Algérie

Il était une fois le café littéraire de Chlef - Quand le flambeau se relaye éteint



Un café littéraire est un lieu de réunion où l'on parle de littérature. On y échange des idées, écoute des extraits de livres lus par des comédiens ou des textes poétiques récités par des troubadours. On y assiste à des spectacles érudits tout en dégustant un café, ou autres boissons. Les cafés littéraires ont joué un rôle fondamental dans l'histoire des idées, des arts et de la chose écrite. En dehors de leur vocation littéraire, ces lieux culturels ont servi de bureaux académiques, de poste, de réunion, de salles des ventes, de compagnies d'assurance, de cellules de méditation, de microcosmes pour penser ou pour rêver, de rendez-vous galants ou de quartier général de conspirateurs ou de révolutionnaires, et parfois de musées. Ils font souvent office de salons démocratiques et de laboratoires pour les pensées les plus audacieuses et les formes les plus novatrices.

Il n'existe pas une forme spécifique et définie du café littéraire : sa physionomie et son esprit varient selon les époques, les lieux, le caractère de ses habitués, les contrastes des différents milieux et des différentes personnalités qui s'y côtoient. Du café de poètes au café d'artistes, du café le plus humble au plus fastueux, du café aux mÅ“urs légères à celui qui imite les palais de l'aristocratie, en passant par ses déclinaisons les plus libertaires, comme le cabaret artistique. Ces facettes multiples sont la représentation d'un univers intellectuel, esthétique et émotionnel toujours changeant, toujours en construction.

Initialement, les cafés littéraires ont servi d'alternative aux cours princières et aux salons de l'aristocratie, avant d'être divulgués à l'ensemble des couches sociales pour faire partie de l'ambiance intellectuelle des rues. La progression de sa forme et la variation de son usage sont liées à la généralisation de l'enseignement et au développement de l'industrie livresque, sans oublier l'émergence des arts et l'essor enregistré dans les domaines scientifiques. Ces rassemblements de savants, de poètes, de penseurs et de gens érudits existaient déjà depuis une époque lointaine en Orient. Mais, c'est bien en Occident que l'appellation de « café littéraire » est née, en France plus précisément. Le café Procope fut probablement le premier endroit de ce genre. Créé en 1686 à Paris par Francesco Procopio dei Coltelli dit « Procope », ce lieu, d'un genre nouveau, obtint ses lettres de noblesse de la fréquentation de Voltaire, Rousseau et Diderot, pour ne citer que ceux-là. Pour d'autres observateurs, le premier café littéraire serait le café de la Place du Palais-Royal, fondé en 1681, et qui deviendra après 1715 le café de la Régence.

Au dix-neuvième siècle, on parlait de salon littéraire et les réunions se déroulaient parfois chez des particuliers. Au vingtième siècle, les cafés se développent et les réunions avec, les rencontres intellectuelles ont fini par sortir des lieux commerçants pour élire domicile soit en plein air, soit dans des salles réservées aux conférences ou à différents spectacles.

Les cafés littéraires ne sont pas toujours dédiés uniquement à la littérature, mais également à d'autres formes artistiques. Le qualificatif de « littéraire » qui accompagne les cafés mémorables est désormais un terme consacré, mais qui s'avère trop restrictif. Si les hommes de lettres ont fréquenté les cafés dès leur apparition, s'ils en ont souvent fait leur second domicile, aussi bien en Orient qu'en Occident, ils ont vite été rejoints par les représentants des autres domaines de la création, des arts dramatiques aux arts plastiques, et aussi par tous ceux qui ont à voir de près ou de loin avec ces milieux, comme les marchands de tableaux, les libraires, les éditeurs, les collectionneurs ou les échotiers. Les philosophes, les universitaires et les scientifiques y ont droit de cité, tout comme les idéologues, les hommes politiques et même les théologiens. Ces établissements ont constitué, à un degré ou à un autre, des bureaux académiques faits pour y échanger des opinions et y confronter des idées le plus librement du monde. Chaque époque, chaque culture, chaque ville, chaque quartier parfois a produit une typologie particulière des maisons de café, avec une multitude de variantes originales. La notion même de café littéraire évoque immédiatement un lieu d'exception ayant joué un rôle dans la vie culturelle d'un pays à un moment donné de son histoire.

A Chlef, comme dans toutes les villes d'Algérie et du monde, il y'avait un café littéraire qui servait de tribune d'expression littéraire et culturelle dans son sens large. Drivé par quelques homme lettrés, passionnés d'art et de culture, patients et toujours persévérants, cet espace de savoir et de connaissance a toujours affirmé sa présence, en participant aux festivités culturelles en dehors de ses animations hebdomadaires, en partenaire avec les instances qui gèrent le domaine culturel, avec quelques départements universitaires et avec nombreuses associations, aussi bien à l'échelle locale qu'au niveau des rencontres nationales.

Malheureusement, ce cercle instructif et récréatif n'est plus fonctionnel à défaut de compétences volontaires. La disparition brusque de plusieurs de ses membres piliers et la coïncidence malencontreuse avec la propagation endémique de la COVID-19 ont également induit à l'arrêt de ce phare dédié au débat, à l'animation intelligente et aux entrevues conviviales. Le mouvement littéraire s'est graduellement éteint à Chlef suite à la fermeture de cet espace de savoir. Son existence avait duré une dizaine d'années. Le club qui porte le nom de feu Ali Medjdoub, l'un de ses fondateurs, était présidé par le regretté Mohamed Boudia depuis sa création en 2007. Malgré son caractère indépendant, ce café littéraire a un parcours plus riche que n'importe quelle association culturelle agréée et soutenue par l'Etat. Démuni de moyens, ses activités étaient généralement supportées par ses propres adeptes. Sans un siège permanent, le club a toujours été nomade dans son exercice à travers les différentes salles de la ville de Chlef.

Mais, en dépit de son engagement contre vents et marées, le café littéraire de Chlef n'a jamais cessé son exercice, il était la raison de l'existence de ceux qui le conduisaient, présent dans les esprits de ceux qui faisaient mine de l'ignorer. Résister à la mauvaise considération des administrateurs de la culture, et au désintéressement de l'entourage social, était un défi que le club, avec ces quelques membres constants, a toujours encouru. Il est bien beau de se dire qu'une portée d'abeilles vaut bien mieux qu'un panier de mouches, la norme collective veuille, cependant, qu'il n'est pas toujours certain de vaincre dans une lutte menée contre personne, notamment par des temps de précarité intellectuelle et de manque de volonté honnête.

En conclusion, le café littéraire est une idée qui continue de germer même dans le climat extrême. C'est une enseigne virtuelle qui brille encore dans une atmosphère opaque. Il peut arriver que son feu s'éteigne pour un temps, mais sa flamme rejaillira certainement de ses cendres un jour, car, quel que soit l'acharnement des vents, le flambeau se relaiera toujours allumé dans une nation qui sait respecter ses rites.

*Ecrivain




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