Algérie

«Il faut muscler Sonatrach»



La 28e édition de l'invité de «LSA direct», jeudi, n'était sans doute pas la moins, disons, intéressante. D'une actualité brûlante, l'intervention de Mourad Preure, l'expert pétrolier algérien, aura été une très belle opportunité pour débattre, bien entendu, des questions relatives au pétrole, mais également de la transition énergétique, et globalement de la stratégie mise en branle pour remettre le pays sur les bons rails, notamment sur le plan industriel.La grande conviction de Mourad Preure, c'est que la demande de pétrole n'est pas près de reprendre. Cette opinion, l'expert l'explique en mettant de côté les fondamentaux qui font le marché, c'est-à-dire l'offre, la demande et les stocks, préférant se focaliser sur l'état de l'économie mondiale. Avec la récession économique mondiale qui frappe de plein fouet, si l'on excepte le modeste 1,9% du PIB de la Chine, l'expert international dit ne pas voir comment la demande pourrait reprendre. De quoi refroidir les plus optimistes des producteurs mondiaux et des experts des questions pétrolières qui rivalisent en prédictions plus ou moins optimistes sur le marché, notamment à partir de cette année, malgré le spectaculaire rebond de la pandémie et des restrictions qui vont désormais avec. Avec un baril à 50 dollars c'est bien, mais pas forcément sur le court terme. « Les marchés sont en train de sur-réagir à un vaccin qui, si on est optimiste, ne pourrait produire un effet sur l'économie mondiale qu'à partir du second semestre de cette année. Si on est réaliste, cet effet ne se produira qu'au 4e trimestre 2021 .» Moins « froid » qu'il ne l'est pour le pétrole, Mourad Preure voit plutôt d'un bon ?il l'avenir immédiat du gaz. « La croissance de la demande gazière est tirée par la génération électrique » commence par expliquer l'invité de «LSA direct» pour ensuite affirmer que la transition énergétique accorde une place de choix au gaz naturel. « Lorsque la Chine, dont 70% de l'énergie qu'elle consomme est basée sur le charbon, bascule vers le gaz, cela pèse sur la demande .» Dans une quinzaine d'années, prédit Mourad Preure, la proportion du gaz dans la consommation mondiale d'énergie équivaudra à celle du pétrole, alors que les renouvelables bénéficieront de l'avancée technologique.
Les grandes révolutions que l'Algérie est amenée à connaître, c'est Sonatrach qui doit les mener
Des investissements prévus par Sonatrach d'ici 2025 (40 milliards de dollars), l'expert du cabinet Emergy a préféré s'intéresser au cadre juridique. La loi 86/14 était intéressante et pendant 20 ans, on avait une stabilité juridique, en une année, entre 2005 et 2006, on a changé le cadre juridique, puis en 2013 on a remis une couche, du coup, l'image de l'Algérie a été brouillée. « Alors que Sonatrach n'investissait pas, elle avait au minimum 51% sans mettre 1 dollar, c'était au partenaire de prendre les risques dans le contrat de partage-production. Puis est venue la catastrophique loi de 2005... il faudrait arrêter de triturer les lois », a expliqué l'expert pétrolier qui joint ainsi sa voix à la multitude de spécialistes de divers horizons qui en appellent à une stabilité des lois pour espérer susciter l'intérêt des porteurs de capitaux.
De l'avis de M. Preure, la puissance des pays pétroliers ne réside plus au niveau de leurs réserves et de leur production, elle réside dans la puissance de leur compagnie nationale, sa compétitivité, son pouvoir innovant. « La première décennie des années 2000 a été mortelle pour Sonatrach, elle s'est terminée par une série de scandales. Il n'y a pas eu une compagnie qui a enduré une crise aussi longue. Il faudrait muscler Sonatrach sur le plan managérial, sur le plan technologique », a conseillé le spécialiste algérien des questions pétrolières qui se dit certain que « la force énergétique de l'Algérie, demain si notre pays veut réussir sa transition énergétique, c'est Sonatrach qui la tirera. Les grandes révolutions que l'Algérie est amenée à connaître dans le domaine énergétique, c'est Sonatrach qui doit les mener ».
« 2021 sera une année très compliquée... »
De la question du monde du pétrole et du rôle de l'Opep, Mourad Preure explique que l'Organisation s'est toujours retrouvée face à un dilemme : « Défense des prix ou défense du marché. Si elle défend les prix, elle baisse sa production, alors elle perd des parts de marché. Si elle défend ses parts de marché, elle augmente la production et les prix baissent .» En fait, depuis que l'Opep existe, elle s'est retrouvée confrontée face à ce dilemme qui a fait d'elle un swing producer ; autrement dit, un régulateur de la production pour que les prix se retrouvent dans un certain sentier où ils ne découragent pas la demande et ils encouragent l'investissement. Mais, au fil des années, il est apparu que le problème s'est accentué avec le développement du schiste américain : lorsque les prix baissent, ils (les Américains) arrêtent de produire, lorsque les prix remontent ils lâchent les vannes. « Les producteurs de schiste ont finalement confisqué à l'Opep son rôle de swing producer », conclut M. Preure qui, pour les origines de la crise, retrace les faits qui remontent à 2014, lorsque les producteurs ont commencé à subir de grandes difficultés à cause de l'Arabie Saoudite qui a engagé une guerre des prix jusqu'à novembre 2016, lorsqu'un consensus a été scellé lors de la rencontre des pays producteurs de pétrole Opep et non-Opep à Alger.
Un conclave qui a ramené de l'ordre, engageant les producteurs, y compris la Russie, à s'orienter vers la défense des prix. Puis vint 2020 et la pandémie, la demande baissant de 20%, et la grosse crise qui a fait que les prix passent pour la première fois dans le négatif, c'est-à-dire qu'il fallait payer les acheteurs pour faire enlever son pétrole. Tournure historique, pas pour les bonnes raisons, qui finira par inciter tout le monde à travers Opep+ de revenir à la défense des prix, mais sans que cela pousse l'expert qu'est l'invité de «LSA direct» à se montrer des plus optimistes pour les mois à venir quant au marché pétrolier. En effet, pour notre invité du jeudi, 2021 sera une année très compliquée.
Et dire que nous jouissons d'un ensoleillement de 3 600 heures par an...
L'expert, à la surprise de beaucoup sans doute, en appelle à privilégier le renouvelable, lui le spécialiste en questions pétrolières. Indépendamment des compagnies mondiales qui sont en train de « tourner casaque » en se muant en compagnies énergétiques, il plaidera pour la transition énergétique. « L'Algérie avec ses 86% de territoire jouit d'un ensoleillement de 3 600 heures de soleil par an, alors qu'en France, par exemple, l'ensoleillement est entre 1 100 et 1 400 heures, mais cela n'a pas empêché d'investir dans le solaire... », a argumenté Mourad Preure qui a rappelé que chaque km2 de l'Algérie peut produire 2 000 kilowattheures et, le comble, c'est qu'«au même moment où nous avons le plus d'ensoleillement que nous consommons le plus d'électricité, l'aberration... » non sans remettre une couche, eu égard à la demande énergétique nationale qui est en train d'exploser. « Avec ce que nous produisons et notre consommation qui atteint les 40 milliards de mètres cubes de gaz, on arrive à exporter plus ou moins 50 milliards de mètres cubes, on sollicite à mort nos gisements », rappelle M. Preure pour faire toucher du doigt, s'il le fallait encore, l'urgence de l'aberration de la situation qui fait qu'« on exporte des hydrocarbures et on importe des diouls ».
En fait, l'Algérie, selon l'expert Mourad Preure, souffre d'un « problème culturel (...) Nous avons un problème d'ambition nationale». Il ne le dit pas, mais les autorités du pays font fausse route dans leur stratégie pour ranimer l'industrie. « Il s'agit de créer notre propre chaîne de valeur, et d'arrêter de courir derrière nos voisins marocain et tunisien et se retrouver en marché de main-d'?uvre low cost », conseille-t-il.
En fin de compte, quand on suit le raisonnement de notre invité de jeudi, c'est un peu « vers un tout » qu'il va falloir s'orienter pour définir la stratégie à adopter pour l'industrialisation du pays. « Qui sommes-nous ' Où voulons-nous aller ' Comment y aller ' » Trois questions fondamentales qu'il faudra se poser si l'on veut, enfin, voir l'Algérie décoller.
Azedine Maktour


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