaques. Quant au phénomène de
la corruption, c'est devenu un sujet de fierté et d'identité nationale. Pendant
plusieurs années successives, L'indice de perception de la corruption (IPC)
dont cette même ONG se sert pour évaluer la salubrité morale des Etats nichera
notre pays parmi les plus corrompus au monde. Bien avant ces révélations autour
de la SONATRACH,
le pays barbotera béatement dans une fange de scandales financiers les uns plus
rocambolesques que les autres. (Khalifa Banque-BCIA-BNA-Poste-CNEP-Transfert
illicite de devises-Affaire de l'Autoroute- du Thon…)
Tout ce qui est à prendre sera avec une désinvolture et une sérénité inouïes
défalqué du patrimoine du peuple. Dans des conditions pareilles, il serait
incorrect de définir ces biens spoliés comme étant «les Biens de l'Etat ou de la Nation», car ces deux
concepts ne semblent pas représenter des valeurs fondamentales et sacrées pour
cette racaille qui a été mandatée pour incarner les seules institutions
auxquelles il ne fallait pas toucher. Concomitamment à ce dépeçage primitif des
richesses nationales, cette «marchandisation de la décision politique» citée
par Ihsane EL-KADI, ne manquera pas évidemment de se
mettre au service des groupes d'influence monopolistiques (Barons –
Importateurs et Industriels privilégiés. Passation de marchés contraires aux
intérêts du pays…). Ce qui créera un climat de concurrence terriblement déloyal
et installera une défiance définitive en démotivant tout esprit d'entreprise et
d'investissement national d'où qu'il eut pu émerger et qui aurait enfin
constitué cette opportunité tant espérée d'un véritable essor économique
tributaire du génie humain et des forces créatrices et entrepreneuriales
nationales. Un pays nouveau débarrassé de la malédiction de ces rentes
pétrolières qui, dieu soit loué, nous ont permis
jusqu'à présent de survivre.
Celui qui sème le
vent récolte la tempête. Un boomerang revient toujours sur la gueule de celui
qui le lance.
Il faut
reconnaître qu'il est quand même assez triste et tragique de constater que toutes
les dynamiques offensives d'ajustement ou de réaménagement législatif et
juridique que l'Etat ensemence n'ont pas été uniquement motivé par le souci de
modernisation, de progrès ou d'adaptation aux exigences d'une mondialisation
qui tend à standardiser les politiques économiques et financières mais aussi
par une tentative désespérée et urgente de contrecarrer des pratiques sociales
et économiques criminelles qui n'ont pu se naturaliser au sein de notre
écosystème politico-social que grâce à toutes ces complaisances
que l'Etat lui-même avait préalablement et sur le long terme instrumentalisées.
Bien que toutes
ces dynamiques soient louables, et comme si Dieu voulait nous punir d'avoir
trop voulu jouer aux apprentis sorciers, il s'avère parfois qu'en dépit de
notre bonne volonté nous passons notre temps à faire la navette entre charybde
et Scylla.
Devant
l'explosion de la facture d'importations parrainée par des maitres
de l'opacité et de la fraude, l'Etat enclenche le Credoc qui n'est ni
anachronique ni incongru, néanmoins, au regard de nos spécificités nationales,
il semble que cette mesure est venue trop tard car les négociants qui tiennent
notre pays entre leurs mains se sont habitués au troc qui permet à lui seul à
notre société une cadence de ravitaillement salutaire et surtout une paix
sociale.
Devant l'immense
anarchie et la corruption qui régnaient dans ces ports et aéroports qui nous
permettent de survivre, L'Etat crée des Sociétés d'Inspection avant Expédition(SIE), on le soupçonne aussitôt de vouloir
privatiser les douanes, d'amenuiser une souveraineté nationale déjà compromise
par les nationaux eux-mêmes et d'obérer le pays par des dépenses onéreuses et
superfétatoires. Véritable choix cornélien, que faut-il donc faire ? Laisser
les Algériens ruiner leur pays ou sous-traiter la sécurité et la probité en
dépensant davantage ?
Devant l'ampleur
des dégâts économiques et sociaux que les représentants de l'Etat font subir à
la nation et au peuple, l'Etat réagit en décembre 2009 par sa fameuse directive
n°3 et promet enfin de doter la nation d'instruments qui auraient dû exister
depuis toujours «La création d'un office central de la répression de la
corruption, dynamisation de la
Cour des comptes, de l'inspection générale des finances (IGF)
et de la Banque
d'Algérie, révision du code des marchés publics»
Suite à cela, et
bien évidemment toujours dans le but d'instaurer davantage de transparences
dans la dépense publique et renforcer la lutte contre la corruption, autrement
dit empêcher l'Etat de se voler lui-même, Le pays révise son Code des marchés
publics dont tout le monde dénonçait l'obsolescence. L'ère du gré à gré connaitra peut être enfin une période d'abstinence, hormis
bien sûr vis à vis de ces pseudo situations crucialement urgentes. Avec ce nouveau
dispositif, L'appareil productif national pourra enfin caresser l'espoir de
rentrer dans les grâces de nos omnipotents seigneurs de l'adjudication.
D'autres dispositions, ciblant comme toujours ces niches de prévarications dont
notre système économique regorgent, se proposeront de freiner ces ardeurs trop
souvent délictueuses qui consistent à recourir aux bureaux d'études étrangers
pour n'importe quelle broutille.
Enfin, toute une
batterie de guerre sera mise en branle avec une multiplication d'instances de
vigilance et de contrôle (3 commissions pour le Code des marchés publics, une
CNED (Caisse nationale d'équipement et de développement), une IGF ragaillardi,
des contrôleurs financiers omniprésents…Bref ! Que de luttes et d'espoirs !
Pour nous protéger contre nous-mêmes.
L'Etat mènera une
guerre sur plusieurs fronts, empêcher d'abord les commis qu'il aura désigné de
créer de véritables maffias administratives et économiques ,
ensuite créer de l'ordre , de la justice et de l'équité à l'intérieur d'une
économie otage de mÅ“urs immorales. L'Etat veillera aussi à empêcher que
l'investissement étranger ne convoite les innombrables opportunités qu'offre le
marché algérien sans aucunes contreparties fructueuses pour le pays et surtout
au détriment de l'appareil productif local et national.
Toutes ces fléaux
énumérés contre lesquels l'Etat part en guerre afin d'empêcher que ses propres
enfants ne bradent et dépècent leur pays. Toute cette transparence qui faisait
défaut et encourageait nos nationaux à dilapider les biens du peuple. Toute
cette démocratie participative que seuls les Partis politiques et une société
civile auraient pu promouvoir et qui n'a jamais pu éclore depuis
l'indépendance. Tout cet incommensurable gâchis, à qui peut-on l'imputer ? À la
providence, à la malchance ou à l'Etat?
Je ne voudrais
pas revenir sur ce bilan désastreux des années 1990 où l'Ensemble des cadres
gestionnaires des plus prestigieuses sociétés nationales furent envoyés en
prison. Un passé souillé par la mauvaise gestion, les malversations et la
dilapidation effrénée des deniers et biens de l'Etat. On pensait avoir enterré
le règne de la gabegie et de la corruption par le démantèlement hâtif et
expéditif de ces entreprises budgétivores et scélérates ainsi que la
privatisation de celles-ci et le désengagement de l'Etat. Hélas d'autres
réseaux et sphères maffieuses allaient prendre le relais en investissant les
autres rouages d'une bureaucrate détentrice d'un pouvoir de commercialisation
d'opportunités d'enrichissements indus. L'avènement de l'import/import, les
marchés publics, le système bancaire, les grands projets de l'Etat (B.T.P, AutoRoute, PNDA, GCA, Pêches, Energie et Mines, bref à
travers tout les secteurs où les deniers de l'Etat en monnaie nationale ou en
devises constituaient une opportunité de profits assurés pour nos institutions
véreuses.
Je ne citerai pas
les centaines d'élus et autres délinquants en col blanc envoyés en prison comme
de vulgaires chenapans pour avoir trahi la confiance de l'Etat et celle du
peuple.
Est-il possible
de tourner une page sur un passé aussi délétère pour le peuple mais oh combien
voluptueux pour nos gérants !
D'un colonialisme
à l'autre
Les nationalismes
et pouvoirs d'antan avaient besoin de mythes, de gloires, de totem et de héros
légendaires pour asseoir leur pouvoir et distraire les foules. Les sociétés de
demain tendent à évoluer vers d'autres archétypes idéologiques et ingénieries
politiques. La seule problématique devient le futur. Le seul héroïsme c'est
comment arriver à le maitriser au sein de cette
impitoyable mondialisation où chaque décennie de nouvelles puissances
émergentes se positionnent sur ce Souk mondial pour se disputer des ressources
énergétiques et alimentaires raréfiées.
Ces anciennes
colonies que nous avons été ont certes longuement et terriblement souffert de
l'abjecte et sournoise domination d'un colonialisme auquel on s'évertue
aujourd'hui à soutirer des repentances illusoires au sujet desquelles les
dirigeants de ces empires demeurent inflexibles. Néanmoins toute cette misère
indescriptible et ces souffrances innommables n'ont pas contribué à prémunir
nos peuples d'un mal plus sournois mais cette fois-ci bien autochtone, local,
national. L'Histoire est terrible et grotesque. Terrible parce qu'évidemment
ces empires que nous fustigeons n'ont jamais dérogé depuis près de cinq siècles
à cette idéologie du profit. Même après la période de décolonisation qui ne fut
d'ailleurs que tartufferie et depuis lors, pendant plus d'un demi siècle,
optant pour de nouvelles méthodes, ces anciens empires n'ont jamais cessé de
spolier, comploter, diviser et alimenter des guerres civiles et ethniques d'un
autre âge, sporadiques et intermittentes peut-être néanmoins aussi désastreuses
que des siècles de colonialisme.
Grotesque cette Histoire,
car ces propres mouvements de libération qui ont férocement combattu et tant
fustigé leurs dominateurs ont eux-mêmes succédé à leurs anciens maîtres leur
empruntant le temps d'un règne indéboulonnable, certaines pratiques aussi
abjectes et inhumaines. Il faut se résoudre à croire que le Mal absolu ne se
niche pas forcément là où on a envie qu'il soit. Les dichotomies rassurantes
dont s'était accommodé notre esprit pour caser toujours à priori les choses et
leurs contraires, le bien et le mal, le licite et l'irrationnel…relève tout
bonnement de ce système de préjugés tenaces et mythes qui ont toujours squatté
l'esprit humain. Le Mal se promène allégrement partout et se contrefiche
éperdument de ces prétendus liens de paternité, d'ethnie, de religion…L'Ennemi
n'est pas forcément l'autre. Votre compatriote, votre coreligionnaire, votre
progéniture, vos édiles, vos élus peuvent l'être d'avantage.
Le bilan
catastrophique fait par cette misérable Afrique décolonisée après cinquante
années de prétendue indépendance. Le printemps arabe fait d'humiliation et
d'espoir , d'immolations , d'auto-ratonnades
généralisées et de présidents chenapans bannis pour aller rendre l'âme dans la
honte et la disgrâce, sonnent le glas de ce mythe de la caverne cher à Platon :
Les Monstres ne sont forcément pas à l'extérieur.
Le colonialisme,
a indubitablement utilisé toutes les méthodes inhumaines et abjectes pour
détrousser et décimer le peuple algérien. Il s'est assidument
et méticuleusement attelé à mettre sous séquestre des patrimoines matériels
inestimables, à spolier des terres, à exproprier, déraciner et néantiser une
paysannerie entière qui faisait l'identité d'un peuple, il a cantonné, déporté,
exilé, torturé en masse. Néanmoins il a aussi mis en valeur des terres et crée
des richesses agricoles indéniables, évidemment pour son propre compte et au
détriment du Peuple et de la
Nation algérienne. Cela n'avait absolument rien de positif
pour nous hormis lorsque les colons évacuèrent nos territoires mais c'était
crier victoire trop tôt car une nouvelle razzia aller commencer, cette fois ci
très positive pour certains. Des dividendes post mortem du colonialisme.
On peut dire que
libérateurs/détrousseurs n'ont fait que récupérer leurs biens sans oublier de
préciser que c'étaient les biens du peuple. Une fois ce colon spoliateur chassé
de nos prairies et de nos vallées, mon frère libérateur s'est mis avec une
ardeur hors du commun à dilapider le foncier agricole et notamment la Mitidja, il s'est mis à
bétonner des terres fertiles et inaliénables en y incrustant pèle mêle usines,
pavillons, appartements de haut standing, cités dortoirs où régnera désormais
tous les maux de la terre : promiscuité, oisiveté, déchéance et révolte en
gestation. Il s'est mis aussi à piller toutes les richesses de la nation et à
placer son butin dans les banques du colonialisme auquel il quémande parfois la
citoyenneté qui lui servira de refuge peut être un jour lorsque le pays sera à
feu et à sang. Il s'est mis aussi à asservir son frère et à lui refuser
certains de ses droits (civils et politiques, économiques, sociaux et
culturels)
«Nous voici donc
en 2010, cinquante ans après la décolonisation. Y a-t-il vraiment quoi que ce
soit à commémorer ou faut-il au contraire tout reprendre ? Restauration autoritaire
par-ci, multipartisme administratif par là ; ailleurs, maigres avancées au
demeurant réversibles ; et, à peu près partout, niveaux très élevés de violence
sociale, voire situations d'enkystement, de conflit larvé ou de guerre ouverte,
sur fond d'une économie d'extraction qui, dans le droit fil du logique
mercantiliste coloniale, continue de faire la part belle à la prédation. Voilà,
à quelques exceptions près, le paysage d'ensemble. Dans la plupart des cas, les
Africains ne sont toujours pas à même de choisir librement leurs dirigeants.
Trop de pays sont toujours à la merci de satrapes dont l'unique objectif est de
rester au pouvoir à vie» (8)
Tel était
globalement le bilan unanime qui a été dressé au sujet d'une gouvernance
africaine désastreuse, un schéma type auquel tous les régimes arabes
s'identifiaient. Ce mea-culpa continental a eu lieu avant la révolte des pays
arabes. Bien évidemment, s'il n'a ya pas lieu de
comparer les exactions commises par l'empire colonial (génocides, esclavage,
travaux forcés, torture, guère civiles interethniques…) Il n'en demeure pas
moins que nous avons non seulement sciemment négligé, marginalisé, exclu des
pans entiers de nos sociétés en les dépouillant de leurs droits fondamentaux ;
mais pire encore nous avons, par des politiques de pillage de nos propres
richesses, de razzias et de gouvernance irresponsable, hypothéqué la sécurité
alimentaire et énergétique ainsi que la prospérité et le développement des
générations futures.
A suivre
*Université-Mostagnem
Notes de renvoi :
(1) Ihsane EL-KADI «Corruption et stratification sociale en
Algérie «Revue NAQD N°25, Automne/Hiver 2008
(2) Le Monde
Diplomatique, Mars 2011 «Les armées, le peuple et les autocrates» S.Kawakibi et B.Kodmani
(3)W.B.Quandt , «The Algerian Political system». – These, Massachusetts Institute
of Technology, June 1968
(4) Journal El-Watan du 16/02/2011 «Les régimes arabes ont passé des
années à spolier leurs pays»
Analyse de Salam Kawakibi ,
Directeur de recherche à Arab Reform
Initiative. Propos recueillis par le journaliste Hacen
Ouali
(5)Journal El-Watan du Samedi 04 Septembre 2010
(6)-(7) Omar
BENDERRA, «Pétrole et Pouvoir en Algérie. Les avatars de la gestion de la
rente. «CONFLUENCES Méditerranée- Numéro 53 ? Printemps 2005
(8) Courrier
International du 01.04.2010, Achille Mbembe
(Essayiste camerounais, auteur de plusieurs ouvrages sur la postcolonie,
est professeur d'histoire et de science politique à l'université du
Witwatersrand, à Johannesburg, en Afrique du Sud. Il enseigne également à l'université
Duke, aux Etats-Unis.)
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Posté Le : 30/06/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohammed Mazouzi*
Source : www.lequotidien-oran.com