Algérie - Imahran

IMARHAN : «NOUS ALLUMONS UN FEU ET SORTONS LES AMPLIS»



IMARHAN : «NOUS ALLUMONS UN FEU ET SORTONS LES AMPLIS»
«Imarhan» a été enregistré à Montreuil en 2016, faute de studio suffisamment équipé à Tamanrasset, dans le sud de l'Algérie. Photo Julien Bourgeois



Après dix ans de succès dans le Sahara, la formation touareg, en tournée en France, sort son premier album studio. Son chanteur, Iyad Moussa ben Abderrahmane, retrace les parcours et motivations des cinq hommes.



Avec Imarhan, le blues du désert ne s’ensable pas. Dans la tradition touareg, ces cinq jeunes originaires de Tamanrasset, dans le sud de l’Algérie, ont gagné une réputation live en animant fêtes et mariages de leurs guitares habiles, leurs rythmes chavirés et leurs chants collectifs. Dix ans plus tard, après que leurs chansons ont fait le tour des pistes du Sahara sur des CD gravés, leur premier album studio vient autant prolonger l’œuvre de Tinariwen en répandant jusqu’à notre bitume ces chansons au grain singulier et lui offrir un groove nouveau en y mêlant des influences allant du jazz au funk. Le désert fertile nous offre au printemps d’autres beaux disques avec Azel, quatrième album du Nigérien Bombino, mais aussi Tikounen de Kel Assouf, accompagné au chant par Toulou Kiki Bilal, repérée dans le film Timbuktu. Ils sont nombreux à faire onduler les corps dans le désert, comme aussi Kader Tarhanin, mais il faut pousser la curiosité jusqu’à dénicher leurs lives sur YouTube pour en avoir un panorama plus complet. Ils représentent une génération de plus en plus urbaine, sédentaire et connectée, qui peut passer de la ville à la nature aride en un coup de Jeep. Le chanteur d’Imarhan, Iyad Moussa ben Abderrahmane alias Sadam, rêve, lui, de réunir chacun autour du son du groupe et retrace son histoire.



«Le pluriel de ceux qui s’aiment»

Photos prises par Julien Bourgeois à Montreuil en Mars 2016’«Je suis né à Tamanrasset, une ville du désert du Sahara qui se développe à la manière des grandes villes cosmopolites. Dès mon enfance, j’ai commencé à écouter la musique touareg que j’entendais dans les baptêmes, les mariages et les cérémonies. Les Touaregs ont une culture très poétique. Le tendé, l’imzad (un violon), sont ancrés dans nos vies. A 13 ans, je me suis acheté ma première guitare, en mauvais état, car il est rare de trouver des instruments par ici. Avec les autres membres du groupe, nous avons grandi dans le même quartier et joué pour la première fois ensemble pour le mariage d’un proche. Au début, on avait juste trois ou quatre chansons et des compositions de Tinariwen. Quand on s’est rendu compte que notre clan avait un percussionniste, un bassiste et un soliste, on s’est dit que c’était faisable de monter un groupe. C’était en 2010 et on a choisi le nom Imarhan car il a une grande signification en tamasheq [la langue des Touaregs, ndlr] : c’est le pluriel de ceux qui s’aiment, qui se côtoient et sont sincères. Ce nom est aussi un engagement pour le groupe, puisqu’on vise à réconcilier les gens, on voudrait les pousser à s’aimer…» (Photo Julien Bourgeois)



«Le silence du désert»

«On ne fait pas vraiment de répétitions, le spectacle est une répétition et inversement. Par contre on peut se retrouver en pleine brousse, à 5 ou 10 kilomètres de la ville. Alors nous nous installons sous un arbre, allumons un feu et sortons les guitares et les amplis, qu’on privilégie avec des piles. Le silence du désert nous inspire beaucoup, c’est loin du vacarme de la ville et c’est tout le temps là qu’on compose, inspirés par tous les visages que l’on a croisés. Le titre Tahabort sur l’album parle aussi de cette place de Tamanrasset où l’on se retrouvait pour jouer autour d’un thé. Le phénomène de graver et pirater les CD y est très répandu, un CD distribué se multiplie très rapidement, c’est comme ça que notre musique a pu vite circuler. La préparation avant les Transmusicales à Rennes, l’an dernier, nous a beaucoup marqués, car c’était un grand événement et il fallait être prêts. Le festival nous avait invités sans même nous voir avant, il fallait assurer. Mais le grand tournant pour Imarhan a eu lieu plus tôt, en 2011, quand on nous a proposé d’enregistrer une démo en Italie, que nous avons ensuite diffusée sur YouTube. Enfin, cet album [Imarhan] a été enregistré à Montreuil car il n’existe pas chez nous de studio suffisamment équipé. On nous dit qu’il sonne funk, mais on ne le voit pas comme ça, c’est probablement à force d’écouter plein de genres musicaux qu’on a ce son.»



«La musique n’est pas une rébellion armée mais un combat»

«Notre message étant universel, nous voulons que le monde entier nous écoute, et refléter la véritable image de cette communauté touareg, ses difficultés, ses joies et ses peines. Sur scène, nous ne nous habillons pas toujours en tenue touareg, même si nous en avons toujours une dans notre valise. Ce n’est pas en opposition à la tradition, mais parce que c’est représentatif de qui nous sommes. Notre plus grand défi aujourd’hui est de faire évoluer cette musique assouf [«nostalgie», ndlr] sans la dénaturer. La musique n’est pas une rébellion avec les armes mais c’est un combat, car il y a toujours un message derrière, qui ne va pas forcément plaire à tout le monde. Qu’il soit contesté ou non, il faut le faire arriver à destination. J’aimerais que les puissants de ce monde s’imprègnent de ce que vivent les plus pauvres, et que le monde se donne le temps de s’écouter. Les conflits dans la région, en particulier au Mali, ne nous empêchent pas de bouger ou de faire notre musique, mais ça nous blesse, ainsi que nos proches et la communauté. Et ce n’est pas la musique qui pourra régler tout ça. On aimerait qu’il y ait de l’eau, que les enfants aillent à l’école, qu’il y ait une paix définitive, on a beaucoup de doléances. Parfois, on peut être découragé, mais quand on est certain que la voie que l’on suit est la bonne, on avance et on ne cède pas. Et il y en aura d’autres : c’est une tradition dans la musique touareg, celui qui s’en va ramène au retour des cordes et des guitares aux plus jeunes.»



«Tikounen», stoner des sables

En exil à Bruxelles, le Nigérien Anana Harouna transmet et étoffe la culture touareg depuis dix ans avec son projet Kel Assouf, entrelaçant son blues du désert avec d’autres musiques transfrontalières. Après avoir mâtiné ses chansons engagées de reggae et d’afrobeat sur son premier album, Tin Hinane, sorti en 2010, il se tourne vers le stoner rock sur Tikounen («l’étonnement», en langue tamasheq), second disque, sorti fin mars. Entouré de musiciens rencontrés en Belgique, il accueille une nouvelle venue dans la formation, Toulou Kiki Bilal, chanteuse touareg révélée dans le rôle de Satima dans Timbuktu d’Abderrahmane Sissako (2014). Elle y brille sur trois titres où elle bat son tendé, percussion réservée aux femmes, et élève une voix tout aussi transie.



Les textes, à la fois poétiques et encourageant la rébellion, sont traduits en français et en anglais dans les livrets d’album pour optimiser le pouvoir de ces chansons que Kel Assouf rêverait probablement de diffuser mondialement dans un mégaphone : «Transmettez mon salut à la révolution/Dites-lui qu’elle flirte avec l’anarchie/Et souvent avec la division/Moi je souhaiterais qu’elle reste unie/Et qu’elle soit applaudie.»


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