Décidément, la
célèbre phrase que met Giuseppe Tomasi, prince de Lampedusa, dans la bouche de
Don Fabrizio Salina, personnage central du roman «Le Guépard», semble plus que
jamais d'actualité. La toile de fond du roman est l'unification italienne sous
la houlette de Garibaldi, qui marqua la transition entre un ordre ancien et un
nouvel ordre. L'auteur attaque l'opportunisme qui caractérisa cette époque,
loin de l'image romantique dont elle bénéficie dans l'historiographie
officielle de l'Italie. Il décrit la résistance de la noblesse à l'irruption de
la modernité et comment, du fait de cette résistance, elle a participé à la
naissance de la mafia actuelle. Ce mot d'ordre, «il faut que tout change pour
que rien ne change», est devenu le symbole de ce qu'on a appelé le
conservatisme intelligent. Il rappelle, la nécessité de réformer en douceur, un
système dominant pour lui permettre de perdurer. Les adeptes de l'immobilisme
feraient ainsi le lit de la Révolution, «il faut que rien ne change pour que
tout change».
Ben Ali, conservateur à la poigne de fer, a
maintenu un système rigide qui a amené l'explosion de décembre 2010- janvier
2011. Pour autant, l'explosion ne s'est pas encore traduite par une révolution.
Le gouvernement qui vient de se constituer est une insulte aux sacrifices de la
jeunesse de Tunisie. Comment peut-on imaginer un seul instant que les
personnages qui ont interprété la partition écrite par Ben Ali pourraient en
jouer une autre ? Or, ils restent aux commandes aux postes essentiels. N'ont
été concédées à l'opposition officielle (celle qui était déjà tolérée par le
dictateur) que quelques miettes. Par ailleurs, ce gouvernement «nouveau» vient
d'annoncer que les prochaines élections législatives n'auront lieu que dans six
mois…
A l'évidence, il y a une tentative de reprise
en main, une sorte de contre-révolution de velours, visant à déposséder le
peuple tunisien de sa victoire. Cela se fait au nom de l'impératif de
«stabilité» claironné par les dirigeants tunisiens et repris en boucle en
France et aux Etats-Unis. «Il faut que les touristes reviennent», c'est l'appel
angoissé, lancinant des agences de voyages, des journaux télévisés qui
présentent la grande détresse des rares (et donc courageux) touristes,
continuant à siroter du thé à la menthe dans des hôtels de luxe et à faire leur
gymnastique matinale sur des plages ensoleillées, en dépit de la menace des
snipers et des pillards.
En bref, il faudrait que la Tunisie
redevienne… la Tunisie, un pays prospère, peuplé de gens avenants, prévenants,
dociles. Bien sûr, il faut prendre en compte leur colère passagère et leur
accorder quelques petites libertés. Il faut surtout donner l'impression que ces
changements sont profonds, radicaux même. En bref, ce que font les dirigeants
actuels consiste à convaincre le peuple «que tout change» pour qu'en réalité,
rien ne change.
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Posté Le : 20/01/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Brahim Senouci
Source : www.lequotidien-oran.com