«L'édition au Cameroun est défaillante»
Le chroniqueur littéraire au Courrier de Genève, et enseignant en écriture journalistique à l'université de Nîmes, revient sur son livre réédité aux éditions Epic, Madame l'Afrique et évoque avec nous ses souhaits pour la promotion de la littérature africaine dans le monde et plus particulièrement dans le contient noir et dans son pays d'origine, le Cameroun...
L'expression: Vous êtes un habitué de l'Algérie. Qu'est-ce qui vous attire déjà dans notre pays' Pour exister aussi un auteur africain est-il obligé de partir de chez lui'
Eugène Ebaudé: Non, j'existais déjà avant comme auteur. Mais j'existais ailleurs et pas chez moi c'est-à-dire en Afrique. L'Algérie a voulu consacrer une place aux retrouvailles, autrement dit de faire en sorte qu'à partir du Panaf de 2009, dans le prolongement du premier qui a eu lieu 40 ans auparavant, l'Algérie devienne la plate-forme des retrouvailles des Africains. Nous sommes souvent considérés comme des écrivains ou artistes de la diaspora, c'est-à-dire ceux qui vivent en dehors de leur lieu d'origine, de leur terre. Je vis en France alors que je suis né au Cameroun, et donc en France et l'Algérie a effectué ce grand rassemblement en 2009 qui était important, car cela nous a permis pour beaucoup de remettre ce pied en Afrique mais aussi de tisser des conversations utiles, dans lesquelles il y avait l'idée que ça serait bien que les écrivains de la diaspora, donc qui vivent en dehors de l'Afrique, publient aussi en Afrique et que ce qu'ils publient ne soient pas des reprises mais des premiers jets, des originaux. Ces conversations ont abouti et mon livre Madame l'Afrique est la concrétisation de cette idée à travers bien entendu une structure - qui sont les éditions Apic - qui avait formulé en termes éthiques et visibles cette nouvelle ambition culturelle bien entendu portée par l'Etat algérien et le ministère de la Culture. Si je suis là c'est parce qu'il y a eu cette connexion d'énergie qui nous a permis de nous retrouver.
Aujourd'hui, avec du recul, cela fait presque quatre ans que vous venez en Algérie: comment évaluez-vous justement ce rapport dynamique à ce secteur en Algérie, maintenant que vous fréquentez le Salon du livre assidûment
Je le fréquente assidûment et éperdument, Amoureux de cet espace qui me permet de rencontrer le public et rencontrer les journalistes. Ces derniers sont associés, les uns pour la diffusion de l'esprit, des oeuvres imaginaires, des info utiles pour que le lectorat puisse savoir ce qui se passe. On ne peut plus dire: «On ne savait pas». C'est cette idée qui a un peu ramolli la culture africaine.. Le journaliste informe, critique, dans le sens où il peut avoir la dent dure mais aussi avoir des louanges à l'égard de l'oeuvre. Pour ma part, ils saluaient à la fois un travail éditorial et romanesque qui leur paraissait réussi. Je ne peux pas voir un salon, lieu, d'échanges entre le public et des auteurs, comme un échec, ce n'est pas possible. C'est plutôt bien, réconfortant, c'est le sentiment réel que j'ai: ce sont des échanges avec des lecteurs, et lectrices. Je le dis en Occident s'il n'y avait pas de femmes il n y aurait pas d'écrivains et de lecteurs. Ici c'est les deux. On voit que les hommes et les femmes contribuent à rendre vivant le Salon du livre d'Alger et j'espère que cela va être relevé, ce n'est pas les hommes d'un côté et les femmes de l'autre. Non. Ensemble, ils participent à l'enrichissement de ce salon.
Un mot à propos de ce livre que vous êtes en train de signer, sorti en 2009. Au-delà du contenu de cette histoire, son titre Madame l'Afrique est bien symbolique...
Oui il est symbolique car il parle de Madame l'Afrique, de l'Afrique en majesté. De celle qui donne vie. Qui enfante. De celle qui nourrit. Et puis celle que parfois on sous-estime. Madame l'Afrique c'est toutes ces significations qui sont invoquées et convoquées. Aussi pour parler de manière très pragmatique, Madame l'Afrique est le nom d'une cathédrale, notre Dame d'Afrique sur les hauteurs d'Alger que vous connaissez et que les Algériens appellent Madame l'Afrique. Le récit transite par Alger. J'ai imaginé qu'un personnage, qui est nostalgique de la colonisation, revient en Algérie qu'il a connue et, là, Madame l'Afrique va lui renvoyer des évocations mais ces évocations sont-elles en prise avec l'existence même d'une âme africaine', elles ont été rajoutées. Ce sont des ponctuations historiques qui sont là mais qui ne peuvent pas ravaler l'ensemble, à la fois, de la racine africaine et de ce qu'elle est. Ce sont des ponctuations qui ont eu lieu à un moment ou un autre et qui représentent, bien évidemment, un moment dans l'histoire mais qui ne sont pas l'histoire.
Vous sortez vos livres en Algérie. Qu'en est-il pour la littérature au Cameroun et faites-vous quelque chose en ce sens'
Je ne la connais pas très bien. Il y a de timides avancées, disons. L'encéphalogramme a été plat pendant des années parce qu'il manque une volonté politique. Le secteur de l'édition est calamiteux. Il est défaillant parce que les investissements de l'Etat et ceux du privé n'ont pas été au rendez-vous. A partir de ce moment, il ne peut y avoir de maisons d'éditions crédibles et puis les auteurs s'il n'y pas de maison d'éditions pour les porter, eh bien, on ne voit pas leurs oeuvres. Avant il y avait les éditions Clé, maintenant il y a la maison d'éditions Ifrikya qui essaye avec un partenariat avec l'Algérie notamment, laquelle les invite aussi à montrer leurs productions, à défendre leurs livres. Ce qu'on peut déplorer c'est que ces frémissements de la vie littéraire ne sont pas assez suivis car cette fois le public n'est pas assez présent. On a l'impression que ces maisons d éditions sont embryonnaires, elles sont dans la précarité, et rendent d'autant plus précaire la création littéraire et la vie des auteurs. Je pense que les partenariats Sud/Sud qui sont initiés à partir de l'Algérie portent là une dynamique nouvelle. Il faut, bien entendu, la renforcer par des partenaires Sud/Sud dans la critique littéraire, dans le journalisme culturel et là, les journalistes ont des liens à tisser entre eux, pour que la communauté culturelle soit la plus forte possible.
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Posté Le : 06/10/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : O HIND
Source : www.lexpressiondz.com