Algérie

«Il n'est pire orphelin que celui qui l'est de son idéal»



«Il n'est pire orphelin que celui qui l'est de son idéal»
«Il y a des hommes qui luttent un jour et ils sont bons, d'autres luttent un an et ils sont meilleurs, il y a ceux qui luttent pendant de nombreuses années et ils sont très bons, mais il y a ceux qui luttent toute leur vie et ceux-là sont les indispensables.» (Bertolt Brecht)Pour avoir côtoyé cet homme pendant près de 50 ans, soit une vie, pour avoir travaillé et collaboré avec lui, bref pour avoir été compagnons d'une même lutte, je trouve une vraie consolation à donner aujourd'hui témoignage sur ce grand ami, malgré la douleur et l'émotion qui m'étreignent.L'immense vide provoqué par sa disparition ne saura être comblé du jour au lendemain, peut-être ne le sera-t-il d'ailleurs jamais. Mais je veux exprimer ici la part qu'il nous a laissée en héritage, dire les traits de cet homme qui ont ajouté du sens à notre combat.Mon jugement pourra apparaître subjectif, il l'est, mais il n'obéit pas à une admiration inconditionnelle de Mohamed Abdelaziz, il repose sur des constats que chacun aura pu faire.Sa constance et son exigence quant aux fondamentaux de la lutte du peuple sahraoui, malgré les épreuves, constituent un de ses traits admirables. Il a fait preuve des mêmes qualités dans sa conduite au jour le jour, avec un sens profond de l'amitié.Assumant toutes les contraintes de la mission que lui a confiée le peuple sahraoui, contraintes ayant marqué toute sa vie, il s'est investi corps et âme, au point de souvent souffrir en silence, de négliger sa santé. Il n'a connu de repos, de répit, que lorsqu'il est parti vers l'au-delà.Mohamed Abdelaziz est venu à la cause sahraouie comme tout Sahraoui, en combattant, quand la disparition d'El Ouali Mustapha Sayed a laissé un premier grand vide, il a été poussé par ses compagnons ? des hommes qui au prix des larmes et de sang «ont renversé les murs du passé, et ouvert les portes de l'histoire», comme disait Pablo Neruda ? à prendre la relève, alors que le peuple sahraoui était dans le désarroi.Il a appris au fur et à mesure comment prendre les décisions, gagnant le respect de tous ses compagnons, du peuple sahraoui, et du monde, de l'Afrique notamment. C'était une école de combat. Son intelligence aidant, il a acquis une grande expérience, où le vécu et le pragmatisme ont été pour beaucoup.Il était avide d'apprendre. Sa capacité d'écoute était impressionnante : il faisait preuve dans ce sens d'une grande simplicité et modestie, et surtout de la volonté de comprendre.Très vite il s'est forgé dans la lutte de son peuple.Tout le monde est unanime pour dire qu'il a été un homme de terrain ; il était de tous les combats, de toutes les batailles, il avait une conscience aiguë de la responsabilité qui lui incombait, se souciant y compris des questions les plus quotidiennes. Rien ni personne ne lui était indifférent.Bien qu'il ait connu et traité avec les dirigeants et les personnalités les plus puissantes de ce monde, jamais il n'a cédé au chant des sirènes du pouvoir politique ou économique.Il tenait à deux éléments fondamentaux :1) plaider la cause de son peuple ;2) faire preuve de gratitude vis-à-vis de ceux qui expriment leur solidarité, et surtout ne pas désespérer de convaincre, de trouver encore plus d'amis pour la cause, partant de l'idée que la force d'une lutte de libération est d'additionner les énergies, de cumuler les soutiens. Au fur et à mesure, il a acquis une connaissance intime des gens, de la société, des arcanes de la diplomatie, des formes parfois ingrates de la lutte (avec la routine, la répétition des actes), et des objectifs à tenir.Il faut rappeler que la lutte du peuple sahraoui est une lutte de libération nationale, mais aussi une lutte pour reconstruire la société, car le colonialisme l'a mise en déshérence, l'a ravagée. Mohamed Abdelaziz s'est voulu bâtisseur d'une société tolérante, ouverte et démocratique. Et si le régime expansionniste marocain mène de son côté une politique de division, de guerre intérieure sale, allant de la propagande à l'intox, lui militait définitivement pour l'unité du peuple, qu'il considérait comme la plus précieuse des valeurs. A ce propos, comment ne pas se souvenir du célèbre discours qu'il prononça le 20 mai 2005, où il annonçait le lancement de l'Intifadha de l'indépendance, donnant réalité à l'union entre les territoires occupés et les campements.Il était le premier à mettre la main à la pâte, dans les campagnes de sensibilisation ou de nettoyage, comme pendant la guerre où il était toujours en première ligne jusqu'au cessez-le-feu ; que de fois ses compagnons ont essayé de l'écarter du champ de bataille, de le dissuader de participer au combat, pour le préserver, ce qu'il a toujours refusé. Non pas qu'il «jouait» les héros, mais son intrépidité, sa bravoure étaient patentes. Par sa force, par son exemple, qui allaient bien au-delà des exigences de sa charge, il a acquis une très grande popularité : à preuve, l'émotion ardente qui s'est manifestée lors de son décès à travers toute la société sahraouie. Nous qui l'avons connu, nous avons appris à l'aimer, à aimer sa sincérité.Mohamed Abdelaziz ne manifestait jamais de rancune ; concernant le Maroc, il a écrit aussi bien à Hassan II qu'à son fils ; il a toujours cherché à transcender le conflit, partant de l'idée que les peuples de la région finiront par vivre en bonne intelligence.J'introduirai ici un souvenir personnel : en route avec le président Abdelaziz vers la Namibie, pour participer à un anniversaire de l'indépendance namibienne, nous sommes passés par l'Afrique du Sud. Il me posait beaucoup de questions, estimant que j'étais un bon connaisseur de l'Afrique du Sud et de son histoire : je lui ai alors décrit la scène où Nelson Mandela, recevant le juge qui l'avait condamné à perpétuité, serrait la main de son geôlier. Mohamed Abdelaziz dit alors avec magnanimité : «Ils sont allés plus loin que nous dans le pardon.» Avec le plan de paix de 1991, il a cru dans la perspective d'une solution pacifique au Sahara occidental, et il y a consacré toute son énergie pour convaincre la population sahraouie de négocier avec l'adversaire marocain.C'est au détriment de tous que les Marocains et leurs amis ont laissé passer l'opportunité de construire une paix solide entre nos peuples du vivant de Mohamed Abdelaziz. Ils l'ont traité par le mépris, sachant qu'ils ne pourraient jamais avoir une envergure comme la sienne.«Il n'est pire orphelin que celui qu'il l'est de son idéal», ainsi pensait Mohamed Abdelaziz, comme El Ouali Mustapha Sayed, comme Mohamed Sid Brahim Bassiri, et comme tous les combattants de la cause sahraouie.Ni le temps, ni les circonstances ne t'ont ménagé durant cette courte mais riche vie.Il y a tout un peuple qui va continuer à porter l'étendard de la lutte, des générations futures qui reprennent le flambeau, et tes compagnons qui veilleront à ce que l'on poursuive la tâche combien ardue sans toi, à ce que cette ardeur qui s'est dissoute en toi vive parmi les tiens et dans ton peuple pour toujours.


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