Algérie

«Il faut sortir de la victimisation»



«Il faut sortir de la victimisation»
Mustapha Kessous est journaliste au quotidien Le Monde. Il revient dans cet entretien sur le film Français d'origine contrôlée qu'il a co-écrit avec son confrère Jean-Thomas Ceccaldi. Le film ? qui sera diffusé dans le magazine Infrarouge, sur France 2, aujourd'hui à partir de 23h ?, raconte la violence du racisme.-Pourquoi ce film, au moment où une partie de la France s'est complètement décomplexée par rapport à la question du racisme 'Quand nous avons commencé ce film, en mai 2011, on ne pouvait pas anticiper le climat actuel qui est malsain et détestable. Après, les raisons qui nous ont conduits à le faire, c'est une autre histoire. Personnellement, au début, je souhaitais faire un livre à l'occasion des 30 ans de la Marche pour l'égalité et contre le racisme. Je suis de Lyon et la Marche est née aux Minguettes, en 1983, à quelques kilomètres du lieu où j'ai grandi. J'avais 21 ans quand j'ai appris l'existence de la Marche, je n'en avais jamais entendu parler avant. C'était un choc, je ne comprenais pas pourquoi ce mouvement était tombé dans les oubliettes de notre histoire. Je me suis dit qu'un jour, je raconterai moi-même cette histoire. Après mûre réflexion, et suivant les conseils de ma femme, j'ai laissé tomber le projet de livre pour me concentrer avec Jean-Thomas Ceccaldi sur un film-documentaire qui nous a pris plus de deux ans de travail.-Pour vous, l'image et le son sont plus parlants que l'écrit 'Oui, je pense que l'image est plus parlante que le livre. Un bouquin qui traiterait de notre sujet a peu de chances d'intéresser. Un livre, c'est toute une démarche à suivre, qui réduit le nombre du public potentiel. Il faut aussi l'acheter, alors que le film documentaire, qui sera diffusé sur France 2, nous assure plus d'audience. On y raconte une partie de l'histoire de France. Nous voulons, en effet, que les Français découvrent cette partie de leur histoire qu'ils ignorent ou connaissent mal, celle de l'immigration racontée par ces «Français d'origine contrôlée».-C'est vrai que le titre de votre film est accrocheur. Mais que doit-on comprendre du concept d'«origine contrôlée» ' Le film donne la parole exclusivement à des Français d'origine maghrébine, car ils sont constamment renvoyés à leur apparence physique. Ce titre fait aussi référence à la police et au problème lié au contrôle au faciès. Français d'origine contrôlée veut donc dire que ces citoyens ne sont pas maîtres de leur identité. Ils n'ont pas le droit d'être ce qu'ils veulent : des Français... tout court ! Des Français qui peuvent manger du porc s'ils le souhaitent, ou aller à la mosquée? Mais non ! Vous aurez beau manger du porc, vous marier à une Française aux yeux bleus, appeler votre fils Antoine, on vous rappellera toujours que vous n'êtes qu'un Arabe.-Comment réagissez-vous quand vous êtes confronté à ce genre de préjugé 'C'est difficile. Il n'y a pas de bonne réaction. Parfois, ça me fait rire, parfois ça peut me mettre en colère ou je reste complètement indifférent. Dans mon travail aussi, ça m'énerve qu'on me résume à mon apparence physique.-Ce film s'adresse-t-il à l'Etat français, à cette partie conservatrice et raciste de la France, ou plutôt à la communauté maghrébine 'Sans aucune hypocrisie, je tiens à dire que je ne crois pas aux communautés. J'essaye dans mon travail de déconstruire certains mots. Au début de ma carrière, j'utilisais les mots «communauté», «beur», etc. Mais maintenant, j'ai compris que ces termes sont clivants. Je préfère dire que notre film veut s'adresser à la France entière, même s'il va particulièrement parler à une partie de cette France qui ne connaît pas son histoire. Je ne veux pas mettre les Français qui n'ont pas d'origine maghrébine sur le banc des accusés, mais leur dire : regardez ce qu'un grand nombre de vos compatriotes vivent. Notre travail s'adresse à tout le monde. On peut arrêter de se déchirer et vivre ensemble sereinement.-Les témoignages poignants du documentaire sont parfois très violents envers la République française et l'association SOS-Racisme. Attendez-vous que le documentaire suscite un débat 'Pour la génération de la Marche pour l'égalité et contre le racisme, son mouvement a été récupéré par SOS-Racisme, elle a le sentiment d'avoir été manipulée par cette association. Elle a été également déçue par la République qui l'a rejetée. Nous n'avons pas voulu trahir les acteurs de la Marche qui témoignent dans notre film, nous avons montré ce qu'ils disaient. Nous leur redonnons la parole sans la commenter. Chacun dit sa vérité, crue et sincère. Aujourd'hui, pour beaucoup d'entre nous, le discours antiraciste ne nous parle pas. A travers ce film, nous voulons susciter un vrai débat : comment impliquer davantage ces Français d'origine maghrébine dans la société ' Dans la politique ' Et comprendre pourquoi les partis ne présentent pas plus de candidats d'origine maghrébine dans les différentes élections ' Pourquoi certains Français d'origine maghrébine persistent à ne pas aller voter ' Je ne veux plus qu'on enferme les gens dans leur apparence physique, dans leur religion. La France est un pays très politique, et si on veut changer les choses, il n'y a pas trente-six solutions, ça passe par la voie électorale et démocratique. Il faut sortir de la victimisation et aller voter en force. Quant aux questions de discrimination, la République française a tous les moyens pour les combattre. Mais il faut qu'elle s'attelle sérieusement à cette tâche.




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