Algérie

«Il faut, aujourd'hui, qu'on construise nos pensées avec notre propre langage»



«Il faut, aujourd'hui, qu'on construise nos pensées avec notre propre langage»
Entretien réalisé par
Sihem Ammour

La Tribune : «Pourriez-vous nous parler de votre dernier ouvrage» '
JORUS MABIALA : «Tout d'abord, je tiens à souligner que le Festival du conte d'Oran est parmi les plus grands festivals du conte qui existent dans le continent africain et il faut le soutenir. J'ai assisté à la plupart des éditions et la manière de le soutenir, c'est de lui dédier ce livre. Le choix du titre n'est pas fortuit. En l'intitulant «Contes et fables d'Afrique pour mes amis d'Oran, j'ai décidé de rendre hommage aux enfants d'Oran, mais aussi à tous les enfants algériens, afin de créer, avec eux, un lien permanent, grâce au livre. D'autre part, lors de ma participations à ce festival, les enfants et même les parents, qui assistaient à mes spectacles, me demandaient souvent où ils povaient trouver le conte que je venais de leur raconter et, à chaque fois, je leur répondais qu'il était dans ma tête. C'est de là qu'à germé l'idée de faire ce livre, dédié à tous les enfants algériens. Par ailleurs, il était très important, pour moi, de faire publier ce livre par une maison d'édition algérienne et, plus précisément, par l'Association «le Petit Lecteur d'Oran», qui fait un travail formidable pour la promotion de la lecture et du conte auprès de la jeunesse, à travers l'organisation du Festival d'Oran. Sincèrement, il est très difficile, dans notre continent, d'organiser une nuit entière de contes. Personnellement cela fait douze ans que j'organise un festival dans mon pays, est c'est très difficile de captiver l'attention du public durant tout une nuit, car on a beaucoup perdu de notre tradition orale et de nos veillées d'antan. On ne cesse de se battre contre l'influence de la télévison et des nouvelles technologies. Or, à Oran, c'est une opération qui a réussie. Je suis témoin du fait qu'à Oran, il y a un nombreux public, qui attend avec impatience la manifestation, . A travers ce livre, j'ai considéré que, maintenant, il était important de rendre hommage à cet évènement et de le faire connaître, car c'est non seulement une victoire du conte et de la ville d'Oran, mais aussi une victoire de la culture africaine».

«Justement, votre présence ici n'est-elle pas une continuité de l'esprit de liesse qui a marquée le Panaf 2009» '
«Sincèrement, l'esprit du Panaf 2009 a influencé tout le parcours que j'ai effectué en Algérie. Après la célébration de ce grand moment, la question qui se posait, à l'époque, c'est : est-ce ce que nous sommes en train de vivre 'Aurons- nous les moyens de continuer ' Il faut reconnaitre que le panaf 2009 est l'un des plus grands moments de retrouvaille culturelles que l'Afrique a pu organiser, ces dix dernières années. Cela a eu beaucoup d'influence et cela a été une réelle prise de conscience chez tous les artistes présents. Il suffit de regarder les actualités culturelles algériennes pour se rendre compte que la plupart des artistes qui ont participé au Panaf continuent à revenir».

«Est-ce pour cela que vous avez décidé de publier votre recueil en Algérie»'
«La résistance se traduit aussi, aujourd'hui, par le fait de choisir de publier en Algérie. J'avais le choix de publier dans des maisons d'édition françaises. Je préfère faire le choix de publier ce livre dans une maison d'édition algérienne. Le plus important, c'est le symbole que cela porte en soi et non pas ce que cela pourrait me rapporter financièrement. Ce qui compte, pour moi, c'est de dédier mon livre aux enfants algériens et au Festival du conte d'Oran, qui n'est pas médiatisé sur la scène internationale, Je n'attendrai pas, qu'il soit célèbre en Europe pour venir en parler. Il est important de reprendre notre destin en mains et de ne pas attendre que cela nous viennent du Nord, pour dire que c'est bien».

«Est-ce qu'on retrouve cet esprit de résistance et d'espoir dans vos contes» '
«En fait, l'idée n'est pas de faire des contes moralisateurs, mais plutôt d'amener des interrogations et de susciter la réflexion, Déjà, à travers les titres même de mes contes, tels que Dialogues de sourds, l'éléphant qui voulait maigrir, J'ai faim, les Moutons qui
ne voulaient pas être des moutons. Ces titres en eux- mêmes racontent l'histoire. Tout le texte qui vient ensuite n'est qu'un prétexte. Ce qui compte vraiment, c'est que le lecteur découvre ce que je veux dire. Ce que j'espère, c'est qu'une fois qu'il a terminé de lire le livre, le lecteur va encore le reprendre, pour tenter de répondre aux questions qui se posent. Le souhait est que la lecture devienne un plaisir, que le lecteur puisse s'amuser, tout en élevant sa conscience, la réflexion et l'interrogation permanente sur le monde qui nous entoure. Je tiens à ajouter que des versions en amazigh, en arabe et en bantu, une des langues locales du Congo-Brazzaville, seront également prochainement publiés».

«Ces futures publication sont-elles une manière de renforcer les liens entre les africains» '
«Je tiens à souligner que les Africains, en dehors du continent, sont très unis. Tous les termes qu'on a utilisés pour diviser l'Afrique ne viennent pas de nos langues maternelles. On continue d'utiliser les termes hérités de la colonisation, qui forment notre façon de penser. Il faut, aujourd'hui, qu'on construise nos pensées avec notre propre langage. Il ne faut pas plus ignorer les premières appellations. Le but n'est pas de gommer, mais de comprendre ce qui s'est passé. Le mot Afrique est, en soi, l'exemple du rêve. On ne parle jamais des rêves africains. On nous parle toujours des richesses en matières premières que possède l'Afrique, qu'elles soient minières, maritimes ou fossiles. Mais on ne nous parle jamais de la plus grande richesse de notre continent : la jeunesse africaine. C'est la meilleure richesse qu'on puisse avoir et qu'on ne pourra jamais nous prendre, même si nous sommes est en train de négocier pour la garder. Nous savons bien que toutes les grandes puissances ne possèdent pas cette jeunesse. Ceci est un espoir en soi».

«Face au désenchantement de cette jeunesse, est ce qu'on peut encore parler d'espoir» '
«Il faut admettre une réalité : nous sommes une jeune démocratie. Les autres, il leur a fallu cent ans, voire deux cents, pour pouvoir s'installer et construire ce que l'on pourrait appeler, aujourd'hui, une forme de démocratie. Nous, nous avons à peine une cinquantaine d'année d'existence, avec tout le passif que nous avons connu. Le constat est que le fait même qu'aujourd'hui, l'Union africaine reconnaisse que tel ou tel acte est antidémocratique, c'est déjà le début de la solution du problème. Il y a à peine vingt ans, nous n'étions même pas capables de cela. Nous ne savions même pas si c'était bien ou non. C'est vrai que la construction d'un Etat démocratique est très difficile. Mais ' si on ne veut pas avoir de problème dans la vie il ne faut pas naître. Nous avons fait le choix noble de naître et d'exister ; Maintenant, il faut dire à la jeunesse africaine qu'on doit se construire malgré, avec dirais-je, la pluralité d'héritages que nous avons dans notre continent, qu'ils soient coloniaux, traditionnels, ou autres. On peut choisir son héritage, à une seule condition : que cela n'empiète pas sur la liberté de l'autre. Il faut continuer à dire à notre jeunesse qu'ils sont libres avant tout. Une fois qu'on a pris conscience de cela, la question qui se pose est de savoir ce qu'on veut faire de cette liberté».




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