Un évènement
singulier et apparemment anodin, qui s'est déroulé vendredi 13 janvier 2012 à
Paris, où un groupe d'Algériennes et d'Algériens, qui se sont réunis pour la
fondation d'une association pour « le changement et la démocratie en Algérie »
(ACDA), sur fond idéologique, une énième érosion de l'Islam politique, dans une
version « extra light » cette fois, est entrée en scène comme un signal de
confirmation de la consommation de l'impasse à la crise politique et
l'inauguration d'un stade supérieur : le danger de la recolonisation, sur les
décombres d'une éventuelle guerre civile qui semble se profiler.
L'ACDA (Agir pour
le changement et la démocratie en Algérie) a tenu une réunion vendredi 13
janvier à Paris pour sa fondation officielle et la présentation de sa charte au
public. On connaissait l'Islam politique radical, qui avait été disqualifié par
l'Islam politique dit « modéré », dont la petite bourgeoisie arabe et les
puissances hégémoniques internationales ont fait leur nouveau fond de commerce.
L'ACDA semble inaugurer une nouvelle étape dans la déliquescence de cette
mouvance politique totalitaire et intolérante, par l'innovation, probablement,
de son ultime avatar : l'Islam politique « extra light », comme seule
rhétorique populiste possible pouvant manipuler les Algériens, dont l'adhésion
aux projets politiques sécularisés est des plus importantes dans le monde arabo musulman. Prédisant certainement la précipitation de
la délégitimation idéologique définitive de l'Islam
politique.
Née dans la
foulée des révoltes arabes, comme ce fut le cas pour la CNCD, elle a connu, elle
aussi, un temps de pause comme cette dernière, avant de reprendre ses activités
à l'occasion de cette réunion de fondation. Durant les moments forts des
marches de la CNCD
en Algérie, elle avait, elle aussi organisé leur équivalent à Paris, en
essayant de mobiliser la population d'origines algériennes immigrées en France
pour demander le changement du système de pouvoir en Algérie, qui s'est soldé
par un échec plus important encore que celui qu'a connu l'expérience de la CNCD, en ne réussissant à
mobiliser à chaque fois que quelques personnes, essentiellement parmi ses
membres permanents et probablement quelques amis ou proches. Excepté, peut être
une fois, lors d'une manifestation massive à la place de la République, à
l'occasion de circonstances particulières.
À l'occasion de
cette réunion fondatrice du 13 janvier 2012, une soixantaine de personnes
étaient présentes. Parmi elles, il y avait des invités marocains, tunisiens,
palestiniens et même des iraniens, de tendances idéologiques diverses, aux
côtés de quelques militants appartenant à des associations islamistes
algériennes, tel que le FCN et RACHAD qui elle avait même participé à
l'élaboration de la charte, selon les responsables de cette association.
Après la
distribution et une présentation rapide de leur charte, la parole a été donnée
immédiatement aux invités, qui n'ont pas manqué de soulever d'énormes
contradictions, et de poser de nombreuses questions, aussi bien sur la forme de
la réunion elle-même que sur le fond du texte de la charte. Signifiant
explicitement leur exigence et leur besoin de clarification sur les conditions
de leur éventuel engagement. Y compris sur les motivations et les finalités de
l'association, qui présentent apparemment quelques zones d'ombre et une
certaine ambiguïté.
D'abord, l'ACDA se considère en tant qu'association dans la
perspective d'être essentiellement « un espace de réflexion, de débat et
d'action…» À la question d'une intervenante : « s'ils avaient fait la demande
d'agrément de leur constitution en association selon la loi française de 1905 ?
» ils ont répondu par la négative sans aucune autre explication. Cela semble
paradoxal, car, ils auraient dû en faire la demande pour légaliser leur
activité et bénéficier du coup de facilités financières et administratives,
s'ils voulaient agir uniquement dans le cadre d'une association comme ils le
prétendent. Cependant, il est précisé dans leur charte, qu'ils se considèrent
comme un collectif « …qui se veut indépendant –de tout État… » Il apparaît,
donc, clairement que l'ACDA ne projette pas de se
constituer en association en France, parce qu'elle ne veut pas dépendre de
l'État Français. Nous avons affaire, donc, non pas à une association d'immigrés
Algériens en France ou de Français d'origine algérienne, pouvant être régie par
la loi française, mais plutôt à un collectif d'Algériennes et d'Algériens,
qu'il serait plus plausible, dans ce cas-là, de considérer comme des réfugiés
ou des exilés, dissidents politiques, sur un territoire étranger. Ce qui
confère effectivement un caractère autonome à leur association.
Elle précise
également qu'elle n'a aucune intention de se constituer en parti politique, se
définissant comme un simple collectif totalement autonome, qui « se veut
indépendant –de tout État, de tout parti politique et de tout autre mouvement-…
» Paradoxalement, ce collectif se présente avec une charte qui est en soi un
véritable programme de constitution d'un État. Traçant au détail près sa vision
du processus de changement du système de pouvoir politique en place en Algérie,
sur lequel il projette d'agir et les modalités juridiques pour son
accomplissement. En définissant sommairement l'identité du futur État et les
valeurs fondamentales sur lesquelles doit se
constituer la future citoyenneté. Aussi, la teneur du débat dans son ensemble
était principalement politique et s'apparentait mimétiquement à tout débat
constitutif d'une constituante. Laissant entendre, qu'il se considère comme un
État en concurrence avec l'État algérien à qui il dispute la légitimité et la
souveraineté.
Des détails
précis seront distillés progressivement, tout au long du débat, en complément
du contenu de la charte de l'association, sur les contours de l'État virtuel
projeté. « Adhésion au collectif, individuellement pour les membres des autres
partis politiques, et non, au nom de leur parti. » Devant cette condition, on a
l'impression de revivre la crise politique du MTLD entre messalistes et
centralistes, il y a déjà près de soixante ans, et que le FLN saura exploiter
pour unir toutes les forces algériennes autour du combat pour la libération
nationale. Seulement, nous n'avons pas affaire aujourd'hui au même ennemi.
L'ennemi d'hier, c'était un ennemi clairement identifié, c'était un ennemi
étranger. C'était le colonialisme, dont la force d'occupation était une armée
étrangère. Que Frantz Fanon considérait comme un ennemi auquel le peuple
algérien opposé sa résistance par son inlassable identification, dans son
existence de tous les jours. Il y avait, dit-il, la route française goudronnée
et la route algérienne constituée de terre battue, que l'indigène empruntait,
en traversant dans les champs par des raccourcis sinueux. L'ennemi du peuple
aujourd'hui, de la démocratie et de la liberté, n'est pas un corps étranger.
C'est un système, qui instrumentalise par la force et la corruption toutes les
instances de la société : les forces de sécurité en premier, la justice,
l'Éducation nationale, les partis politiques, les médias… constitués d'abord,
d'Algériens, qui sont, soit complices, soit victimes aussi de ce système. Le
consensus, qui s'est formé autour du serment de novembre 1954, avait pour
objectif la libération nationale, dont les conditions idéologiques d'adhésion
sont aujourd'hui, il faut le reconnaître, en partie périmées. Aujourd'hui,
beaucoup de partis politiques, d'associations de la société civile, des
intellectuels, des journalistes, des cadres de l'armée, d'idéologies et de
sensibilités politiques diverses militent tous pour le même objectif : le
changement du système de pouvoir.
On ne peut donc «
faire émerger une parole consensuelle, aujourd'hui éclatée, pour reconstruire
une conscience politique en faveur du changement ». L'éclatement de la parole
n'est pas la raison de l'échec du changement, elle est plutôt sa garantie. La
démocratie est par essence conflictuelle, elle ne peut être consensuelle, quand
c'est le cas, nous sommes plutôt en face d'un despotisme. Imposer un cadre
consensuel d'adhésion à ce collectif, en posant, au préalable un cadre
idéologique au futur État ouvre la porte à toutes les dérives possibles et à
toutes les menaces sur la paix civile. Les raisons de l'échec sont claires et
sans ambiguïté : il s'agit de dégager l'État de toute idéologie religieuse, en
séparant la religion du politique par une réelle sécularisation, et non par «
l'organisation du politique et du religieux en sphères distinctes », une sorte
d'Islam politique « extra light », qui viendrait couvrir, comme un manteau de
neige, une réalité éclatée et bouillonnante. Ceci n'est pas sérieux et
s'apparente plutôt à du populisme. Il faut laisser au citoyen la liberté
d'organiser sa spiritualité en toute autonomie, et permettre à l'État son
affranchissement de la religion, pour qu'il puisse arbitrer les conflits
religieux et garantir la paix civile.
On ne peut
prendre pour argent comptant le statut dans lequel ce collectif se définit à
travers sa charte, son discours et les actions qu'il projette ! en tant « qu'espace de réflexion, de débat et d'action… en
se donnant pour unique finalité de servir l'Algérie». Tellement, tout cela
représente d'énormes contradictions et d'ambiguïtés.
La principale
action qui semble animer la volonté de ce collectif est la « dissolution du
système politique actuel » et « l'élection d'une assemblée constituante menée
par un gouvernement dont les membres n'auraient jamais fait partie du régime. »
Sans préciser par quelles modalités ?
On peut dans ce
cas, s'autoriser à penser, que leur projet vise en définitive, à court ou à moyen
terme, véritablement, à la constitution d'un nouvel État en exil, dont
l'intention demeure pour des raisons stratégiques évidentes, inavouée. Une
chose est sûre, ce projet ne peut servir l'Algérie dans ces conditions. Il
laisse planer, plutôt, le doute sur un grave danger qui guette son
indépendance, pour ne pas dire sa souveraineté. D'autant, que les mots BHL et
CNT ont traversé la confusion du débat, tels des spectres voltigeant comme une
lueur d'espoir au-dessus d'âmes avides et agonisantes… Ce qui risque, si cela
vient à se produire, de nous faire passer d'une colonisation tacite, celle de
la compromission du pouvoir hégémonique actuel avec les puissances
internationales pour préserver leurs intérêts respectifs, à l'insu du peuple, à
une colonisation d'ingérence directe appuyée par la présence de la force dans
un rôle dissuasif, et au besoin stabilisateur de toute agitation qui viendrait
menacer ses intérêts. Le pire devant cette éventualité naïve et dangereuse à la
fois, c'est que le peuple algérien avait déjà fait cette expérience par le
passé pendant plus d'un siècle, et il en a tiré une leçon pour toute
l'éternité. Cette expérience était tellement tragique, humiliante et inhumaine,
qu'elle a profondément influencé sa culture et sa personnalité, au point où si
cela se reproduisait, sa réaction sera d'une violence sans retenue.
L'Algérie qui
résiste est celle qui ne fait aucune concession, ni à l'Islam politique, ni au
nationalisme des patriarches et encore moins aux armées étrangères intéressées.
Son « idéologie », c'est la démocratie sans adjectif, sans aucune autre
spécificité, que celle de l'universalité de l'Homme et de sa liberté. Elle se
dresse comme une flamme, perçant de sa lueur l'immense obscurité de la nuit,
avant de devenir un jour, le brasier de la liberté qui illuminera la république
de sa clarté.
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Posté Le : 19/01/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Youcef Benzatat
Source : www.lequotidien-oran.com