Algérie

Il était une fois le diabète



L'humanité s'est toujours adaptée aux aléas de la vie, aux variations de l'environnement, celles des climats, aux modes d'organisations sociales, à l'apparition des maladies et aux difficultés de les soigner. Comment l'homme a-t-il pu traverser les siècles en se transformant génétiquement et socialement, se servant pour vivre de l'immensité de vierges prairies généreuses où la chasse et la cueillette commandaient la survie, mutant aujourd'hui en sujet de consommation de «prêt à manger» ? L'homme vivait de la nature qui savait lui offrir tendrement ses richesses alors inexplorées, tant que son agressivité envers elle se limitait à s'en servir pour seulement satisfaire ses besoins élémentaires, vitaux, un secret longtemps conservé. Une symbiose qui assurait la protection des deux. Ils n'avaient pas encore appris à se détruire mutuellement. Le secret de la vie a certes inspiré la littérature et plus particulièrement la poésie, ne cessant d'inspirer aussi la Science et les hommes qui la pratiquent. Ces hommes qui, d'expériences en expériences, d'échecs en échecs, ont mené une lutte incessante contre la douleur en faisant de la transmission des connaissances de l'Homme et de son anatomie un devoir pour aller plus en avant. A chaque pas franchi, la douleur devait être vaincue, devait reculer.  Ainsi, lorsque le destin des médecins a croisé celui du diabète, le regard a fini par se porter sur les modèles de consommation, sur les habitudes physiques de l'Homme, sur les problèmes qu'il rencontre au quotidien. Sur son état mental. Ils ont fini par comprendre qu'ils se trouvent face à une maladie insidieuse, indolore, avec laquelle un sujet peut vivre longtemps, sans s'en apercevoir, puis elle frappe souvent sans avertir, précédée d'à peine quelques signes, auxquels peu de gens sont sensibilisés, préparés.  Un peu d'Histoire ? On retrouve dans des manuels chinois anciens, datant de plus de 4.000 ans avant notre ère, les premières descriptions de l'état du diabétique, sans pour autant identifier entièrement la maladie, sans en localiser les causes ni les remèdes. Chez les hindous, les médecins pensaient se trouver face à une maladie incurable lorsque les sujets qui en étaient atteints urinaient beaucoup et que leurs urines étaient sucrées. A l'époque, les sujets en mourraient. Mais ils avaient noté tout de même deux types de maladies avec des urines sucrées, l'une chez le jeune enfant qui était rapidement mortelle, et l'autre chez l'adulte obèse qui l'était moins rapidement. Pendant la civilisation grecque, les médecins pensaient expliquer la forte fréquence des urines et de la soif par l'existence d'un conduit entre le tube digestif et la vessie. C'est à cette époque qu'Arété de Cappadoce nomma la maladie par le mot Diabète, qui signifie «passer à travers».     D'autres descriptions du diabète se retrouvent chez les Egyptiens 2.000 ans avant notre ère. En fait, ce n'est que vers le 17ème siècle que le Dr Thomas Willis, médecin personnel du roi Charles II d'Angleterre, a pu constater que l'urine diabétique « était merveilleusement sucrée, comme si elle était imprégnée de miel ou de sucre », d'où le nom du « diabète mellitus ». Déjà au 18ème siècle, on avait constaté que les symptômes du diabète diminuaient lorsque diminuait la consommation de sucre chez les sujets. La recherche médicale sur le diabète venait alors de franchir un grand pas depuis l'aube de la création. Le chemin à suivre sera long mais visible. Décrit tour à tour comme une maladie de l'estomac, puis comme une maladie rénale, ou encore comme une maladie du sang, le diabète continuait de tuer en demeurant cet inconnu qui gardait son secret. Seule la restriction du sucre pouvait amoindrir quelque peu ses effets, sans vraiment identifier ses causes et garantir une vie normale et équilibrée aux diabétiques. Il fallait alors que le malade tienne un « journal diététique » proposé par John Rollo en 1797. Mais comment faire fi de cette attirance toute humaine du goût des sucreries inscrit dans l'enfance de chacun pour pouvoir vivre normalement, pour éviter des complications parfois mortelles ? Comment concilier une discipline alimentaire, corporelle, imposée par la nécessité d'un régime drastique et vivre dans un milieu où les « bonnes choses » arrivent à votre regard, vos narines malgré vous ? Comment ? Après bien des années de recherches, en 1877, Etienne Lancereaux parle déjà, ou enfin, de deux types de diabète, le maigre et le gras. En juillet 1921, le docteur Frederick Grant Banting et son assistant Charles Herbert Best, de l'université de Toronto, isolent une hormone pancréatique appelée l'insuline. Testée sur un chien auquel les chercheurs ont enlevé le pancréas, l'hormone isolée permet de recréer artificiellement les échanges de sucre dans l'organisme de l'animal. Cette découverte va révolutionner la médecine et le traitement du diabète. Frederick Grant Banting, Charles Herbert Best et leurs collaborateurs James Richard Mac Leod, chef de laboratoire, et James Bertram Collip, chimiste, recevront le Nobel de médecine en 1923. Ils partageront ainsi le prix de l'effort, celui que l'humanité toute entière leur décerne. Leur doit tout comme elle leur doit une reconnaissance au-delà du prix Nobel. En 1922, grâce à une armée de chercheurs en médecine qui se sont succédé, l'injection d'un extrait pancréatique à un diabétique se fait avec succès. Il survit quatorze années. La science venait d'ouvrir les portes du succès dans cette guerre contre le diabète et contre la mort prématurée jusque-là vécue comme une fatalité. L'insulinothérapie venait de naître. Ceci pour l'Histoire. On comprit par la suite que le diabète pouvait atteindre tout le monde sans distinction de races, de pays ou d'âge. Pourquoi ? D'abord parce que le mode de consommation « cocalisé » impose un régime alimentaire déséquilibré, indépendamment de la volonté de chacun. On mange et on boit de plus en plus de produits industriels ayant perdu leurs fraîcheurs naturelles, leurs saveurs d'antan et trop riches en glucides. Les temps de la consommation naturelle et de la quiétude s'éloignaient pendant que la course vers la progression sociale imposait un mode de vie éreintant. Une nostalgie commence à s'installer. Celle-là même qui a le pouvoir de nous pousser à nous interroger sur le sens d'un progrès au prix de la santé. Un prix que nul argent ne saurait payer. Le mode de vie particulièrement dans les villes impose un rythme et des habitudes de consommations souvent contraires à la « bonne santé », au sens du bien-être physique, morale et social.  Le diabétique souffre physiquement du fait des privations avec lesquelles il doit vivre et de la nature du traitement qu'il doit suivre. A vie. Pour le moment. Il souffre mentalement à devoir continuellement penser à sa maladie. Il souffre socialement car l'évolution de la maladie, si elle n'est pas suffisamment prise en charge, peut le mettre dans une situation de dépendance vis-à-vis de son entourage, de la société ou de l'Etat. C'est ainsi que le rôle du médecin, ce compagnon indispensable du diabétique, ne doit se contenter d'aucune amélioration de l'état de son patient mais continuer à maintenir vivante une communication interactive avec lui. Continuer à l'écouter. Tout le temps et sans se lasser. Faute de quoi, le moindre relâchement peut précipiter l'irréversible s'il n'est pas diagnostiqué à temps. L'irrespect du régime alimentaire, une blessure mal soignée, un choc émotionnel, l'omission d'une prise médicamenteuse, peuvent se traduire par une complication parfois difficile à redresser. Car le diabète affecte la capacité du corps à produire ou à bien utiliser l'insuline, une hormone essentielle à la transformation énergétique des aliments. C'est ce qui provoque de mauvais fonctionnements, incluant l'excès d'un type de sucre appelé glucose dans le sang et dans les urines.  Dans le cas d'un diabète appelé de type I, le pancréas est d'emblée détruit. Le pancréas est cette glande complexe située profondément dans l'abdomen, derrière l'estomac. Mais la médecine, cette discipline d'abord humaine par son statut, a trouvé un moyen de compenser la fonction de la glande. L'insuline extraite du pancréas des animaux, après traitement pharmaceutique, introduite sous forme d'injection, la forme la plus répandue actuellement, peut sauver la vie du diabétique selon un schéma thérapeutique déterminé par son médecin. La nature une fois de plus se met au service de l'Homme comme pour lui rappeler qu'elle est toujours là, même s'il l'a oubliée dans ses conquêtes économiques. L'histoire de l'insuline a aussi été une conquête de la science menée par des générations de conquérants, tous mus par une volonté inébranlable de soulager la souffrance d'autrui. Aujourd'hui, chaque diabétique trouve l'insuline qui correspond à son mode de vie. Un rêve il y a peine quelques années. La Science est ainsi arrivée à bon port mais d'autres ports l'attendent encore. D'autres espoirs attendent de voir le jour. Dans le cas du diabète dit de type II, qui touchait les personnes adultes en particulier, le sujet doit atteindre ou maintenir un poids santé. Un poids qui doit lui faire éviter l'obésité, le mal redouté par les médecins. Auparavant, l'obésité était un signe de bonne santé, symbolisant l'aisance. Encore aujourd'hui dans certaines parties du monde, l'obésité est même perçue comme une esthétique, particulièrement chez les femmes. Il n'en n'est rien. Cette croyance ancienne est un danger permanent pour le corps humain, pour la vie. Elle est source de nombreuses maladies et la réduction du poids constitue une nouvelle guerre pour la médecine. Certains Etats développés lui réservent une part non négligeable de leurs revenus. Le diabétique de type II peut se prémunir de l'évolution de sa maladie en luttant contre son poids par l'activité physique, par le régime alimentaire sous contrôle médical, par l'hygiène corporelle. Bien sûr, il paraît parfois indécent à une personne âgée de pratiquer le sport. Ce n'est en fait que pur complexe devant le « qu'en dira-t-on »: mais est-ce si important au regard du bénéfice que l'on en tire ? Devant sa propre santé ? Par ailleurs, une bonne marche à pas cadencés pendant une petite heure par jour suffit à retrouver la forme et à repousser toute aggravation du diabète. Sur le plan alimentaire, est-ce si important de se gaver d'aliments gras et passer la nuit à les digérer au lieu d'un repas léger composé de légumes qui apaise le corps et aide à dormir à poings fermés ? En dehors de sa saveur, le sucre est-il si important pour l'équilibre physique ? Autant de questions auxquelles la médecine a donné des réponses qui ne correspondent pas toujours à nos croyances. La sédentarisation, en tout cas, encourage l'apparition du diabète.  Le diabète est un défi à relever pour les années à venir, particulièrement lorsqu'on apprend que pendant les vingt années à venir, on comptera de plus en plus de malades du fait de nos habitudes alimentaires, de notre sédentarité perçue à tort comme un signe de modernité. Pourtant, les traitements ont évolué, les instruments aussi. On est passé en près d'un siècle de la seringue en verre nécessitant un entretien après chaque injection pour sa stérilisation, près de trois fois par jour, à la seringue jetable, d'usage plus facile et ne nécessitant aucun entretien.  Le stylo injecteur a révolutionné le mode d'injection, bien que les pompes à insuline soient d'utilisation restreinte car elles nécessitent un bon niveau d'instruction, ce qui n'est pas le cas de tous les diabétiques. Actuellement, on expérimente de l'insuline par voie orale. L'insuline par inhalation est déjà commercialisée.  Qu'en est-il alors de la greffe du pancréas ? Elle est pratiquée depuis plusieurs années mais demeure limitée par les effets secondaires des médicaments que l'accompagnent. Une étape de la médecine qui fait honneur à la Science toute entière.  On apprend pour notre gouverne que l'Algérie compte près d'un million et demi de diabétiques et le monde en compte cent cinquante millions. La population diabétique est appelée, selon les estimations, à doubler en 2025. En Algérie, et selon l'avis de spécialistes, la nomenclature des médicaments comporte tous les types d'insuline, y compris celles appelées « analogues ». Si la médecine a toujours fait son devoir, il reste à combler le vide de communication qui s'établit entre le malade et son médecin, entre les différentes disciplines de la médecine. On sait à titre illustratif que l'équilibre glycémique n'était obtenu que chez moins de 40% des diabétiques avant l'arrivée de l'insuline dite « analogue ». Depuis cette arrivée, les spécialistes ont déjà amélioré considérablement ce taux. Par ailleurs, la communication constitue un autre défi qui contribuera à améliorer la relation médecin-malade.  Dans cette relation, la plus grande partie du temps passée avec le malade doit être consacrée à son éducation sanitaire. Dans certains pays comme l'Allemagne, ce temps est considéré comme une prestation médicale remboursable par la sécurité sociale.  L'amélioration des conditions de vie et une plus grande longévité doivent s'accompagner d'une sensibilisation sans relâche et par tous les moyens de communication dont dispose la médecine, aussi bien envers des populations qu'envers le corps médical. Ainsi, vivre plus longuement ne signifiera pas souffrir plus. L'on gardera cette capacité humaine inépuisable d'aimer.  Mais aimer, c'est aussi pouvoir apprécier cette image parfois embuée que nous renvoie notre propre miroir. Tout dépend alors d'elle. Tout dépend de nous tous, ensemble. Rien ne s'y oppose, le diabète étant mieux connu qu'au début de la vie et particulièrement depuis près d'un siècle. Nous pouvons donc vivre avec et pourrons peut-être écrire un jour: « Il était une fois l'insuline ».


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