Il serait une
fois, quelque part dans l'Algérie de deux mille trente trois, un couple pauvre
mais heureux sous son toit. Che3ayeb Lekhdim étant le père, serait secondé par
Aïni, jouant son plein rôle de mère. Leurs deux mioches Omar et Aïcha, et après
s'être régalés du perpétuel plat blech de t'chicha, joueraient à leur habituel wech-makech,
un duel de chats!
Une famille,
animant son lugubre repaire, une vétuste et misérable demeure, rescapée -
semble-t-il - d'un quelconque village, que l'arrière-grand-père aurait laissé
comme unique héritage d'une certaine révolution agraire… la florissante et
fleurissante ère de la vache à traire… Sombrement éclairée par un quinquet
maladroitement rénové, les ombres projetées sur les murs écorchés de la
chambre, pimentaient les scènes imaginaires par lesquelles le père faisait
planer son petit univers, en leur racontant la tumultueuse histoire du bon et
des mauvais!
Ainsi, chaque nuit, ces descendants de
Dar-S'bitar et avant de farcir leur f'rach familier, avaient droit au conte des
stars qui avaient illuminé le crash pétrolier! Si les squelettiques petits
savouraient les délices des mille et une nuits et les histoires de Khalifa Baba
et les puissants import/exportateurs, les infortunés parents, épuisés,
avalaient difficilement leur salive amère en régénérant les images d'un film
trop usé. Che3ayeb Lekhdim, dans des soubresauts ultimes, trompant Lucifer et
Béatrice, n'avait que cette arme salvatrice. Usant de toutes ses forces, qui
lui font défaut, Il essayait, vainement, de pousser jusqu'au fond, les maux
atroces - sous le feu duquel tout Hercule fond, en les camouflant des mots en
sauce. Le tout servi comme un plat de régal à sa piteuse famille rongée par le
mal.
Cette nuit-là,
recroquevillés et agrippés aux genoux de leur mère, tout comme les précédentes,
telles des feuilles desséchées par le soleil, guettant de tous leurs sens, la
suite du conte vantant des merveilles, un père qui semble en transe, dès qu'il
aborde l'histoire de ce que fut l'Algérie au temps du pétrole ! Le récit
coulait de la bouche de Che3yeb Lekhdim, telle une sève pour vivifier les
nervures de son nid familial… Il leur raconta, non sans user de tous les
subterfuges d'une ambiance de suspens, les faits rapportés par son défunt père,
des réalités sur lesquelles il opéra - euphémisme oblige - des touches
improvisées et inspirées de la seule richesse qu'il conservait. Sa sagesse! En
effet, il était question de ce fameux pétrole dont le pays fut divinement doté
et qui, dès la troisième décennie du XXIe siècle, disparut en laissant ses
oléoducs tels des orphelins déshérités! Les seigneurs saigneurs, possédant plus
d'un passeport, députés, sénateurs et riches entrepreneurs, se ruèrent tous,
comme des déportés, sur les ports et aéroports! Il n'y avait plus rien à «
sucer » ! Désormais les pailles « noires » étaient desséchées! Aucune goutte
noire ! Point de pétrodollar! C'est la crise des crises… Il faut compter ses
avoirs pour aller investir ailleurs! Ici il n'y a plus de mises… On se
disputait, à l'arraché, les quelques vivres qui décoraient la scène tragique
des marchés! Les sources d'approvisionnement en eau potable étaient devenues le
bien personnel des puissants notables. L'électricité, qui n'avait plus aucune
utilité, était réservée pour quelques rares « initiés », qui, possédant de
miraculeux groupes électrogènes, avaient le secret du sésame qui les
approvisionnait en essence et kérosène! Il n'y avait que deux catégories de
survivants: une minorité très puissante composée de notables et d'initiés et
une majorité d'ombres humaines en lambeaux, décorant la scène théâtrale à ciel
ouvert comme de vulgaires figurants en costumes de corbeaux!
Le conteur, poursuivant son récit d'une plèbe
en léthargie, raconta qu'entre des leveurs de mains dociles et distraits et un
conseil de l'énergie, des tours de passe-passe s'étaient opérés comme dans une
magie… Des scandales, dans l'absence de journaliste-à-la-sandale, s'étaient
succédé - à répétition - tel un pillage des vandales, pour sucer le sang de la
terre comme des vampires et voler ses propres frères à la tire! Aïcha et Omar
dont les paupières commençaient à s'alourdir, essayèrent de rassembler leurs
attentions effritées, écoutant leur père avant de s'endormir, ils venaient
d'avoir droit à un nouveau plat d'un conte auquel ils ne cessent de goûter! Aïni,
dans un bâillement d'épuisement, réajusta son foulard, emprisonna ses deux
fragiles poussins dans une grande camisole de force servant de couchage, lança
un regard en soupir vers son malheureux prince charbon tout en l'invitant à
éteindre le quinquet et couvrir les restes de t'chicha, qui serviront à tromper
la faim du lendemain…
Quoique
professent, pour notre gêne, les Nicolas Sarkis sur notre pétrole, l'éternelle
et inépuisable richesse est à dénicher, en travaillant et en prenant de la
peine, sur la surface du sol !
La lumière de
l'après-midi éclaire les bambous, les fontaines babillent délicieusement, le
soupir des pins murmure dans notre bouilloire. Rêvons de l'éphémère et
laissons-nous errer dans la belle folie des choses.
Okakura Kakuzo
Posté Le : 11/02/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : B Khelfaoui
Source : www.lequotidien-oran.com