Algérie

"Il faut sortir graduellement d'un dinar indexé sur le pétrole"


Liberté : Le projet de loi de finances 2021 prévoit un important recul des cours du dinar contre le dollar américain. Quelle sera l'incidence de cette dépréciation sur le monde de l'entreprise 'Mouloud Hedir : Au-delà des chiffres, retenons simplement que le gouvernement prévoit de déprécier substantiellement le dinar, ce qui est une issue inévitable dictée par la crise très sévère que traverse actuellement l'économie nationale.
Rappelons juste que cette prévision officielle ne fera qu'amplifier davantage un processus qui a vu le dinar perdre plus de 40% de sa valeur au cours de ces cinq dernières années. Pour les entreprises, l'impact sera donc significatif. Le choc frontal affectera les entreprises endettées à l'extérieur qui auront à rembourser plus cher les crédits contractés, mais on sait déjà, a priori, que celles-ci sont peu nombreuses.
Il faut espérer à ce titre que la disposition du projet de loi de finances, qui compte imposer le paiement à terme des importations, ne sera pas adoptée au final pour ne pas les exposer aux dégâts du risque de change. Pour le reste, la dépréciation du dinar rend les importations plus onéreuses. Pour les producteurs, la proportion d'intrants importés varie d'un secteur à un autre et d'une entreprise à une autre. Le surcoût de ces intrants sera répercuté en tout ou en partie sur le prix de vente, chaque fois que possible. Pour les entreprises qui travaillent pour la commande publique, les contrats prévoient d'ordinaire des formules de révision des prix que l'administration devrait mettre en ?uvre avec diligence. Le gros problème qui restera posé concerne la sphère des produits essentiels à prix réglementés, comme les céréales, les laits, les médicaments, l'eau, les semences, etc.
Là-dessus, les services compétents de l'Etat ont devant eux une tâche immense à laquelle ils devraient s'atteler avec sérieux et abnégation. Ils devraient s'y préparer dès à présent, pour éviter d'étrangler toutes ces activités vitales pour l'économie nationale. S'ils sont mal préparés, ou si le processus de révision prend du temps, des secteurs comme les travaux publics, la construction, déjà impactés par les retards de paiement de l'Etat et les arrêts liés au confinement, seront totalement sinistrés.
Quelles mesures pourraient être envisagées pour amortir les impacts négatifs de la chute du dinar sur le pouvoir d'achat du citoyen, les entreprises et l'emploi '
Il convient avant tout de garder la tête froide. La situation économique actuelle s'est, certes, gravement détériorée, elle est le résultat d'années de gabegie, de corruption, de blocage de toute réforme sérieuse, elle est extrêmement dure, mais elle reste gérable pour peu que tout le monde arrête de bricoler et accepte de se mettre au travail. Et, par-dessus tout, notre pays doit cesser d'attendre stupidement une remontée des prix du pétrole qui ne viendra pas. Cela étant, il faut prendre la mesure du défi qui est devant nous et commencer, pour une fois, à regarder vers l'avenir.
Il ne s'agit pas seulement de chercher à amortir l'impact négatif d'une dévaluation inévitable de notre monnaie, il faut s'atteler à rebâtir entièrement notre système économique pour sortir progressivement d'un dinar indexé sur le prix du baril de pétrole. Concrètement, il y a deux tâches essentielles autour desquelles il faudra dorénavant mobiliser nos énergies : d'une part, mettre sur le chantier tout le programme des réformes que les gouvernements successifs ont annoncées depuis vingt ans et qu'ils n'ont pas su ou pas voulu engager. Cela concerne le système financier et bancaire, la gestion budgétaire, l'investissement, l'organisation de nos échanges extérieurs, la place du secteur privé, etc. La dépréciation du dinar serait alors à considérer comme un outil d'ajustement sur lequel s'appuyer pour rebondir et relancer durablement la croissance. Et d'autre part opérer une refondation complète de notre système social. L'Etat algérien y consacre chaque année d'énormes ressources financières pour un résultat dont chacun convient qu'il est largement insuffisant. On l'a vu avec le système de subvention aux produits de base qui nous coûte si cher et qui alimente notre dépendance économique. Mais cela est valable tout autant pour notre système de santé que pour notre politique salariale ou notre politique du logement. Si la politique sociale doit être préservée dans ses finalités, il faudra, en revanche, s'assurer que chaque dinar dépensé serve effectivement l'objectif recherché.
La dévaluation du dinar peut-elle être évitée '
Sur le fond, la dérive du taux de change du dinar n'est pas nouvelle, elle est consubstantielle d'une économie totalement dépendante du cours d'une matière première et qui ne veut pas se diversifier.
Dans l'immédiat, la question pratique qui se pose est de savoir si nous devons continuer à réguler nos échanges extérieurs par le recours à toutes sortes de restrictions bureaucratiques lourdes, complexes à mettre en ?uvre et souvent stériles (licences ; interdictions ; droits de douane spécifiques ; taxes diverses ; etc.), là où l'outil universel de la dévaluation est nettement plus simple et plus efficace. Par ailleurs, et au rythme où s'épuisent nos réserves de change, il est clair que nous serons rapidement confrontés à une impasse. Déprécier le dinar est le chemin obligé si notre pays veut vraiment restaurer les équilibres de sa balance des paiements.

Propos recueillis par : MEZIANE RABHI
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)