Algérie

«Il faut rapidement aller vers l'intelligence économique»



Nabil Djemaâ n'est plus à présenter au grand public. L'expert qui a l'habitude des plateaux télévisés, nous livre ici le fond de sa pensée concernant le déroulement de la Conférence nationale sur la relance industrielle. Sans prendre de gants, il nous livre un constat sans complaisance au sujet des solutions à envisager pour le secteur de l'investissement industriel. Du haut de son expérience d'expert judiciaire en opérations financières et bancaires, il s'insurge contre «l'absence des jeunes, lors de cette conférence». Il demeure convaincu que seuls les jeunes, imprégnés des nouvelles technologies sont à même de produire la révolution industrielle, évoquée et tant attendue par le président de la République. Nous vous invitons à découvrir la teneur de ses propos, sur ces colonnes.L'Expression:Peut-on régler les problèmes du secteur industriel et des investissements y afférents avec une conférence'
Nabil Djemaâ: Non, je ne pense pas. Mais en revanche, une conférence peut être une aide pour mettre au même diapason, tous les acteurs. Que ce soit l'Etat, les agents économiques, ou l'administration. Il y a plusieurs facteurs qui rentrent dans le développement d'une industrie. Donc, il fait que tous les agents économiques, que ça soit des administrations, des ministères, la place financière, les banques, tous doivent être au même diapason. C'est-à-dire maintenant, quand on se rencontre, on peut poser les problèmes. Mais le hic dans tout ça, est-ce que ces problèmes qui sont recensés et posés, vont-ils trouver des solutions dans le court, le moyen et le long terme' C'est autour de cela que se situe la problématique. Parce qu'il faut oser le dire. Je pense que charger le ministère de l'Industrie de relancer l'industrie, je ne pense pas que c'est faisable. Je pense que le document du gouvernement est assez clair à ce sujet. Il faut un mix pour aboutir à des résultats probants. Toutes les institutions doivent être impliquées de manière ciblée et responsable.
Il y a donc un effort de coordination à faire entre les différents secteurs'
Absolument. D'après les interventions du président de la République, il y a une coordination intersectorielle et les passerelles à mettre en place entre les différents ministères. Il faut aller vers les guichets uniques, qu'il faut mettre en place rapidement par plusieurs ministères. Le président a été clair à ce sujet, en évoquant les problèmes de corruption, de pots-de-vin, bureaucratie, blocages, etc... Pour éradiquer tous ces phénomènes, il faut aller vers l'intelligence économique. Qu'est-ce que cela veut dire' Par exemple, les guichets uniques et les guichets automatiques, comme cela est d'usage dans les pays développés, en Europe de l'Est aussi, on n'a pas affaire à des personnes, mais à des systèmes automatisés. Il faut accélérer la mutation vers le numérique et l'utilisation accrue de l'Internet. Les dossiers peuvent être déposés en ligne et traités en 24 heures, par exemple. C'est la seule manière d'éliminer toutes ces tares, ces blocages et tentatives de corruption... Prenons un exemple, celui du Royaume-Uni d'Angleterre. Vous allez dans un guichet automatique, où il vous est demandé de présenter un numéro de compte et votre projet et au bout de deux heures vous bénéficiez du financement auquel vous prétendez. Parce que la base de la relance de l'industrie, c'est le financement et l'importance du montant alloué. On a vu en Europe, la Banque centrale européenne a mis à contribution 750 milliards d'euros. Nous, on n'a pas encore les
chiffres. Il faut connaître les chiffres, pour savoir si c'est consistant ou pas
.
Le président a évoqué, hier, une révolution industrielle. Est-ce que cela n'implique pas d'aller vers une guerre déclarée contre les mentalités rétrogrades, les vieux réflexes bureaucrates et désuets, l'incompétence, etc...'
Effectivement, hier, nous avons assisté à une conférence d'un responsable sur l'industrie, sur le développement et la relance, qui n'a abordé que l'historique. Or nous, nous avons besoin qu'on nous parle du futur, de demain, ce qu'il y a lieu de faire. Le président a parlé de révolution. Donc on doit aller vers une révolution 1+1, en amont de la technologie de l'industrie, c'est-à-dire au 4.0. Nous n'avons pas parlé de la technologie. Aujourd'hui, si nous voulons vraiment aller vers une révolution industrielle, nous devons opter pour le numérique, comme l'ont dit les investisseurs à Davos. Nous, nous sommes encore à papoter. Nous n'avons pas l'industrie 4.0, nous n'avons pas l'intelligence économique, nous n'avons pas parlé aussi de l'apport des nanotechnologies dans l'industrie, les drones, la robotique, l'intelligence artificielle, etc... C'est cela la véritable révolution. On n'a pas encore vu ces investissements. On ne parle que de pommes de terre, de l'agro-alimentaire, etc... Et nous laissons de côté le développement de l'industrie. C'est cela, la cinquième révolution industrielle, la 4.0. Nous en sommes encore à évoquer le b.a-ba de l'industrie.
Hormis quelques moments d'intenses échanges, à voir les débats qui ont eu lieu dans les ateliers, nous avons cette impression de déjà-vu, n'est-ce pas votre sentiment'
Parfaitement, ce sont les mêmes constats que l'on fait à chaque fois, depuis 1962. D'ailleurs, le séminariste, assez âgé, qui a animé la séance matinale inaugurale, représente une ère révolue qui n'est plus d'actualité. Sa conférence était dépourvue de toute vision futuriste, englobant les nouvelles technologies et leur apport dans cette révolution annoncée. Un jeune conférencier aurait probablement pu nous présenter une nouvelle vision, on nous parler des portables, des nanotechnologies, de la robotique, l'électronique, le QR Code, etc. D'ailleurs, je vais vous raconter une anecdote qui m'a marqué. Nous avons perdu un temps précieux dans la matinée de samedi, devant les portes des ateliers, à vérifier les noms des participants sur les listes du ministère de l'industrie. Or, la logique aurait voulu que le numérique soit d'usage, et que les vérifications aient été faites par le numérique et le QR Code. Le ministère de l'Industrie, lui-même a besoin d'une mise à niveau et aller vers le progrès technologique, si on veut avancer correctement.
Quelle est l'approche qu'il faut adopter dans ce cas, pour avancer réellement et efficacement'
La seule approche qu'il faut adopter, c'est laisser la place et la parole aux jeunes. Le président l'a dit, 300 000 universitaires sortent avec un master, chaque année des universités. Mais, on ne les voit pas là... Ils sont les grands absents de cette conférence et de toutes les autres. Il n'y a que des sexagénaires. Donc le problème se pose, il faut ramener les jeunes et leur confier les grands programmes et les grands dossiers.
C'est un problème générationnel finalement'
Oui, je le dis et je le redis. Vous avez vu dans la salle, il n'y a que des sexagénaires et plus dans la salle. Il n'y a que très peu de jeunes. Et ça présente forcément des problèmes et des répercussions. Ce sont là les vrais blocages. Ce sont les jeunes qui vont développer le pays et le reconstruire, selon leurs connaissances et leurs aptitudes. Aujourd'hui, le monde est à eux, un monde fait de numérique, de technologies nouvelles, de technologies mobiles révolutionnaires, etc... La majorité des débats ont évoqué l'ère des industries des années 70. Or, jusqu'à preuve du contraire, nous avons tourné cette page.
Est-ce à dire que l'on ne peut pas relancer la machine industrielle avec les entreprises publiques'
Non, ils peuvent le faire, mais avec du sang neuf, avec de nouvelles compétences. Avec les nouvelles générations, qui sont dotées d'une vision adaptée, nouvelle et plus efficace. L'Algérie, c'est 70% de jeunes. Pour aboutir à une véritable révolution, il faut opter pour cette jeunesse imprégnée de ces nouvelles technologies et l'inciter à le faire. Tout a changé, en fait. Nous remercions le gouvernement pour cet effort et cette conférence, mais disons-le franchement l'objectif est dépassé. Nous devons préciser que le développement de l'industrie ne peut se faire, sans l'intégrer dans le développement technologique du pays. Ce que je reproche, justement, dans ce cadre, c'est l'absence de mesures incitatives et des avantages dans la loi de finances 2022, concernant le secteur des nouvelles technologies, le numérique, l'intelligence artificielle et autres. Même au niveau du système juridique, nous avons de grands problèmes persistants. Sans compter le système financier et industriel où la numérisation accuse un retard énorme. Le matériel électronique est toujours soumis à une TVA de 19%. Aussi, on a toujours des problèmes au niveau des douanes, pour faire rentrer des drones pour la gestion des espaces agricoles, par exemple. Il faut aller vers le progrès technologique si on veut avancer. D'ailleurs, les investisseurs réunis lors du sommet de Davos en Suisse, ont préconisé une révolution en Algérie, en une année, si le pays empruntait la voie du numérique.
Faut-il une Silicon Valley en Algérie pour prétendre aller vers une évolution technologique dans le pays'
Oui, parfaitement. Nous avons beaucoup de jeunes, il faut leur donner les moyens et les avantages. Et les financements aussi.
.
Mais, il y a les fonds dédiés aux start -up et aux microentreprises...'
Oui, il y a ce financement de 58 milliards de dinars aux entreprises start-up, à hauteur de 1 milliard de dinars pour chaque wilaya. Mais, seulement les choses n'avancent pas correctement.
Est-ce qu'il faut changer de méthodologie ou d'approche'
Bien sûr, il faut aller rapidement, comme je l'ai déjà dit, vers les jeunes et favoriser les nouvelles technologies. Aujourd'hui, nous avons un problème de management et de timing. Nous continuons à faire des erreurs de timing. Nous sommes en train de badigeonner. Il faut corriger le timing dans l'investissement, qui est en fait le temps. Nous n'avons pas le droit de perdre encore le temps.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)