Algérie

«Impact mortel»


Sur la route qui les mène vers la ville de Mostaganem, des centaines de personnes chaque matin sont confrontées à la vue disgracieuse de la décharge publique située entre les trois communes de Fornaka, Stidia et Aïn Nouissy. En effet, cette catastrophe écologique se trouve au bas de la colline des «sefaf'ha» au sud-ouest des trois chemins qui relient les trois localités. Pour mesurer l'étendue et la gravité de ce problème il suffit de monter dans un des véhicules de transport de voyageurs qui desservent la ligne Fornaka-Mostaganem. Après avoir quitté le village de Fornaka, le voyageur est surpris par un spectacle horrible, des dizaines de récoltes de blé, d'orge, de seigle ou d'avoine sont maintenant couvertes non pas de fleurs et d'épis mais d'une myriade de sachets en plastic de couleur noire, bleue ou simplement sales et crasseux. La terre rouge n'est pas la seule à souffrir de cette pollution chimico-physique. Les maisons et leurs habitants sont assaillis par ces déchets que les vents leur envoient. Arrivé à trois kilomètres plus loin, le véhicule de transport des voyageurs doit ralentir à cause de la pente de la colline des «sefaf'ha». Cette perte de vitesse permet à chacun d'apprécier pleinement le crime écologique commis contre la nature et la population de la région.  Depuis plus de dix ans, il a été décidé de déverser l'ensemble des déchets domestiques des trois communes de fornaka, Stidia et Aïn Nouissy sur ce terrain qui était une terre agricole productive. Le seul aménagement fait et consenti par les autorités locales a été la construction d'un mur d'une hauteur ne dépassant pas les deux mètres et d'une longueur d'une cinquantaine de mètre. Il est bien significatif de lire un graffiti peint par un inconnu qui dit «venez visiter le musée formidable de fornaka». Avec le temps, cette décharge est devenue une sorte de musée de la misère et de la pauvreté et source de maladies et de la souffrance pour un nombre de personnes encore non identifiés : les chiffonniers qui récupèrent les objets usés au milieu des déchets.   Mais que trouvent ces pauvres gens dans la décharge de Fornaka? Jetons un coup d'?il examinateur sur le contenu de la décharge. Il est bien connu que les déchets sont des résidus de l'emploi des matières solides qui peuvent être putrescibles ou non putrescibles. Ils font partie des substances qu'on trouve dans la décharge. On trouve aussi les ordures, les débris, les cendres, le fumier et les balayures.  Les débris sont des déchets solides et non putrescibles comme le papier, les cartonnages, le bois, la paille, le cuir. D'autres débris sont incombustibles et ne peuvent être brûlés comme les briques, les pierres, les poteries, les boîtes de conserve, les métaux comme le cuivre, le fer et le plomb des batteries qui est toxique ainsi que le verre. Les employés de la commune procèdent souvent à l'élimination de montagnes de déchets en y mettant le feu et il en résulte des quantités énormes de cendres. C'est le produit de la combustion du bois et d'autres produits conbustibles tels que les sachets en plastique ou les pots de peinture qui empoisonnent l'air et rendent les gens malades ou allergiques. En plus, on trouve du fumier qui est l'ensemble des excrétas des animaux domestiques. Il ne faut pas aussi oublier les balayures qui résultent du nettoiement des voies publiques. Ces déchets sont sources de deux types de pollution : biologique, qui est favorable à la prolifération d'agents pathogènes liés à la présence de résidus organiques en décomposition, et la pollution physique et chimique due aux déchets encombrants et inesthétiques parfois toxiques.  Les déchets organiques provenant des ordures ménagères sont responsables de maladies transmises par les animaux qui viennent se nourrir à la décharge de fornaka qui n'a qu'un seul mur et non pas quatre. Les chiens transmettent la rage, le typhus qui est porté par les tiques et les poux et la lepto-spirose ictéro-hémorragique transmise par les urines. Les rats transmettent la typhoïde et para-typhoïde, la dysenterie bactérienne, la peste portée par les puces. Dans le ciel de la décharge de Fornaka on voit aussi une nuée d'oiseaux qu'on appelle localement «les poules d'eau» qui, normalement vivaient dans la région protégée d'»El-Mactaa». Les ordures de la décharge attirent ces oiseaux sauvages qui sont en contact permanent avec les oiseaux migrateurs venant d'Espagne située à 150 kilomètres au nord de la région. Le danger est évident! La grippe aviaire est plus que probable à cause du contact entre ces oiseaux et les chiffonniers. N'oublions pas les mouches et les cafards qui provoquent le trachome, les conjonctivites. Les maladies à transmission hydrique tels le choléra et de nombreuses dermatoses. En général, les chiffoniers s'intéressent peu aux ordures ménagères car, peu utiles pour eux. Ce qui les attire est ce qui leur semble être un trésor : le cuivre. Ils escomptent le trouver parmi les déchets toxiques qui proviennent des entreprises industrielles implantées dans la zone d'activité située plus loin à l'ouest du village de Fornaka. On y trouve une usine de production de goudron, une usine de production de peinture et d'autres industries pétrochimiques, toutes génératrices de déchets extrêmement toxiques qui ne sont pas mis en décharge spécialisée ni traités. Ces déchets représentent un danger permanent, d'autant plus redoutable que leurs effets ne se manifestent le plus souvent qu'après des expositions prolongées. Les effets résultants peuvent être mortels telle l'intoxication par les vapeurs des acides contenus dans les batteries de voitures ou entraîner des troubles définitifs d'ordre neurologique ou cancérigène. Certaines substances solubles encore plus toxiques, capables d'atteindre la nappe phréatique et contaminer à jamais l'eau utilisée pour l'usage humain et agricole. Toute la décharge de Fornaka constitue un danger! Même les pneus qui ne semblent pas être intrinsèquement nuisibles ou toxiques, peuvent le devenir s'ils s'enflamment. La ferraille rouillée peut couper et blesser les chiffoniers et entraîner un tétanos mortel. Ces déchets encombrants sont inesthétiques et défigurent le paysage. Le dégradation de l'environnement et la saleté du milieu sont un repoussoir pour le développement local et donc néfaste pour l'économie et le bien-être de la population déjà défavorisée et pauvre de la commune de Fornaka. Il est un autre spectacle plus piteux que celui des chiffoniers. Les employés de la commune chargés de la collecte des ordures qui disposent d'un tracteur agricole avec une remorque d'où débordent les ordures et sont éparpillées sur les routes. Disposent-ils d'un garage et d'un magasin d'entretien ?  Sûrement pas! ils n'ont même pas de gants protecteurs. Ils travaillent dans de mauvaises conditions de travail dans une insécurité permanente et dévalorisation de la profession d'éboueur qui en notre dialecte est une insulte. Une honte que de travailler comme «Zebbal»!!!  La collecte des ordures se fait à des heures irrégulières et selon un rythme chaotique ce qui entraîne un désarroi de la population et des conflits avec les éboueurs qui sont en nombre insuffisant. Que font-ils arrivés à la décharge ? Leur tâche consiste à étaler les déchets sur le terrain vague de la décharge ce qui constitue un danger et encourage la prolifération des rats et d'autres vermines et même peut engendrer des incendies qui noircissent le ciel des journées entières. En plus, ces ordures polluent les champs avoisinants. Tout ce drame n'est ni décrié ni dénoncé, il se répète chaque jour et se banalise. On le croit chose normale. C'est ce que nous dit un enfant qui collecte le cuivre dans la décharge de Fornaka. L'école des chiffons Il s'agit d'un enfant comme tous les autres mais qui, au lieu d'aller jouer, vient chercher des objets qu'il pourra vendre et obtenir quelques pièces. Appelons-le Yacine. En s'approchant de lui il prend un peu peur et hésite à nous répondre. «Que fais-tu ici ?» « Je cherche du cuivre» «En as-tu trouvé ?» «Non» «Alors que portes-tu dans ton sac ?» «Des choses» «Que vas-tu faire avec ces choses ?» «Les vendre pour acheter des choses» «Quelles choses ?» «Les affaires scolaires»  Il est impossible de continuer cette interview improvisée avec un enfant qui est lui-même victime. Il est victime de la misère, de la pauvreté et de l'injustice. Nous sommes tous victimes de l'ignorance qui nous pousse à détruire notre cadre de vie sans savoir l'impact mortel de nos actions. Gardons la dignité de «Yacine» et de tous les autres chiffonniers, enfants et adultes en leur donnant à la place des ordures un peu d'argent et beaucoup de bonheur!  Ce qui a été dit nous pousse à faire le commentaire suivant: le système dans lequel nous vivons et nous nous maintenons est un système d'échange permanent sélectif. L'écologie n'est pas un rêve qu'on regarde sur la chaîne de télévision «Ushuaïa» ou qui ne concerne que la forêt tropicale d'Amazonie.  Nous prenons au milieu qui nous entoure, les substances chimiques et l'énergie indispensables à notre développement et à nos activités sociales. dans ce même milieu nous rejetons nos propres déchets sans penser à leur recyclage.  Notre vie dépend de notre milieu et cette dépendance ne se limite pas à l'apport énergétique et nutritionnel seulement. Elle s'étend aussi aux rapports sociaux, car la vie biologique et culturelle dépend entièrement de la subsistance, des soins, des services, de la sécurité et de l'éducation qui sont assurés par les parents et la société.  Il est intéressant de savoir que l'usine de goudron à Fornaka vend chaque jour plus de deux milliards de centimes de produits qui servent à l'asphaltage des routes et qu'au cours du même jour un enfant comme Yacine gagne moins de deux milles centimes en exposant ses mains aux morsures des rats, ses yeux aux mouches, ses poumons à l'air toxique et sa vie à la mort dans la décharge de Fornaka!  Comme on peut le voir dans cet exemple, l'agression est réciproque. La compétition pour la vie qui existe entre les êtres humains provoque ces rapports d'agression. Il y a un partage inégal des ressources vitales à cause de la mauvaise qualité de l'échange entre nous et la nature. Plus grave que l'agression physique, est l'agression psychogène qui réside dans les relations sociales ou chacun est appelé à être agressif dans son comportement. L'enfant Yacine n'est pas agressif ni méchant. Il est victime de la pauvreté qui l'agresse. Il va dans les ordures chercher l'argent. Il en revient en transportant des agents qui sont agressifs : bactérie, virus, etc... Dans la classe de son école, ces microbes portés par Yacine agressent les autres enfants et provoquent des maladies et des malheurs et maintiennent la pauvreté dans la commune de Fornaka dans un cercle vicieux impossible à briser. Les enfants sont l'avenir de l'Algérie mais ils sont actuellement la première victime de l'accession de l'Algérie à la mondialisation et à la globalisation.  Qui donc peut voir cet impact mortel ?
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