Algérie

Ils attendent leur relogement depuis 7 ans : Sinistre vie de chalet


Ils attendent leur relogement depuis 7 ans : Sinistre vie de chalet
Des centaines de sinistrés du séisme de mai 2003 habitant encore dans des chalets à la Sablière, dans la périphérie est du chef-lieu de wilaya de Boumerdès, sont sortis, hier, dans la rue pour crier leur colère contre « les retards injustifiés mis par les autorités pour la reconstruction de nos habitations ». Ces familles, nombreuses, sont en proie, en effet, à d'inextricables difficultés depuis plus de sept ans. Seuls les éclats de voix et les cascades de rires de quelques enfants confèrent un semblant de vie aux lieux. Samedi, synonyme de jour sans école, Abir et Melissa, deux fillettes de 7 à 8 ans, jouent devant chez elles, comme doivent le faire tous les enfants à travers le monde. Insouciantes et joyeuses malgré le froid de janvier. Elles se lancent dans toutes les directions, puis s'arrêtent brusquement pour se chuchoter à l'oreille des choses qui les font s'esclaffer, puis se mettent à sautiller et, au final, elles décident d'arpenter la courte allée qui sépare leurs deux maisons. Lorsqu'on leur demande où elles habitent, Abir répond, une moue boudeuse rembrunissant son joli visage : « Ben c'est ce chalet-là, avec les barreaux. » Puis elle ajoute à brûle-pourpoint : « Mais si nous vivons ici, c'est parce que notre maison, à Boumerdès, s'est effondrée lors du séisme. » Promenant son regard tout autour, les joues rosies par l'effort cinétique, elle lâche du bout des lèvres : « Mais moi, je n'aime pas vivre ici. » Il fait un temps glacial et la morosité hivernale s'ajoute à la morne ambiance qui règne sur le site des sinistrés du tremblement de terre du 21 mai 2003. Les nuages, sombres et bas, annoncent l'imminence d'une averse. Des bourrasques d'un vent froid balaient la falaise qui surplombe la plage connue sous le nom du Rocher Pourri. Des baraques y sont installées. Depuis ce « black wednesday », des familles entières sont venues peupler ce havre de paix jadis impossible d'accès aux piétons comme aux voitures. Le tremblement de terre comporte un lourd bilan : officiellement près de 2300 morts, 12 450 blessés et quelque 170 000 sans-abri. Ainsi a basculé le destin de milliers de personnes. Abir, qui tente de se frayer un chemin à travers les allées boueuses du site, ose un « c'est beau, hein » en désignant du doigt, en contrebas, la mer bouillonnante aux reflets métalliques. S'arrêtant, elle promène un regard sur la « végétation ». La pente qui mène à la plage, et qui connaît souvent des éboulements de terrain, est recouverte de détritus, de déchets de matériaux de construction, de plâtras en tout genre et de ferraille.Voisinage inaccoutumé pour baraques métalliquesDes sachets virevoltant au gré du vent s'accrochent dans les ronces ou terminent leur course tourbillonnante plus haut, sur les murs, les fenêtres et les grillages des petites « maisons ». Dans l'air flotte une odeur particulière, âcre, insistante et qui couvre les effluves iodés. Un troupeau de plusieurs dizaines de moutons, de chèvres et de vaches slalome nonchalamment entre les voitures. Melissa, timide, court se réfugier dans le giron de sa maman. Et cette dernière de déclarer : « Ce n'est pas un environnement sain pour élever des enfants. Mais il faut bien qu'elles jouent un peu. Alors, on les surveille de très près ». Elle en posant sur sa fille un regard angoissé. « Ma petite a été gravement blessée lors du séisme. Elle a une broche dans la cheville », nous confie-t-elle en écrasant une larme. Elle est rejointe par sa voisine, la maman de Abir. Cette dernière est veuve. Elle a à sa charge quatre enfants, dont une fille handicapée parce qu'ensevelie sous les décombres de leur maison. Abir, en entendant sa mère raconter cette tragédie, lance le plus naturellement du monde : « Moi je suis restée deux mois dans le coma. » Ce ton quasi anodin résulte assurément du fait que dans ces sites de chalets, les occupants sont tous non seulement des sinistrés, mais aussi et surtout des rescapés. Des miraculés, sortis in extremis de l'horreur. Et, dans la plupart des cas, des orphelins, des veuves, des veufs et des parents ayant perdu un ou plusieurs enfants dans l'hécatombe. Epargnés par le sort, aujourd'hui, sept ans après, ils sont toujours obligés de demeurer dans ce qu'ils appellent « des baraques métalliques ». Qu'on avait juré provisoires. Mais c'est déjà presque toute la vie des plus jeunes. Les sites dans lesquels ils sont parqués sont situés à quelques kilomètres du centre-ville de Boumerdès.Isolés, éloignés de tout et de tous, ils vivent coupés du monde. « Au départ, lors de notre installation, nous pensions vraiment que ce n'était qu'une histoire de quelques mois. D'autant plus que nous avions passé des mois très éprouvants sous des tentes. C'était un soulagement d'avoir un toit en "presque dur" pour nous protéger du froid et de la pluie de l'hiver », se rappelle une professeure d'université, membre de l'association Ibn Khaldoun, reconstruction des 520 logements Boumerdès. « En plus, tous les chalets étaient occupés par des voisins de la cité des 1200 Logements, dont les immeubles étaient classés orange », ajoute-t-elle, les yeux dans le vague. Cependant, à mesure que les travaux de réhabilitation des bâtiments s'achèvent, les propriétaires regagnent leurs appartements en ville, les baraques se vidant tour à tour. Celles-ci seront redistribuées à d'autres familles, défavorisées, dans le cadre social. « Je ne veux pas paraître mauvaise ou hautaine. Seulement, nous sommes tous cadres, professeurs, salariés ou fonctionnaires. Nous travaillons dur, mais en raison du prêt contracté pour la reconstruction et que nous remboursons, nous en sommes réduits à cela », confie-t-elle, la voix étranglée par un sanglot. « Et ça nous fait mal au c'ur de vivre dans ces conditions, dans ces conteneurs », ajoute-t-elle.Car, si certains ont pu nourrir le fantasme « chalets en bord de mer = vacances à longueur d'année », qu'ils se détrompent. Une brève visite les persuadera de ' osera-t-on le mot ' la misère dans laquelle évoluent ces centaines de familles.Des chalets qui se désagrègentParfois nombreuses, elles sont réduites à cohabiter tant bien que mal dans un espace de 30 m2. « Nous sommes huit à nous partager les deux chambres et le salon », raconte une jeune fille, après un tour du propriétaire plutôt rapide, tant on a vite fait de faire la visite de « l'humble demeure ». Quid de l'intimité ' « Intimité ' Quelle intimité ' Nous n'en avons tout bonnement pas. Pour que l'un de nous se change, c'est toute une gymnastique. Alors là, il est impossible de parler au téléphone, ou ne serait-ce que de rester seul, juste pour quelques minutes », explique-t-elle. Et d'ajouter : « En plus, regardez' » Elle fait un pas à l'intérieur du chalet qui, malgré la forte senteur de détergents, garde une odeur d'humidité. Le parquet craque, bouge et tangue sous le poids de la jeune fille, pourtant menue. Et ce sont tous les murs qui suivent le mouvement, dans une suite de grincements, de vibrations et de vacillements. « Vous imaginez l'effet que cela fait en pleine nuit, lorsque l'un de nous se réveille », commente-t-elle. Car les bicoques ont une durée de vie limitée d'une dizaine d'années au maximum, tout comme toutes les installations y attenant, systèmes d'évacuation et de plomberie. « Ceux-là, c'est cinq ans », affirme-t-elle. En dépit des récurrents travaux d'entretien effectués afin de contrer l'effondrement de la structure, rien n'y fait : la bicoque se désagrège lentement. « Des pans du plancher, comme vous l'avez vu, s'affaissent souvent », dit-elle en désignant de larges surfaces de stuc marron vissées au parquet gris. « Et je ne vous raconte pas ce que fait la pluie », s'amuse-t-elle malgré tout. Dans les chambres, les plafonds sont parcourus de larges auréoles sombres dues aux fréquentes infiltrations d'eaux pluviales. Dans l'angle qui marque la jonction entre les murs et le plafond apparaissent de longues traînées noirâtres dues au haut taux d'humidité. Les spores des moisissures sont incrustées derrières de larges bandes d'adhésif. Il y en a d'ailleurs un peu partout sur l'étendue des parois. « C'est pour ne pas laisser la pluie s'égoutter dans la pièce », commente-t-elle. « Ça ne marche pas tout le temps, mais l'on fait avec les moyens du bord », souffle la jeune fille. Voyant que le déménagement tardait à venir et surtout que l'exiguïté des lieux devenait invivable pour tous, son père a « agrandi » le chalet. Il a construit un « vrai » mur tout autour du chalet.Environnement hostile pour une génération de « sauvages »Puis il y a ajouté un toit. Un potager, un évier ou encore des placards sont venus s'ajouter à ces « dépendances ». « Ça nous facilite les choses, mais uniquement lorsqu'il fait beau », tempère la jeune fille. Car la proximité de la mer et la précarité des chalets exposent leurs habitants aux phénomènes météorologiques dans toute leur violence. « En été, c'est la fournaise. Une véritable étuve. En hiver, c'est un congélateur », déplore une mère de famille. Car dans les deux cas, les sinistrés restent cloîtrés chez eux afin d'être épargnés un tant soit peu des caprices de Dame Nature. Du moins lorsque les délestages d'électricité leur permettent de jouir de la climatisation ou de chauffages électriques. « En hiver par exemple, nous sommes obligés de recourir à des chauffages à bobonne de gaz butane, avec les risques de brûlures et d'asphyxie qu'ils présentent », confie-t-elle. Mais le « système D », s'il peut soulager ou amoindrir les dures conditions climatiques, ne prémunit pas des troubles sanitaires provoqués par l'humidité qui glace les os et s'infiltre jusqu'à la moelle ou noircit accessoirement les parois des chalets. « Je n'ai jamais eu de problème de santé. Mais depuis que je suis obligée de vivre dans cette baraque, j'ai développé une sévère maladie pulmonaire », dit une quinquagénaire. Etre affecté quand on est dans la force de l'âge, alors qu'en est-il de l'état de santé des plus jeunes et fragiles ' Surtout lorsqu'ils ont passé la majeure partie de leur courte vie dans ce ghetto. La plupart des parents ne peuvent d'ailleurs pas s'empêcher de s'inquiéter, et à raison, des répercussions néfastes de ces conditions sur la vie future de leurs enfants. « Ils sont tous asthmatiques, allergiques à l'humidité, sous traitement pour diverses maladies respiratoires et pulmonaires », explique une mère de famille. Mais les parents sont encore plus anxieux quant à cet environnement hostile, peu propice au développement et à l'épanouissement de leur progéniture. Et encore moins à leurs études. « Comment voulez-vous qu'ils arrivent à étudier correctement ' », s'indigne une mère, écrasant une larme sur sa joue.« Dans les chalets, il n'y a pas assez de place pour installer un bureau. Comment voulez-vous qu'ils se concentrent quand l'espace est si réduit, que les cloisons sont si fines et qu'il n'y a pas assez de calme ' », poursuit-elle. Sa voisine continue : « Mon fils, à l'heure de faire ses devoirs, vient me trouver en pleurant : maman, je n'arrive pas à travailler, la cocotte-minute fait trop de bruit ! » Levant les bras au ciel, elle s'écrie : « Nous pensions que la malédiction s'était abattue sur nous en ce mercredi d'enfer. Nous pensions nous en être tirés. Mais la malédiction est que nous soyons toujours ici, dans un pays qui se targue de réserves de change de plusieurs milliards de dollars. Un Etat qui s'enorgueillit d'avoir construit un million de logements. Honte à vous ! » Puis, sa voix se cassant dans un sanglot, des plis d'amertume se dessinant autour de sa bouche, elle glisse : « Nos pauvres petits ne connaissent pas d'autre vie que cette vie de ghetto. » Comment y réapprendre à vivre, ou apprendre à vivre, lorsque l'on tout a perdu ' Comment arriver à se reconstruire ou à se construire dans ces conditions ' « Cela est affreux à dire, mais "ils" en ont fait une génération perdue. Une génération de "sauvages" », murmure douloureusement une sinistrée, en couvant du regard une poignée de bambins qui jouent, insensibles et indifférents au froid et aux rafales de vent.
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)