Algérie

IL TRANSFORME LES RACINES MORTES EN PERSONNAGES EXTRAORDINAIRES POUR RACONTER DES LÉGENDES



IL TRANSFORME LES RACINES MORTES EN PERSONNAGES EXTRAORDINAIRES POUR RACONTER DES LÉGENDES
Ahmed ne construit pas des œuvres, il se contente de respecter les formes des racines mortes qu'il habille d'une couche de vernis. Il leur donne une vie artistique. Ahmed Bakdi croit dur comme fer que la racine, contrairement au tronc et aux branches, parle. Il ramasse ces «choses» dans les lits d'oueds calmés après les crues ou dans les rivages qui ont subi la furie des tempêtes. Il travaille certains bois mais refuse d'être classé comme sculpteur.Cette vocation a commencé à le prendre lorsqu'il était apprenti charpentier marin aux côtés de son père pêcheur. Il est beaucoup plus un messager de la nature qu'un artiste. Son œuvre est l'explosion d'un instant. Chez lui l'œuvre est plutôt le résultat instinctif d'une inspiration. Ahmed, dont les aïeux sont originaires d'Afir, à l'est de Dellys, n'a pas fait d'école d'art.La soixantaine passée, Ahmed est comme ces poètes populaires qui se détachent de temps à autre de la vie sur terre pour méditer et rechercher l'inspiration.Cette inspiration vient ou ne vient pas à lui. C'est-à-dire, il est, à un moment de la vie, en symbiose avec des choses que nous, nous regardons avec dédain alors que selon lui, elles nous interpellent et nous racontent des intelligences et des règles de la vie.Ahmed Bakhlal ou Oubakhlali, de son vrai nom Bakdi Ahmed, est-il un voyant qui lit les destins dans la forme des racines mortes ' C'est probablement un extrasensoriel de surcroît autodidacte qui lit les états d'âme de la vie à travers des choses insignifiantes pour nous. Il scrute l'âme humaine fixant de son regard en constante interrogation des morceaux de bois morts et Dame Nature qui lui murmure à l'oreille des raisonnements. Le commun des mortels à la vue d'une racine morte d'un lentisque ne ressentira rien extraire de la chose. Ce n'est pas le cas pour Ahmed. Il y trouve des histoires singulières.En entrant dans sa caverne de Dellys, dans une cave d'un modeste HLM, il regarde parfois ébahi ces choses et ces personnages extraordinaires, nés de racines mortes. En l'écoutant raconter ces péripéties de la vie, on en ressort perplexe. Ahmed ramasse surtout les racines du lentisque (Eddharou en dialectal - Tidhaght en kabyle ou pestacia lentiscus en grec). «C'est parce que c'est le saint des arbres. C'est le bois le plus dur.» Il travaille également sur les racines de l'olivier ou de l'eucalyptus.Allons-y suivre les explications de quelques-unes de ses œuvres. Commençons par celle qui représente plusieurs volatiles. «Cette histoire je la raconte beaucoup aux gens. Un jour, un homme m'a ramené une racine. Elle représente des oiseaux dont l'un a quatre yeux. Il n'a jamais existé un volatile à 4 yeux. Mais la nature l'a fait avec 4 yeux et je l'ai laissé en l'état. Ce volatile cache sa tête. Il parle à ses deux compagnons de fortune – des volatiles comme lui. Il leur dit que la compassion et l'indulgence sont bonnes et je vous conseille de ne pas vous en séparer. Voilà j'ai quatre yeux et je ne suis pas arrivé à trouver pitance et je viens me refugier entre vous. L'un de ses compagnons prend la parole et dit “ce qu'il raconte est vrai. Moi aussi j'avais des petits et leur mère. Ils sont morts de faim et je suis resté seul”￾.» Tes œuvres ont-elles un message politique ' Comment tu perçois la vie ' «Il est difficile de trouver une juste réponse à tes questions. La vie a fait que je ne me retrouve plus dans la nouvelle mentalité des gens alors je ne sors plus de ma tanière (atelier, ndlr). Il n'y a plus ces discussions d'antant ni l'écho à ce que l'on dit. Parfois, j'ai l'impression de parler face au vent. Les discussions avec les gens sont devenues rébarbatives et insipides. »La justice et la balanceIl y a également l'histoire de cette balance. Lorsque l'aiguille de cette balance est au centre, les balanciers sont déséquilibrés, et lorsque les balanciers sont équilibrés c'est l'aiguille qui n'est pas à sa place. Explication : c'est la justice qui n'est pas en harmonie avec le sens de Justice.«Quand la justice est équitable, toutes les choses rentrent dans l'ordre juste. La richesse d'un homme, d'un foyer ou d'un pays n'a aucune valeur sans une justice équitable.» Et ce personnage fait avec un gros galet, du bois et du liège. Il n'a pas de bras. Quelle est son histoire ' «Un personnage marche. Il est appelé mais il ne peut pas se retourner. Des gens lui ont demandé où vas-tu, celui qui n'a pas de bras ' Il leur dit je pars. Est-ce que tu as une destination, toi qui n'as pas de bras. Même si je n'ai pas de destination je pars tout de même. Aujourd'hui celui qui n'a pas de bras (relation, ndlr) doit partir.»Le personnage en question est humble et mélancolique. C'est la destinée de tous les personnages de Bakhlali. Ils font face aux aléas de la vie. Ils portent le fardeau de la pauvreté mais gardent leur dignité et leur vérité. De telles histoires, la tanière d'Ahmed en regorge. Il nous faut tout un livre pour cerner partiellement Ahmed et ses personnages.Il invente des instruments de musiqueAhmed Bakdi aborde un autre art, celui de la musique puisqu'il a inventé des guitares et mandoles qu'il a confectionnés avec cet énorme fruit qu'on appelle dans le Tell, el keraâ – ce n'est pas la citrouille habituelle.Il a à cet effet déposé des modèles de mandolines notamment auprès de l'ONDA (l'Office national des droits d'auteur) sous sa propre marque.Les prix de ces instruments faits entièrement à la main sont relativement abordables. Il y a lieu de signaler que l'artiste refuse de vendre ses œuvres, sauf pour les guitares et mandolines.




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