Qu'avez-vous ressenti après les derniers attentats à Paris 'Ce qui est affligeant, c'est que toute la dérive actuelle était perceptible depuis longtemps, cela fait au moins 25 ans qu'on voit cela s'installer et puis voilà.Puisque vous nous invitez à remonter le temps, il y a 25 ans, c'est vers l'Algérie que les regards étaient braqués avec inquiétude. C'est la même violence, les mêmes criminels, en France avec force 'Je ne sais pas si c'est aussi fort, car l'Algérie a connu, selon les sources, jusqu'à 150 000 victimes, c'est une tragédie énorme dont la France a été protégée alors par les familles algériennes elles-mêmes, je crois qu'on ne l'a pas assez perçu et dit, mais durant toute la décennie noire en Algérie, les familles algériennes en France ont tout fait pour que ce drame reste de l'autre côté de la Méditerranée, avec beaucoup de vigilance. On peut dire alors que, mis à part l'affaire Khelkal et les attentats dans le RER à Paris, le drame a été limité.De la même manière, je pense aujourd'hui que la meilleure protection de la société française, et ça il faut que les Français l'entendent, ce sont les familles musulmanes, car elles ont toutes peur que leurs gamins partent dans ces histoires de fous, soit embrigadés, soit endoctrinés. Une société ne peut pas seulement se protéger uniquement par un appareil policier et militaire, surtout dans une démocratie.Les dégâts sont perceptibles déjà, puisque l'amalgame se fait jour avec des actes antimusulmans signalés dans le pays.Comment réagissez-vous à ces actes 'Malheureusement, c'était prévisible. On sait très bien que la haine existe dans différents camps et que des gens qui veulent la guerre civile, il y en a autant dans ceux qui peuvent se reconnaître dans le djihad que parmi des nationalistes français qui ont la haine de l'étranger depuis longtemps. Il y a des gens qui nous annoncent depuis des décennies le malheur et la catastrophe et qui sont tout heureux que ces événements se produisent.Ce n'est pas étonnant qu'on ait ces attentats ou ces agressions à l'encontre des musulmans qui se font agresser, des lieux de prière profanés. Il faut vraiment que les musulmans gardent leur sang-froid et n'entrent pas dans ce cycle de la violence dans lequel ils veulent les entraîner. Ils doivent garder confiance dans la société française qui, dimanche dernier, a montré qu'elle se levait et restait pacifique, ce qui est rassurant. Les sociétés sont fragiles et si nous avons de nouveaux attentats, ce qui est à craindre, tout peut basculer, il est donc nécessaire de se serrer les coudes.Ces derniers mois on pouvait craindre que le dialogue interreligieux ait du plomb dans l'aile. Faut-il arrêter ce processus ou le suspendre 'Il faut absolument continuer. Tout ce qui permet aux gens de se rencontrer, de se découvrir, de s'apprécier est fondamental. Le dialogue interreligieux n'est cependant qu'une dimension. La société française aujourd'hui est très loin de l'influence religieuse. Elle est de plus en plus agnostique, elle se déchristianise à grande vitesse.C'est donc dans tous les secteurs de la société avec les croyants et les non-croyants, avec les femmes et les hommes de bonne volonté qu'il faut multiplier les occasions d'échange. Le dialogue interreligieux ne va pas tout résoudre. Du côté des chrétiens, les églises ont de moins en moins d'influence, et du côté musulman, on voit bien que les institutions ont également moins d'influence sur les gens. La plupart des jeunes qui se laissent embarquer dans ces aventures meurtrières ont été recrutés plus par internet que par la mosquée du quartier.Vous qui êtes un homme de dialogue depuis toujours. Etes-vous inquiet aujourd'hui 'Oui, à plusieurs niveaux. D'abord parce que la menace est très forte. Ensuite parce qu'il y a toute une partie de la jeunesse de France qui a décroché de la société française, parce qu'elle s'est sentie discriminée et non prise en compte et qu'on a une pente très ardue à remonter. Je suis inquiet parce qu'il y a une haine antiarabe et antimusulmane très présente. Inquiet parce qu'il y a de l'antisémitisme qui renaît de façon violente. Il y a beaucoup de raisons d'être inquiet.Mais il ne faut pas se laisser paralyser mais réagir, ensemble. Je crois aussi, et votre appel pour El Watan est le bienvenu, que c'est dans le resserrement des liens entre les peuples des deux côtés de la Méditerranée qu'une partie de la solution viendra. Vous avez vécu une décennie noire et vous avez en quelque sorte une longueur d'avance sur nous, vous avez beaucoup souffert et vous avez su néanmoins ne pas succomber dans la guerre civile, vous n'avez pas été entraînés dans la voie vers laquelle voulaient vous emmener les jardiniers de l'enfer.
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Posté Le : 20/01/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Walid Mebarek
Source : www.elwatan.com