Algérie

IMPATIENCE SOCIALE ET RISQUE POLITIQUE



La transition politique en Tunisie se déroule plutôt bien, mais l'écueil social est pesant. Dans un pays où la misère de l'intérieur était cachée par le clinquant de la région côtière, les contestations sociales, longtemps comprimées par le système autoritaire, s'expriment ouvertement à travers les grèves, les sit-in et les barrages de routes.
L'impact psychologique sur le comportement des investisseurs, qui venaient en Tunisie en raison de la «docilité» de la main-d''uvre et de son faible coût, est réel. Quant aux investisseurs tunisiens potentiels, ils attendent de voir dans quelle direction vont les choses.
Le groupe japonais Yakazi, qui dispose de cinq unités dans la région de Gafsa, a envoyé un avertissement fort en prenant la décision «irrévocable» de quitter la Tunisie. Toutes les craintes exprimées par les patrons tunisiens ont trouvé une illustration éloquente dans la décision du groupe japonais, qui employait 2.200 personnes dans la région de Gafsa. Selon le patronat tunisien Utica, ce sont au moins 120 entreprises étrangères qui ont quitté le pays en raison des contestations sociales, des grèves sauvages et des occupations. Pour enfoncer le clou, l'Utica affirme que le groupe Yakazi projetait de porter à 10.000 le nombre des emplois dans les années à venir.
L'inquiétude grandit dans un pays sans grandes ressources minières, qui a compté jusque-là sur son attractivité pour les investisseurs étrangers. Or, s'inquiètent les patrons, ces atouts sont en train d'être dilapidés. Depuis des mois, ils dressent un tableau noir de la situation et demandent «une application stricte de la loi».
Ils viennent de recevoir un appui remarqué du président de la République provisoire, Moncef Marzouki. Cet homme de gauche, tout en prenant en compte les «injustices subies» par des milliers de travailleurs, donne totalement raison aux patrons. Mieux, il a fait une lecture politique sur les risques de voir la situation sociale dégénérer et favoriser soit une «révolution dans la révolution», soit «une contre-révolution». Pour lui, le système démocratique, qui est en train d'être mis en place, est «menacé de mort si la situation ne se stabilise pas». L'équation est simple. Selon Marzouki, les gens veulent la liberté ; mais s'ils «n'ont pas de quoi manger, ils préfèreront retourner à un système dictatorial qui leur assurera leurs besoins vitaux».
On ne peut mieux décrire le dilemme d'une Tunisie où les évolutions politiques sont relativement plus faciles à opérer que créer de l'emploi et améliorer les conditions sociales des plus pauvres. Cette Tunisie politique dont les acteurs sont largement issus des classes moyennes et qui doivent en grande partie leurs libertés nouvelles au combat de ce pays de l'intérieur, d'où est sortie l'étincelle qui a emporté le clan Ben Ali. Cette Tunisie politique doit trouver le moyen de convaincre ce «pays de l'intérieur» de patienter et convaincre ceux qui disposent d'un emploi de ne pas gâcher la situation en recourant aux grèves.
Le président Marzouki a appelé à une «trêve sociale» de six mois en sollicitant le «patriotisme» et «l'amour de la patrie» de ces Tunisiens en contestation. Pour lui, continuer dans cette démarche serait un «suicide programmé».
Le message de Marzouki, qui conforte les patrons, ne manque pas de pertinence. Il n'en reste pas moins qu'il risque de ne pas suffire. L'étouffement policier de la question sociale durant les années de dictature a été un «atout» qu'une Tunisie démocratisée ne peut plus invoquer. Il est vrai que la Tunisie n'a pas beaucoup d'alternatives dans le domaine économique. Mais l'argument pour faire «patienter» les plus démunis doit être politique et non pas policier.


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