«Une forme
d'expression établie est aussi une forme d'oppression.» Ionesco
Les regards et
les esprits sont, dans un consensus d'été, siesteur, tournés vers l'Afrique du
Sud pour suivre les équipes les plus performantes de la planète foot. Au fur et
à mesure que les jours passent, les décantations se font, des éliminations sont
bien ou mal vécues selon les pays, leur degré de démocratisation et le niveau
de la liberté d'expression dans les médias, pour les syndicats, la société
civile et les représentations politiques. Les victoires et les défaites
reflètent, dans leur gestion et leurs répercussions dans l'espace public, des
niveaux de légitimité, les régulations politiques dans les médias et les
éventuelles manipulations du sport pour le contrôle de la société. La
confrontation sportive qui oppose au pays de Mandela des nations, des écoles,
des entraîneurs, des nationalismes sectaires ou sereins à travers des tenues
vestimentaires, des maquillages étudiés, des chants, des musiques et des
danses, révèlent l'état du monde et celui intérieur dans chaque pays qualifié.
La Coupe du
monde, essentiellement celle de 2010, a mis en exergue une tendance lourde,
surtout à l'Å“uvre dans les grands pays développés d'Europe, aux USA, qui ne
touche pas les pays arabes et africains. Les métissages, les résonances des
noms propres, la couleur de la peau, la gestuelle religieuse lorsqu'un but est
marqué, lorsqu'à la fin d'un match l'émotion submerge, témoignent d'une
évolution mondiale dans laquelle les mélanges et les altérités gagnent du
terrain de manière significative, qui préfigurent une humanité de plus en plus
colorée et rapidement. Pour ceux qui observent les rencontres en Afrique du
Sud, qui écoutent la musique des noms lors de la lecture des compositions des
équipes, il y a des évidences et des réalités lourdes de sens, dans la
direction d'un affaiblissement des nationalismes étriqués, chauvins, entretenus
par des sectes du troisième âge et des pouvoirs distanciés définitivement par
le village global médiatique, la vitesse des technologies de la communication
et celle des infos qui arrivent de partout.
Les équipes
d'Angleterre, des Pays-Bas, de France, du Danemark, des USA alignent des
joueurs à la peau noire, aux profils asiatiques sinon porteurs d'un double ou
triple mélange humain, les équipes d'Afrique et du monde arabe restent régies
par la consanguinité, la fermeture aux autres. Mais ces derniers, lorsqu'ils
sont des scientifiques, des artistes, des sportifs de haut niveau, des
créateurs de modes ou des inventeurs, ont-ils vraiment envie de tenter la
«harga» ou l'émigration légale vers un pays arabe ou africain ? C'est plutôt
dans l'autre sens que le mouvement s'accentue. C'est ce que donnent à lire les
compositions des équipes de foot, les mondes du cinéma, de la danse, de la
musique, de l'économie et même de la politique.
Beaucoup
d'équipes se sont qualifiées pour l'Afrique du Sud. Les supporters restés au pays
ou qui ont fait le déplacement aiment sûrement leur équipe, leur drapeau et
donc leur nation. Avec les limites qu'imposent «le métier» de supporter et les
obligations de service public (TV et radio), chaque nation, si possible sans
violence et bonne humeur, apporte de toutes les façons festives son soutien au
onze national. Deux pays se sont distingués, de façons différentes certes, dans
la manière d'accompagner leur équipe en Afrique.
Les scandales à
répétition, les conflits internes, un parcours médiocre ont marqué durablement
l'équipe de France qui a été, dans une totale liberté d'expression et
d'information, analysée sous toutes les coutures par les journalistes, les
experts et de nombreux anciens internationaux. Les citoyens et les supporters, eux
aussi, ont eu les possibilités de dire en toute liberté leur sentiment. En
Algérie où l'EN a été malmenée durant une bonne partie de son parcours, il a
été fait assaut d'une cacophonie «musicale» médiatique d'une indigence crasse,
déroulée en boucle matin et soir. Les relents d'un petit nationalisme ont
submergé même une radio qui fut jeune, «festive», décontractée, plus ou moins
rationnelle. Des émissions «spéciales», quotidiennes ont mixé un zeste de
religiosité, de «fakhfakha» comme si les Algériens étaient les seuls au monde à
aimer leur équipe, leur drapeau et leur pays. «Nous aimons l'EN». «Nous
sortirons les drapeaux». «Il faut être tous derrière les joueurs». On a même
ramené un matin, dans une émission radio, un homme qui a affirmé qu'il avait épousé
sa femme (une Algérienne) par amour pour le foot de l'Algérie! S'il est admis
que tous les peuples qui aiment le foot aiment leur équipe nationale, nous ne
voyons pas et nous n'entendons pas dans les médias (publics et privés) de
grands pays européens qualifiés ce déferlement de chants patriotico-sportifs,
d'émissions répétitives, d'incantations mystico-religieuses à longueur de
journée, comme si l'avenir de nos enfants dépendait d'un ballon. Super
patriotes, super nationalistes, plus que tous les autres sans aucune exception.
C'est l'image martelée par les journaux et les médias lourds.
Fermés sur
eux-mêmes, arrogants et imbus d'une supériorité pourtant introuvable dans les
niveaux scolaires et universitaires, dans la recherche scientifique, dans la beauté
de l'urbanisme et l'environnement dans lesquels dominent implacablement les
énormes portes en fer (vert kaki, bleu terreur, orange hurleur, gris sombre)
des «garages» dits commerces au dessus desquels on construit comme on veut.
L'intolérance et le refus des autres aux plans culturel, religieux,
vestimentaire, alimentaire, festif, font de l'Algérie le pays le moins visité
du bassin méditerranéen. Le reflux de millions de touristes vers la Tunisie, la
Turquie et le Maroc (pays musulmans a près de 100%) n'inquiète personne car, au
fond, tout le monde sait que le pays ne sera jamais un pays attractif pour les
touristes d'Europe, des USA, des pays asiatiques et scandinaves.
Dans un autre pays musulman, à vocation
touristique, un étranger sait qu'il peut manger, boire de l'alcool, de jour
comme de nuit, trouver des toilettes propres et parfumées, qui ferment de
l'intérieur. Même un vendredi toute la journée. Le foot peut servir de
défouloir un moment, mais pas tout le temps, alors que les TV sur satellite donnent
à voir, toute l'année, de grands clubs, des rencontres de très haut niveau sur
toute la surface du globe. Le mélange de couleurs de peau, la résonance des
noms de joueurs venus de partout, la diversité des religions pratiquées ou pas
par les sportifs qui font de nombreuses équipes nationales présentes au Mondial
2010 caractérisent un monde métissé qui se dessine.
Entre ceux qui veulent une «structure pour
écrire l'histoire», la chasse aux couples «non déclarés», le développement de
cabinets autorisés de rokia, des députés qui travaillent pour l'ex-vice
président américain et le retour du couffin ramadhanesque, allez demander aux
jeunes touristes ou plus âgés de venir chez nous, à notre jeunesse de rester
ici et à nos élites expatriées de rentrer! La tendance lourde, ici, n'est pas
au métissage enrichissant, mais à la fermeture, à l'intolérance qui gagne du
terrain et à la derbouka sportivo-populiste qui ne dure que le temps d'une
compétition où il y a toujours plus fort que tous les autres. Comment progresser
et soigner une image de marque? En imposant une «autorisation préalable de
sortie» aux universitaires pour des rencontres qui menaceraient le pays!
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Posté Le : 24/06/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abdou B
Source : www.lequotidien-oran.com