Algérie

Images, mots et sons



Mais aujourd’hui, alors qu’il est moins difficile d’en parler (et encore…), ce désir de dire ne s’est pas éteint, et le cinquantenaire de l’évènement est l’occasion de survoler ce qu’il a inspiré de doctes efforts ou d’inspirations créatives.
L’histoire retiendra le nom de ces premiers intellectuels et artistes français qui osèrent braver le silence au plus fort de l’évènement. Le premier fut le photographe Elie Kagan, issu d’une famille juive polonaise qui avait subi les horreurs nazies. Il eut le courage de photographier la répression avec un objectif qui l’obligeait à se rapprocher dangereusement des scènes de violence policière. Une semaine après, Témoignage Chrétien  publiait ses clichés et le rédacteur en chef de l’époque, Hervé Bourges, parlait d’un «pays qui se nazifie peu à peu». Sans ce reportage, le 17 Octobre 1961 n’aurait pas eu de visibilité sinon de véracité. On doit citer également Jacques Panigel, grand biologiste qui dirigeait le service d’immunologie de l’Institut Pasteur, et dont les convictions d’ancien résistant ne supportaient aucune forme d’oppression. Il a d’ailleurs été membre du Comité Maurice Audin et signataire du Manifeste des 121. Au lendemain des manifestations, cet éminent professeur, armé d’une caméra, se faufilant dans les bidonvilles et banlieues délabrées, entama des entretiens clandestins avec des Algériens rescapés du massacre. Cela donna le premier film sur l’évènement, Octobre à Paris (1962), dont l’interdiction ne fut levée qu’en 1973, suite à la grève de la faim du réalisateur René Vautier. Ce film a été récemment projeté à Paris lors d’une rencontre organisée par Médiapart.
Ces deux productions, qui relèvent de l’audiovisuel, indiquent que le souci premier fut de montrer et de témoigner, en somme, de graver sur pellicule. Par la suite, l’évènement sombra dans l’oubli en France, enfoui dans les mémoires blessées, les souvenirs refoulés ou les mauvaises consciences. En Algérie, la commémoration annuelle de l’évènement s’est longtemps traduite par des rencontres protocolaires, quelques émissions de télévision et des articles de presse publiés à l’occasion. L’écho de l’évènement semble se perdre jusqu’aux années quatre-vingt où la littérature et les arts ont commencé à l’investir. Ce phénomène de latence se retrouve souvent dans le rapport des expressions aux grands chocs de l’histoire. Il faut apparemment un temps pour absorber un traumatisme collectif, un autre pour le «verbaliser». Vingt ans, c’est peut-être ici le temps nécessaire aux acteurs et témoins, talonnés par l’âge, pour se décider à parler et, pour ceux qui sont nés au moment de l’évènement, de vouloir le découvrir.
Une des premières œuvres sur le 17 Octobre 1961 fut un roman policier ! Mais un polar de la nouvelle génération, abordant des questions sociales politiques et historiques. Ainsi, c’est en 1984, dans la Série Noire de Gallimard que parut Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx. Distingué par plusieurs prix, dont le Grand prix de littérature policière 1985, il s’ouvre sur les manifestations d’octobre. Mais si le 17 Octobre 1961 est présent dans plusieurs romans, il l’est rarement en tant que thème principal, comme dans La Seine était rouge de Leïla Sebbar (Ed. Thierry Magnier, 2003), ou en tant qu’apogée narrative, comme dans Algérie ! Algérie ! d’Eric Michel (Ed. Presse de la Renaissance, 2003 aussi). Aussi, faut-il saluer la récente parution de 17 Octobre 1961 ; 17 écrivains se souviennent, recueil de nouvelles et récits inédits, coordonnés par Mustapha Harzoune et Samia Messaoudi, et édité par l’association Au nom de la mémoire. Un bel et étonnant ouvrage qui apporte un regard multiple sur l’évènement.  
Phénomène de génération qui privilégie les images ' En tout cas, c’est surtout par le cinéma que l’évènement a trouvé ses voies d’expression. Au chapitre de la fiction, citons le téléfilm de Laurent Heinemann,  Meurtres pour mémoire (1985),  tiré du roman précité. En 2005, le réalisateur autrichien Michael Haneke donne une dimension internationale au 17 octobre 1961 avec Caché Prix de la mise en scène au Festival de Cannes et autres distinctions. La même année, le téléfilm d'Alain Tasma, Nuit noire, 17 octobre 1961, est diffusé sur Canal Plus avant de connaître une diffusion en salles et de recevoir plusieurs distinctions. Cinq ans après,  Hors-la-Loi, de Rachid Bouchareb, sélectionné à Cannes et nominé à l’Oscar du meilleur film étranger, reviendra sur la manifestation et sa répression en remontant une saga familiale depuis les massacres du 8 Mai 1945. Environ une douzaine de documentaires se sont attachés à l’évènement, parmi lesquels ceux de Mehdi Lallaoui ou de l’écrivaine Faïza Guène. Dimanche 23 octobre, la salle El Mougar d’Alger accueillera l’avant-première algérienne du documentaire  Ici, on noie les Algériens de Yasmina Addi. Sur le même lieu, sera remontée l’exposition sur le 17 Octobre, conçues par de grandes signatures nationales et internationales du 9e art. Un travail admirable et saisissant promu par la dernière édition du Festival international de la bande dessinée d’Alger. La musique aussi est à citer avec une demi-douzaine de créations de groupes (La Tordue, Têtes Raides, Brigada Florès Magon, le rappeur Médine…) et la symphonie contemporaine Pêle-mêle de Thierry Blondeau, dédiée aux victimes d’octobre 1961 et donnée à Radio-France. Quelques productions théâtrales récentes abordent aussi le sujet Lamento pour Paris de Hamma Miliani,  C’était un 17 octobre de M.C. Prati-Belmokhtar et La Pomme et le couteau, les disparus d’une nuit d’octobre d'Aziz Chouaki. Les essais historiques emportent naturellement la palme des productions sur un évènement qui n’a peut-être pas livré tous ses secrets, bien que plusieurs ouvrages, comme La Bataille de Paris de Jean-Luc Enaudi (Points, 2007), aient grandement débroussaillé les dénis ou les non-dits. Il ne serait pas inutile enfin qu’un inventaire exhaustif soit dressé de toutes les expressions liées à cette terrible résurrection du Moyen-Age au milieu du XXe siècle et de la ville des Lumières.
 


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