Algérie

« Il y a absence manifeste de volonté politique"



La loi 06/01 résulte de la transposition en droit interne algérien de la Convention contre la corruption, adoptée en 2003 par l'ONU et ratifiée parl'Algérie en 2004. Cette loi contient un grand nombre de recommandations générales liées surtout à la prévention et très peu de prolongementsréglementaires. Djilali Hadjadj porte-parole de l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) aborde, dans cet entretien,les mécanismes pouvant lutter contre la corruption Comment expliquez-vous que l'organe deprévention et de lutte contre la corruption nesoit toujours pas entré en fonction ' L'Agence gouvernementale contre la corruptionest en attente d'installation depuis la parutionde la loi 06/01 du 20 février 2006 relative àla prévention et à la lutte contre la corruption,qui en a prévu la création ; un retard qui avoisineles 3 ans et demi ! Un des textes d'application decette loi est le décret présidentiel du 22 novembre2006 qui fixe la composition, l'organisationet les modalités de fonctionnement de cetorgane ; mais là aussi plus rien depuis. Cet énormeretard dans l'installation effective est l'absencede volonté politique de lutter contre la corruption,absence de plus en plus manifeste et quin'est plus à confirmer. Les pouvoirs publics démontrenttous les jours que c'est leur choix. Mais alors pourquoi avoir ratifié en 2004 laConvention des Nations unies contre la corruption ' Pourquoi avoir légiféré en 2006,une loi très insuffisante au demeurant ' Tout cela était un simple coup d'épée dansl'eau, à la fois pour les consommations interne etexterne, mais aussi pour faire de ces instrumentsdes moyens de pression et de chantage dans lecadre des pratiques de règlement de comptes ausein de l'oligarchie au pouvoir et de sa périphérie.Les nombreux scandales de corruption, enconstante augmentation, en sont aussi la preuve.L'Exécutif est en train de « dératifier » laConvention des Nations unies contre la corruption,se désengageant toute honte bue et allantjusqu'à s'opposer frontalement à la mise en placeau sein des Nations unies de mécanismes internationauxde suivi de l'application de cetteConvention (notamment lors des deux premièresconférences des Etats-partie, en décembre2006 en Jordanie et en février 2008 enIndonésie) ! Cette « dératification » est probablementle résultat d'un consensus, au sein du pouvoir,visant à geler de fait l'application de la législationanti-corruption, notammentl'installation effective de cet organe, et à contrertoute velléité d'où qu'elle vienne de lutter contrela corruption.Par ailleurs, tout un chacun a en mémoirel'éphémère expérience de feu l'« observatoire nationalde surveillance et de prévention de la corruption » créé en 1996 par le président Zeroual etdissous en 2000 par l'actuel chef de l'Etat. Le président de la République n'a mêmepas désigné les 6 membres de l'organe' C'est effectivement une prérogative du présidentde la République et, à ce jour ni les6 membres ni le président de cet organe n'ont éténommés. Parmi les raisons de la non-installationde cet organe pourrait figurer le désaccordsur le choix de ces « 7 incorruptibles ». Chaque« puissant » du moment voudrait placer son hommepour mieux contrôler cet organe et ne pas enêtre « victime »' Vous avez dit que la loi 06/01 est en retraitpar rapport à l'esprit de la conventiononusienne... La loi 06/01 résulte de la transposition endroit interne algérien de la Convention contre lacorruption, adoptée en 2003 par l'ONU et ratifiéepar l'Algérie en 2004. Cette loi contient ungrand nombre de recommandations généralesliées surtout à la prévention et très peu de prolongementsréglementaires. Elle est très en retraitpar rapport à la Convention des Nationsunies et à celle de l'Union africaine, notammentconcernant l'absence d'indépendance de l'organede prévention et de lutte contre la corruptionprévu par la loi, l'absence du droit à l'accès à l'information,les limites du dispositif relatif à ladéclaration de patrimoine, les restrictions dansla participation de la société civile, la non-protectiondes dénonciateurs de la corruption, lesrevers d'une nouvelle incrimination intitulée dénonciationabusive, etc. Comment expliquez-vous le fait que lescadres de l'institution militaire ne soient pasconcernés par la déclaration du patrimoine ' Le processus de déclaration de patrimoine estdéfini par la loi 06/01 et par les textes réglementairesdu 22 novembre 2006. Non seulement ceprocessus n'est pas appliqué, mais il est complexe,insuffisamment détaillé, les catégories dedéclarants sont multiples et la diversité des niveauxde gestion des déclarations le compliqueencore davantage. Concernant les cadres del'institution militaire, effectivement, l'article 6de cette loi, qui énumère les fonctions et mandatssujets à déclaration, ne comprend pas leschefs de l'armée, contrairement à l'ordonnancen°97-04 du 11 janvier 1997 qui le prévoyait àtravers son article 6. Qui a voulu faire ce « cadeauempoisonné » aux militaires ' Est-ce à lademande de leur institution ' Cette dérogationde fait est contre-productive pour les chefs del'armée : elle sème le doute et la suspicion etpourrait faire croire qu'ils bénéficient d'un statutd'impunité alors que la Convention des Nationsunies et la loi 06/01 précisent que la déclarationde patrimoine concerne les « agents publics ».Si au regard du droit algérien, les militaires nesont pas des « agents publics », il aurait fallu lepréciser dans la loi du 20 février 2006 ! Mais nulne doit être au-dessus de la loi. La loi portantstatut de la magistrature du 6 septembre 2004 aprévu un dispositif particulier de déclaration depatrimoine pour les magistrats. Pourquoi n'a-tonpas fait de même au niveau de l'ordonnancen°06-02 du 28 février 2006 portant statut généraldes personnels militaires ' Il est temps derectifier le tir et d'intégrer les militaires dans lecorps des « agents publics ». Le rôle de la société civile est occulté,contrairement à la convention de l'ONU' En effet, l'article 15 de la loi 06/01 est très restrictifà ce sujet et n'évoque pas du tout les associations ; cet article reflète d'ailleurs la positionnégative sur cette question de la délégation gouvernementalealgérienne lors des négociationsde la Convention des Nations unies contre lacorruption à Vienne de 2001 à 2003. Cette positioncontraire à l'esprit et à la lettre de laConvention onusienne est confirmée au quotidienpar toutes les pressions, les intimidations,les interdits et les emprisonnements arbitrairesque subissent les associations libres, les syndicatsautonomes, les médias indépendants et lesdénonciateurs de la corruption. A quoi serait due la disparition de fait de laCour des comptes ' Lui rappelant de très mauvais souvenirs, Bouteflikane veut pas entendre parler de la Cour descomptes ! Créée en mars 1980 surtout pour réglerdes comptes au sein du pouvoir, la Cour descomptes a eu pour « premier client », un certain...Abdelaziz Bouteflika, nouvellement déchu dupouvoir par le « nouveau » pouvoir ' après la disparitionde Boumediène : le dossier à charge n'apas été difficile à remplir tellement l'impunitéétait la règle pour tous ceux qui ont eu à occuper,de très longues années durant, des fonctions ministériellesimportantes, « sonnantes et trébuchantes ». Le quotidien gouvernemental ElMoudjahid de l'époque avait d'ailleurs participéau lynchage de Bouteflika, publiant des pagesentières sur les conclusions de la première enquêtede la Cour des comptes présidée au momentdes faits par Ahmed Taleb El Ibrahimi. Arrivéau pouvoir en 1999, Bouteflika a tout faitpour ignorer la Cour des comptes, refusant parexemple de publier le rapport annuel de cetteinstitution au Journal officiel alors que c'est uneobligation législative ; son prédécesseur a eu aumoins le mérite de le faire à deux reprises. N'eûtété la consécration constitutionnelle de cet organede contrôle, on peut penser que Bouteflikaaurait dissous la Cour des comptes.Il a essayé depuis, suite aux recommandationsde la commission qui a planché sur la réformedes institutions de l'Etat, de substituer à la Courdes comptes une inspection générale de l'Etatplacée directement sous la tutelle de la présidencede la République, mais visiblement, ce projetn'était pas pour plaire aux autres décideurs dupouvoir. En attendant, la Cour des comptes agonise,dirigée par le même commis du pouvoirdepuis plus de 12 ans.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)