Par Mezari Lynda(*)
Une évidence d'abord. Par l'effet de l'amnistie décrétée par la «charte pour la paix et la réconciliation nationale», les meurtres et les massacres perpétrés pendant la décennie noire qu'a connus le pays sont désormais considérés comme n'ayant jamais eu lieu. Cette amnistie comprend effacement des crimes, arrêt des poursuites, et extinction de la peine, quelle que soit la gravité des faits reprochés à leurs auteurs, etc. L'histoire a pourtant montré que la paix ne pouvait être bâtie sur l'impunité ! C'est un réel cheval de Troie qui intoxique, voire qui empeste toute 'uvre et/ou tentative d'apaisement.
Une question s'impose avec toujours autant d'acuité : comment se reconstruire psychologiquement quand le criminel n'a même daigné reconnaître ses torts ' Comment, tout compte fait, peut-on parler assez souvent des familles victimes de terrorisme, plus précisément de celles ayant bénéficié d'indemnités, alors que l'amnistie générale constitue en elle-même un déni total des souffrances psychologiques qu'endurent au quotidien les familles, voire même la non-reconnaissance de leur statut de victimes ' Le traumatisme engendré par la violence terroriste en Algérie affecte plus que jamais cruellement la santé mentale des victimes et compromet et met à rude épreuve l'équilibre social. La méfiance s'installe alors, et un sentiment d'injustice peut naître naturellement chez les victimes si le pardon accordé aux terroristes est considéré comme une négation de leur tragédie. Notre expérience clinique comme psychologue clinicienne montre combien de nombreux Algériens souffrent en silence, pris en tenailles par une peur endémique et un sentiment patent. Tous ces malheurs et drames extrêmes sont aujourd'hui de naturels géniteurs de supplices et de désordres psychiques difficiles à surmonter.
Tout compte fait, les seules personnes reconnues victimes sont celles qui présentent des atteintes physiques et/ou celles qui ont perdu un des leurs. Mais il s'agit tout de même d'un calcul qui n'est aucunement valable pour les disparus et/ou les femmes victimes de viol par les terroristes, un crime d'une atrocité révoltante. Ces femmes ne seront jamais des victimes, car ce dossier semble être jeté aux oubliettes par mutisme de la société et/ou par fuite en avant des instances en charge de sa résolution. Les fondements de psychologie concèdent que seule la reconnaissance permet à la victime de sortir d'une revendication désespérée. Je dirais, en tant que psychologue clinicienne et chercheur en psychologie du traumatisme, que la reconstruction de la victime sur le plan psychique nécessite presque «mathématiquement» une reconsidération juridique. C'est une condition sine qua non. Cela passe inévitablement par la reconnaissance des faits en relation avec le viol en période de terrorisme auxquels sont associés des actes de torture et de barbarie. Cette non-reconnaissance par les autorités officielles des femmes violées et des femmes violées enceintes, fait que celles-ci deviennent des êtres introuvables qui se cachent et que l'on cache, ce qui fait obstacle à tout processus de réhabilitation psycho-sociale. Par ailleurs, cela ne cache aucunement une autre réalité aussi amère, que l'on a tenté souvent, tant bien que mal, d'occulter et/ou de jeter aux oubliettes, celle (la réalité) qui met sous les feux de la rampe le phénomène des femmes victimes de viol «en temps de paix».
Contrairement aux premières thèses qui invoquent le «calvaire» des femmes violées en période de terrorisme, cette seconde catégorie, certaines victimes réussissent à s'en sortir en dépit des difficultés rituelles sur lesquelles s'est construite la société. Nous avons tenté par le moyen d'une recherche universitaire de répondre à une question, dont l'importance est, bon gré, mal gré, prépondérante, laquelle interrogation engage souvent la destinée des femmes violées en «temps de paix». Quels seraient le poids et l'importance du soutien familial et son concours pour la réparation psychologique de l'après-viol ' Il est utile de préciser dans la foulée que l'acte de viol déclenche généralement un sentiment extrême de vulnérabilité et de culpabilité chez les victimes. L'objectif premier de notre recherche étant de démontrer le rôle primordial de la famille de reconnaître le préjudice que subit la femme violée en tant que victime et non pas coupable. Car, l'on a tendance à faire fréquemment de cette femme un «monstre» coupable de tous les péchés. Nous avons donc tenté d'apporter des réponses à cette interrogation par le recours à une étude comparative, opposant des cas de femmes violées mais ayant bénéficié d'une couverture familiale sécurisante à des cas de victimes qui ont subi un rejet familial total et psychologiquement préjudiciable.
Les résultats obtenus ont démontré que le viol entraîne des troubles psycho-traumatiques, dépressifs et des modifications de la personnalité, mais la présence et/ou le soutien familial en temps de crise érige une première pierre de la reconstruction morale de la victime et réinstalle de nouvelles perspectives. C'est dire qu'une prise en charge psychologique s'impose face à la détresse extrême de ces femmes.
L'écoute, l'accompagnement ainsi que le soutien moral sont autant de motivations capables de susciter chez les victimes un sentiment de se réinvestir et à se projeter dans l'avenir. Cela suppose, cependant, un travail de sensibilisation de l'ensemble des acteurs de la société pour briser les murs du silence et lever le tabou et installer une dynamique sociale et institutionnelle à même de favoriser l'insertion sociale de toutes les victimes.
(*) Psychologue clinicienne au CHU
Mustapha, et enseignante chercheur à l'université d'Alger 2
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Posté Le : 11/12/2011
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : El Watan
Source : www.elwatan.com