Oran - Denis Martinez

«Il existe de belles énergies, l'Algérie positive» Denis Martinez. Artiste peintre algérien



«Il existe de belles énergies, l'Algérie positive»                                    Denis Martinez. Artiste peintre algérien
La ville de Mostaganem a accueilli, du 8 au 11 juin 2012, un événement culturel d'excellente facture. Most'Art 2012. Les Rencontres internationales de l'art contemporain où évoluèrent plus de 80 plasticiens, des designers, des conférenciers ou encore des musiciens venus de toute l'Algérie et de l'étranger. Denis Martinez, le grand artiste peintre algérien , l'un des doyens de l'art pictural en parle avec passion, affection et ambition. Il a réussi à fédérer plusieurs générations d'artistes peintres à Mostaganem avec positivité franchement affichée.
-Mostaganem «se voit en peinture» avec l'événement Most'Art 2012'
Mostaganem a une culture forte, marquée par le théâtre amateur, la poésie populaire, le chaâbi. Une ville portuaire. Et la ville a la chance d'avoir un «gars» qui s'appelle Hachemi Ameur, un dynamique directeur de l'Ecole des beaux-arts de Mostaganem. Et puis, je l'ai eu comme étudiant. Il y a deux ans, on s'est revus. Il m'a proposé de diriger un atelier à Mostaganem. J'y ai fait un atelier, un «work-shop» (rire), au mois d'octobre 2011. Un atelier expérimental avec des étudiants. J'ai été surpris par l'atmosphère de la ville et de l'école. Un climat d'ouverture, d'intérêt pour la culture. Quand vous entrez à Mostaganem, le premier monument, c'est l'effigie d'un homme de théâtre : Ould Abderrahmane Kaki. L'autre monument, c'est Cheikh Hamada. Il y a beaucoup d'éléments positifs autour de cela.
-L'idée a germé autour de cet univers pour une rencontre fédérant tous les plasticiens'
Oui, avec tous les enseignants d'Alger comme Karim Sergoua, ceux de Sidi Bel Abbès, Tlemcen, Oran, Annaba, Tizi Ouzou' Aussi, Hachemi Ameur a dit : «Moi, je vais créer une rencontre d'art contemporain avec une ambition internationale.»
-C'est une rencontre annuelle'
Hachemi Ameur aimerait que cet événement culturel soit un rendez-vous annuel. C'est un premier coup d'essai. Cela a été une occasion de regrouper d'anciens étudiants dont la majorité était mes élèves. Ce sont plusieurs promotions (Ecole des beaux-arts) des années 1960, 1970, 1980, 1990, 2000' Ali Zirem, Abdi'
-Un rendez-vous créatif fédérant toutes les potentialités de l'Algérie'
Il y a eu une démonstration de créativité et d'entente. Tout ce monde-là s'est retrouvé avec une émotion intense ! Une connivence très forte. Des conférenciers étrangers étaient présents à cette rencontre d'art contemporain, notamment Philippe Foulquier, fondateur de la Friche de La Belle de Mai de Marseille. Un lieu expérimental dans le domaine de l'art. Donc, un partage d'une grande expérience. Il a été surpris par le niveau, la réflexion' Et puis, cette cohésion entre les gens. Il n'y a pas de conflit entre toutes ces générations. Un respect mutuel.
-Une école d'arts qui est en chantier à Mostaganem, un autre atout'
Oui, une nouvelle école d'arts en chantier. Une immense école. Un village estudiantin avec une résidence, un hébergement, un campus' Ce chantier, je l'avais vu au mois d'octobre. Ainsi, Mme Hankour, directrice de la culture de la wilaya de Mostaganem, une femme formidable, a soutenu à fond le projet (rencontre d'art contemporain). Quand Hachemi Ameur a envoyé le dossier au ministère de la Culture, il a été aussitôt admis. Le wali a adhéré. Il s'est même dérangé à plusieurs reprises pour nous rendre visite. Même au mois d'octobre 2011, le wali est venu assister à la clôture de mon atelier. Ce sont des gens qui croient à cela.
-C'est aussi un hommage à l'endroit de Denis Martinez'
Oui, c'est un hommage à Martinez et en même temps à un artiste de la région, Oualhaci, qui est formidable. Donc, un hommage symbolique très fort.
-Comment cet événement a-t-il été marqué, symboliquement parlant'
J'ai voulu marquer cette occasion par un acte symbolique très fort aussi. Quand j'ai fait l'atelier en octobre 2011, j'ai eu à visiter le chantier de la nouvelle école. J'avais dit à Ameur Hachemi si je devais réaliser quelque chose, j'aimerais le faire dans la cour de l'école (des arts) en chantier. Une installation, une performance... Conçue avec des matériaux trouvés sur place. J'y avais vu des engins, des grues, des bétonneuses, des bulldozers, en marche. Aussi, j'ai demandé si l'on pouvait avoir un bulldozer. J'ai dit : «Je voudrais le' peindre.» Comme m'avait dit le chauffeur : «Tu l'as tatoué.» Aussitôt, on m'a amené un bulldozer.
J'ai sollicité quelques étudiants pour m'assister sous ma direction. Quatre gars et une fille. Des bosseurs évoluant sous le soleil. La symbolique du tracteur-pelle que j'ai baptisé «tracteur mzouek» ' Un hommage aux baptisseurs. Mais pas dans le sens de l'architecture. Celui de l'Algérie positive. Un hommage à ceux disparus atrocement. Des hommes de culture, de théâtre, des écrivains, les journalistes, les chercheurs, les architectes, les travailleurs' Tout ce monde-là qui a participé à l'Algérie positive contre vents et marées. Le bulldozer représentait la résistance forte : on avance ! Et aussi un hommage à l'outil lui-même. Cet engin qui dans la poussière un certain temps, il sera un objet d'art. Pour une durée éphémère. Le tracteur-pelle interactif au centre d'un carrefour regroupant des conférenciers, des étudiants, des musiciens ayant évolué sur le tracteur-pelle.
Une entrée tonitruante dans le chantier du tracteur-pelle à la tête d'une procession accompagnée par une formation Diwan Gnaoua de Blida avec maâlem Bahaz devant un public et dans un chantier opérationnel. Un tracteur mzaouek entre ; j'installe de chaque côté les membres du diwane avec les karkabous, devant il y a quelqu'un qui hisse le sendjak (drapeau de la confrérie du Diwan). C'est-à-dire c'est moi, le mokadem. Ensuite, moi et le maâlem Bahaz, on est tous les deux sur la pelle. Et on avance mécaniquement vers le hall du bâtiment de la nouvelle école d'art. On descend et puis on pénètre dans le hall. Et là, les gnaouas font un énorme «truc de dingues». C'est-à-dire marquer symboliquement cet événement. C'est comme une inauguration magique de cette école d'art à l'occasion de cette rencontre d'art contemporain. C'était formidable !
-On dirait que c'est un bain de jouvence pour vous, on vous sent revivre' Une nouvelle passion' Une nouvelle trajectoire'
Depuis 2003, j'ai décidé de relancer des activités artistiques en Kabylie où j'ai beaucoup travaillé avec Hassan Metref. Des initiatives avec le mouvement associatif local. Par exemple, au festival Racont'Art, on a commencé avec les moyens du bord. On ne savait pas qu'on allait s'éterniser. C'était en 2004, dans un hameau de Béni Yenni. Et depuis, c'est devenu un rendez-vous annuel en changeant de village. Je vais vous dire, ce bain de jouvence, je l'ai commencé déjà à cette époque. Des expériences et des performances éphémères in situ avec le maâlem Bahaz' Et là, c'est un déplacement vers l'Ouest (Mostaganem), mon lieu d'origine. Je suis né non loin de Mostaganem. Mais cela n'a pas été fait exprès. Peut-être que le hasard a fait les choses. C'est un contexte positif qu'il faut accompagner. Parce qu'il y a là plusieurs générations qui se sont impliquées pour la réussite de cet événement et qui se sont investies à fond.
-Il y a une relève. Des potentialités'
Mais, oui ! J'ai eu l'occasion de le voir et de le constater. L'Algérie, de ce côté-là, est en très bonne santé. Il existe de belles énergies. Avec l'avènement d'internet, les jeunes ont des outils d'ouverture formidable vers l'universel' J'ai découvert des travaux de jeunes qui m'ont bluffé. C'était un plaisir total. Ce que je dis, l'Algérie ce n'est pas Alger. Attention au mauvais miroir ! Le miroir, il est partout sauf à Alger. Il existe des choses positives partout. Simplement, il faut savoir les repérer et les remonter à leur juste valeur. Après tout ce que l'on a vécu, ça n'arrête pas de pousser. Il y a de l'énergie de partout. L'école d'art d'Azazga est en train de reprendre. Même les gens d'ailleurs quand ils viennent là, ils prennent conscience qu'il existe une Algérie qu'ils ignorent. Le négatif, il y a assez de monde pour en parler (rire). Positivons !



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