Algérie - Divers romans, histoires, récits ...


Il était une fois SM 15 !
Arthur Schnitzler, écrivain et psychiatre autrichien, un des plus grands noms de la littérature allemande et «romancier du rêve», comme il se définissait lui-même, disait que «l’homme qui ne mène pas une double vie ne vit qu’à moitié». Ce qui n’est guère le cas des agents des services secrets qui ont même parfois des vies multiples et vivent pleinement leur vie. Dormants, transfuges, doubles, voire triples, honorables correspondants, clandés, indics, Mata Hari : Espions, contre-espions peuvent prendre donc mille et un visages pour accomplir leur mission au service d’un État, en temps de paix et en périodes de guerre. La littérature les fait sortir de l’ombre, dévoilant alors les facettes de ce métier fascinant qui fait couler beaucoup d’encre depuis l’Antiquité. Parfois, celles et ceux auxquels on a créé des «légendes» pour leur permettre d’agir en immersion, deviennent ainsi de véritables légendes, des héros sublimés par la littérature, le cinéma ou la télé.
Dans la vie protéiforme de ces ombres furtives, le dévouement et le sacrifice patriotique constituent, au goût du bibliovore qu’est le chroniqueur du «Point-virgule», l’aspect le plus lumineux. Contrairement à d’autres pays où de fameux auteurs et d’autres moins célèbres ont magnifié les héros à travers des fictions de la réalité de l’espionnage, le roman consacré aux passe-murailles en Algérie est rare. Et quand il existe, il ne met pas assez en lumière le rôle brillant des personnages exceptionnels de nos «Services», du MALG du légendaire Abdelhafid Boussouf aux actuels héritiers du DRS du généralissime Mohamed Mediene, en passant par l’illustre SM de l’historique colonel Kasdi Merbah.
En effet, des mythes de nos services de renseignement tels Abdelhafid Boussouf, Abdelkader Changriha ou Rachid Tabti, auraient mérité, à défaut de biographies rigoureusement documentées, des romans et des films comme modestes expressions artistiques de la reconnaissance de la nation. À l’image de l’Égypte où Refaat Ali Suleiman Al-Gammal, plus connu sous le nom de Raafat Al-Haggan, alias Jack Bitton, qui a mené des opérations clandestines en Israël pendant près de deux décennies, est une icône de l’espionnage, une superstar littéraire et un pharaon du patriotisme égyptien.
En Algérie, il aura fallu attendre l’année 1970, pour voir surgir dans l’espace littéraire, la première tentative de sublimation de l’action patriotique, à l’international précisément, de la «SM», le démiurge sécuritaire héritier moderne du SLR et du MALG, les glorieux services de renseignement de la Révolution algérienne. Au cours des années 1970-1972, fait inédit, la Société nationale d'édition et de diffusion (S.N.E.D.), qui détenait le monopole de l'édition en Algérie, fait paraître quatre romans d'espionnage. Cet événement est salué par le quotidien gouvernemental El Moudjahid qui se félicite de l'apparition d'une collection, «à prix modéré, sans prétentions littéraires, propre à satisfaire chez la masse des adultes et des adolescents le goût du mystère, de l'action et de l'aventure». Ou l’art d’user de l’euphémisme propre à la langue de bois pour ne pas évoquer l’espionnage et la Sécurité Militaire !
L'auteur inconnu de ces ouvrages quelque peu iconodoules écrit sous le pseudonyme de Youcef Khader. À la faveur d'une polémique qui s'instaure au sujet de la valeur littéraire et politique des quatre romans publiés d’un coup, le lecteur apprend donc que Youcef Khader, pour être français en fait, n'en partage pas moins «la foi de l'Algérien en un socialisme enrichissant - parce que préservant les valeurs spirituelles traditionnelles. Nous verrons que là ne s'arrête pas la communion d'idées ; retenons d'ores et déjà qu'outre les conditions d'édition, du désir même de l'auteur, il convient de considérer ces textes comme algériens. L’euphémisme encore et encore ! (El Moudjahid, 1er août 1970).
Il s’agit en réalité d'un écrivain français anti-impérialiste d’origine catalane, et ancien républicain espagnol. De son vrai nom Roger Vilatimo, Youcef Khader signe une double trilogie entre 1970 et 1972. Six morceaux de plaisir livresque, avec d’abord Délivrez la fidaya, Halte au plan terreur, Pas de Phantoms pour Tel-Aviv et La Vengeance passe par Ghaza. Deux autres volumes de la série suivent : Les Bourreaux meurent aussi et Quand les Panthères attaquent. Ce cher Youcef en a fait une ode à la fameuse SM de Kasdi Merbah, via son héros démiurgique immatriculé SM 15, alias Mourad Saber, agent anti-impérialiste et antisioniste, omniprésent sur tous les fronts de guerre secrète contre l’ennemi sioniste. La série SM 15 fera des émules : Abdelaziz Lamrani avec D. contre-attaque (1973) et Piège à Tel-Aviv (1980), et Larbi Abahri avec Banderilles et muleta (1981).
Si ces six opus de Youcef Khader sont les premiers romans d’espionnage parus en Algérie, indépendamment de la nationalité de leur auteur, ils ne constituent pas pour autant les premiers récits du genre dans l’Algérie socialiste et révolutionnaire de Boumediene. Il est utile de préciser, dans ce contexte, qu’il existe une production de récits courts d’espionnage entamée avant même les romans fondateurs de «Monsieur Vilatimo». En effet, au mois de février 1969, est parue dans l’hebdomadaire étatique Algérie-Actualités la nouvelle intitulée Alfa R-13, suivie en novembre par Alfa R-13 à Paris , toutes deux signées du journaliste Ahmed Chennouf Boudi. On y décèle alors que les caractéristiques des protagonistes ressemblent peu ou prou à ceux qu’on trouve dans les romans de Youcef Khader et d’Abdelaziz Lamrani. Par conséquent, si Vilatimo-Khader est bien le précurseur en matière de roman d’espionnage, les premiers récits «policiers» et d’espionnage algériens sont bien l’œuvre d’un… Algérien !
Après Khader-Vilatimo, Lamrani et Abahri, la littérature d’espionnage, aussi modeste soit-elle, disparaît du paysage où domineront le roman noir, le métapolicier, le roman à suspense et le thriller politique. Il n’y avait pas manifestement chez les auteurs de ces variantes du genre la vocation à être les John Le Carré, les Graham Green, les Frédéric Forsyth ou encore les Ian Fleming et les Tom Clancy d’Algérie ! Dommage !
Pourtant, le récit national a besoin de mythes fondateurs, de légendes à entretenir, de repères patriotiques, de véritables héros nationaux à glorifier. Pour ne pas avoir, à chaque fois, à s’indigner outre mesure sur les réseaux sociaux et dans la presse quand les «Autres» font de nos propres services de renseignement la matière fertile de leur imagination romanesque qui ne relève pas, loin s’en faut, de l’Immaculée conception ! Comme lors de la diffusion de l’épisode 23 de la série américaine Madam Secretary (saison 3) qui raconte comment les États-Unis empêchent l’Algérie de sombrer dans une guerre civile. Barbara Hill, la scénariste de la série, sur le quotidien d'une secrétaire d'État, ne pouvait pas trouver comme idée qui agace davantage les Algériens : celle d’une intervention de l’OTAN dans une Algérie au bord de la guerre civile. Élizabeth Faulkner McCord, sorte de clone approximatif d'Hillary Clinton, doit «sauver l’Algérie» où un dictateur, secondé par son commandant en chef des armées, cherche à garder le pouvoir alors que des «insurgés» rassemblés à Tindouf menacent de «marcher sur Alger», et que des islamistes armés attendent aussi le chaos pour monter du Sud vers la capitale.
Même large indignation à l’occasion de la diffusion sur Arte de « Alger Confidentiel », une série française qui raconte l’enlèvement à Alger d’un marchand d’armes allemand, avec en toile de fond, nos services spéciaux en action, mais victimes de poncifs dépréciatifs et autres approximations péjoratives. Même agacement outré lors de la diffusion d’épisodes relatifs à l’Algérie et à ses services de sécurité de la série de Canal Plus Le Bureau des légendes de la DGSE française.
Pour ne plus se contenter de crier au scandale à chaque diffusion de séries télévisées étrangères dédiées aux bureaux des légendes des Autres, créons alors les nôtres. Et sublimons surtout celles qui ont contribué, dans l’ombre et le silence, à l’œuvre collective de sortie de la longue nuit coloniale de notre peuple, et à la construction et la pérennisation de l’État national.
En attendant, rééditer au moins les livres de Youcef Khader et ceux de Larbi Abahri et Abdelaziz Lamrani.
N. K.




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