Publié le 28.10.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
Par Abdelali Kerboua
Le premier du mois de novembre prochain, l’Algérie va célébrer le soixante-dixième anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale, à l’initiative d’une poignée de jeunes révolutionnaires épris du sens de la liberté et de la justice et rapidement épaulés par la majorité du peuple algérien, après la longue nuit coloniale de déni de l’existence du peuple algérien réduit au statut dégradant de l’indigénat, et ce, par l’imposition du fait colonial par la force excessive et destructrice du moi national algérien, à travers une négation systémique par le colonialisme français de l’identité du peuple algérien, fruit d’une accumulation anthropologique millénaire. En ces temps de halte mémorielle hautement significative, le discours politique est nettement centré ces derniers temps autour du concept de souveraineté nationale comme corpus doctrinaire immuable de l’Etat algérien inscrit dans un processus inlassable, progressif, non linéaire, fortement chahuté par une menace de haute intensité dans les années 90 du siècle passé, mais toujours d’actualité dans la quête permanente de construction de l’Etat national algérien, comme aboutissement ultime de la Révolution de novembre dont le souvenir toujours vivant se rappelle à notre mémoire collective d’Algériens le 1er novembre de chaque année. La souveraineté nationale se construit avec patience et persévérance et, à la base, c’est un concept multidimensionnel qui impose la consolidation, dans le temps, de tous les facteurs le composant et le mettant en œuvre sur le double plan stratégique et opérationnel, tant il est vrai que ses répercussions, non perceptibles au premier abord, touchent au quotidien de l’Algérien. Parler de souveraineté nationale, c’est parler de l’Etat national souverain de l’Algérie indépendante.
La construction de l’Etat national est toujours en cours et ce processus est loin d’être tracé d’avance, puisque marqué, à la fois, par les ambitions premières et légitimes de la Révolution de Novembre 1954 et son évocation d’un Etat social et démocratique adossé aux principes de l’Islam, d’une part, et par les vicissitudes de l’histoire du jeune Etat algérien, ayant souvent trait à la nature et aux formes d’exercice du pouvoir depuis la proclamation de l’indépendance nationale en 1962, d’autre part. C’est dire que l’Etat national algérien se nourrit de la sève de l’identité nationale, l’alimente sur le plan institutionnel et la protège, en dernier ressort, devant toutes les turbulences qui peuvent entraver l’évolution de notre pays, l’Algérie.
La problématique ainsi posée questionne le présent et surtout l’avenir de la nation algérienne, sous l’éclairage du mode de gouvernance en place qui façonne, sur la durée, les déterminants de l’Etat national souverain, dans sa combinaison dialectique entre participation démocratique de la société civile et exercice de l’autorité de l’Etat de droit, élaboration achevée de l’Etat national souverain. Il s’agit aujourd’hui de cimenter tout cet édifice en le soustrayant aux influences idéologiques anciennes issues de lectures plus ou moins biaisées du texte fondateur de la Révolution et celles, plus récentes, ayant trait à l’instauration, plus que justifiée, d’un front interne dont on n’arrive pas à définir de manière claire ni les acteurs ni les objectifs cardinaux, en dehors de la préservation de l’unité nationale.
Aujourd’hui, le concept de souveraineté est indissociable du concept de puissance de la nation. Pour autant qu’on s’entende sur le principe de puissance qui reflète un seuil critique et irréversible de défense des intérêts vitaux du pays face à l’adversité, quels que soient son mode d’expression et ses domaines de manifestation. Et souvent, pour ne pas dire toujours, l’adversité que subit toute nation va commencer par essayer d’aggraver les points de vulnérabilité, terrain propice à toutes les manipulations et aux «emballages idéologiques» les plus vendables à un moment donné. Il est de bon aloi pour simplifier l’approche de parler de souveraineté institutionnelle, de souveraineté économique et en dernier ressort de souveraineté militaire, garante du sacro-saint principe de l’intégrité territoriale, legs historique de l’histoire révolutionnaire de notre pays et des sacrifices intergénérationnels de tous les martyrs morts pour la libération de l’Algérie. Ce qui va donner corps à la souveraineté nationale, c’est avant tout la souveraineté totale sur les ressources de la nation, processus concomitant avec la construction de l’Etat national. Cela passe par une économie performante fondée sur une économie de la production qui remet au centre du processus de création de richesses la valeur travail pour bousculer de manière efficace les carcans de la mentalité rentière présente dans les politiques publiques de redistribution de la rente énergétique, propriété de l’Etat, et surtout dans la mentalité de larges pans de la société qui croient au principe du «tirer profit au maximum» s’agissant des membres plus ou moins attitrés de la nomenklatura dirigeante et ceux, moins favorisés du point de vue de l’accès aux sources de la rente, qui recourent au rôle bienveillant de l’Etat social, soucieux du bien de tous, à travers une politique très généreuse de transferts sociaux qui se concrétise de manière visible sur les étals de viande importée, de volaille importée et tout récemment par l’application du décret de plafonnement du prix du café disponible dans le commerce de détail. Cette catégorie dominante en nombre de la population met en œuvre un principe qui lui est propre et se formule par «prendre son droit de l’Etat» («Nadi haqqi mina Edouala», en langue arabe). Ces déficits chroniques concernant les produits de large consommation doivent inciter à réfléchir sur les réformes de fond à entreprendre dans le domaine de l’agriculture, pour parler sérieusement de souveraineté alimentaire dans un pays qui possède tous les facteurs potentiels pour atteindre cet objectif puisque qu’il bénéficie d’un écosystème approprié du double point de vue de l’étendue du territoire ainsi que de la diversité climatique, en dépit des aléas qu’on impute souvent au changement du climat. C’est une fenêtre d’entrée pour évoquer le triptique devenu classique de souveraineté alimentaire, de souveraineté énergétique et enfin hydrique, formant le trépied d’équilibre de la souveraineté économique et de manière plus large de la sécurité nationale. Pour assurer l’équilibre pérenne de ce trépied, nous avons besoin d’une vision à long terme du développement du pays qui puisse configurer de manière réaliste les tendances lourdes d’évolution non contrainte de l’économie nationale, en s’appuyant sur les atouts majeurs d’un pays à démographie dynamique et au stock plus que prometteur de ressources, en particulier dans leur dimension humaine. Pour cela, l’Etat doit passer d’une attitude de justification de ses actions vis-à-vis de la population, surtout au moment des crises cycliques de satisfaction des besoins populaires, à une attitude d’association organisée à la prise de décision. Ce passage nécessite une restauration de la confiance entre gouvernants et gouvernés pour aller de l’avant et pouvoir partager les bénéfices du développement mais aussi les sacrifices à consentir quand les exigences du développement national l’imposent. Pour cela, la parole de l’Etat doit renouer avec le «parler vrai», seule alternative de reconstruction de la confiance avec le peuple qui a su faire preuve de résilience face aux différentes épreuves auxquelles il a été soumis dans un passé récent. Il est du devoir de l’Etat, à travers des formes appropriées de dialogue social, de casser le carcan pesant de la «sociologie du faux» dans laquelle semble s’être enfermée la population algérienne, chaque couche sociale y allant avec ses propres «codes» d’explication d’une réalité souvent très complexe, et s’exprimant à travers les terrasses de café populaire, de cercles professionnels ou de clubs plus fermés se targuant souvent d’une proximité supposée avec les cercles influents du pouvoir, chose difficile à prouver dans les faits !
Le dépassement de cet état d’esprit général relevant de la «sociologie du faux» se fait à travers un travail laborieux de restauration de la parole de l’Etat de droit, débarrassé des pesanteurs pernicieuses de la rente, mal nécessaire à transformer en bien, à travers un usage qui préserve l’avenir au lieu de l’hypothéquer.
Certains signaux d’une prise de conscience sont déjà là, si ce n’est à travers la valorisation du domaine minier encadré par la nouvelle loi sur les hydrocarbures de 2020. L’Algérie se doit de tirer profit du paradoxe majeur de la rente qui lui permet de développer les ressources rentières à moyen terme pour pouvoir sortir du diktat rentier sur l’économie algérienne à long terme. Pour ce faire, l’Etat algérien ne peut plus se passer d’une vision à long terme assise sur les outils performants de la planification macroéconomique qui statue sur l’utilisation des ressources dans une démarche qui inclut les urgences du moment dans un schéma global et non qui soumet le schéma global aux urgences du moment ! Tout cela reste possible, à condition de pouvoir créer une symbiose entre ouverture démocratique sur la société et exercice serein de l’autorité de l’Etat de droit dont la construction reste à parachever. Tout cela pour dire qu’en dernière instance, le socle fondamental de la souveraineté nationale reste la souveraineté populaire, principe cardinal consacré par la Constitution algérienne en vigueur. Cette affirmation peut ressembler à l’évocation d’un slogan politique mais c’est une vérité bonne à rappeler pour s’éloigner des approches courantes qui ramènent tous les maux de notre pays au «Système» dont personne ne connaît la raison sociale ! Dans les faits, cette façon d’évacuer le débat sur les formes d’exercice du pouvoir chez nous dispensent les deux catégories de la population qui profitent, chacune à sa manière et dans la limite de ses moyens, de ce «Système» de réfléchir sur leurs propres pratiques sociales, se réfugiant souvent dans les arcanes de la tribu d’origine, de la région, voire de la ville pour les couches citadines, car cela procure un certain confort clanique qui dilue la responsabilité individuelle dans le groupe. La grande «révolution sociologique» qui nous attend est de rompre avec le lien clanique , quel qu’il soit, et de responsabiliser l’individu-citoyen, seul gage d’une société moderne équilibrée, d’autant plus qu’en tant que société musulmane, chacun sait que le Saint Coran responsabilise l’individu croyant seul devant Dieu en bien et en mal. Cette responsabilisation peut passer par la réhabilitation de la valeur travail comme contribution de l’individu au bien collectif et comme source d’émancipation individuelle par sa propre progression dans l’échelle sociale grâce à son travail, et non pas à cause des «subsides» consentis par l’Etat social.
Pourquoi en sommes-nous là à nous interroger sur ce qui serait bon à faire pour nous Algériens ? Car tout simplement, nous avons subi, parfois par choix, parfois sous la contrainte des contingences de notre histoire récente, le poids d’un système tribalo-autoritaire rentier tentaculaire «Start» qui a mis, souvent par paresse, parfois par peur, au centre de toute analyse la notion de clan, en la dépouillant de sa portée sociologique première. Cela recentre le débat sur la portée multidimensionnelle de la souveraineté nationale et son corollaire le concept de sécurité nationale qui intègre le rôle majeur des forces armées et de l’appareil sécuritaire tant les défis actuels de l’heure à l’échelle du monde semblent privilégier l’usage de la force armée. De ce point de vue-là, l’effort remarquable effectué par l’Etat dans la professionnalisation de l’ANP et sa haute maîtrise des différents métiers des armes ne peut que verser dans la consolidation de la souveraineté nationale et le parachèvement de la construction de l’Etat national, œuvre continue dans le temps, en respect de la mémoire des chouhada morts pour une Algérie libre et souveraine.
C’est un défi à la portée de l’Algérie d’aujourd’hui pour peu que les bonnes leçons soient tirées des expériences passées qui se sont illustrées par un gâchis d’un capital précieux, le temps.
Pour un pays qui comptera plus de 50 millions d’habitants en 2030, l’effet puissance pourra être daté à partir d’un PIB structurellement durable de 500 milliards $ USA. Cela ne pourrait être assuré que par une économie de la production tirant avantage de ses atouts-clés en comparaison avec des économies similaires. Et ils sont nombreux, Dieu merci. C’est le meilleur hommage posthume à rendre à nos valeureux chouhada et aux bâtisseurs de l’Algérie indépendante, ceux pour qui le patriotisme était une attitude de vie et non un slogan creux. Que dire comme mot de la fin ? It’s time to leave the «start» and to restart on new basis with new rules * !
A. K.
* Il est temps d’abandonner le «START» («commencement en français») et de recommencer sur une nouvelle base avec de nouvelles règles !
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Posté Le : 30/10/2024
Posté par : rachids