Algérie

IL ÉTAIT UNE FOIS... EL ACHOUR



Les Pieds-Noirs et leurs amis connaissent bien à présent notre Mémorial du Souvenir édifié sur la Promenadte des Glacis, non loin de la gare Viotte, et la plupart savent également que sur sa face arrière, dans le haut du socle se trouve une niche avec une vitre en plastique qui renferme un coq, aux ailes à peine rognées pour entrer dans la cavité. A ce propos, écoutez donc une histoire, une belle histoire qui finit mal...

Il était une fois...

N'est-ce point en ces termes que débute une belle histoire?...
Celle que je me propose de raconter s'adresse à nos enfants sur qui repose la continuité, la pérennité de l'entité algérianiste; elle s'adresse aussi aux grands, car c'est une histoire vraie, une histoire où le drame côtoie la noblesse.
Il était une fois... un coq gaulois dont le tempérament à la fois fougueux et généreux s'accommodait mal des dimensions de la basse-cour.
Il apprit à voler avec cette énergie que stimule la volonté créatrice. Notre coq désirait en effet ardemment apporter ce qu'il avait de meilleur en lui là où le besoin s'en faisait sentir.
Avec d'autres de sa trempe, il traversa la Méditerranée et choisit de se fixer dans le Sahel algérois où tout était à créer. Son instinct combatif était fort heureusement à la hauteur des circonstances. En effet, s'il avait compris le parti que l'on pouvait tirer de ces coteaux aux terres riches, de ces vallons où régnait une fraicheur propice aux cultures, la région était néanmoins recouverte de broussailles. Notre coq se mit de suite au travail et lutta de toute son énergie afin de rendre fertile et salubre cette partie du Sahel. Très vite, la vie apparut; un village venait de naître ... EL ACHOUR
Tellement heureux, tellement fier de son oeuvre, le coq ne songea plus un seul instant à retourner dans sa patrie d'origine. Consciemment ou non, n'en avait-il pas créé un magnifique et moderne prolongement?
Au reste, sa fidélité, son amour pour la France ne se sont jamais démentis chaque fois que l'hexagone fut en danger, il mobilisa ses enfants qui s'en allèrent sans la moindre hésitation donner généreusement leur sang. la guerre de 1914-1918 lui fut particulièrement cruelle, et une vingtaine de ses fils périrent au champ d'honneur... C'est à ce moment que le coq devenu vieux songea à se reposer. Il choisit pour cela de se percher au sommet du monument élevé à la gloire des enfants d'EL-ACHOUR. Là était sa place naturelle. De là, il pouvait tout observer. Sensible aux joies et aux peines de tout un chacun, il aimait à observer les Jean-Pierre, les Yves, les Edgar, les Ramdane, les Liés, les Ali et tant d'autres, sortant de la même école, et s'attardant sur la place pour des jeux de leur âge. Il lui arrivait aussi d'apercevoir, d'approuver avec bienveillance, les jeunes gens dynamiques au front volontaire faisant la cour à des filles élancées, espoir de foyers féconds, avenir d'El-ACHOUR...
D'autres coqs avaient semblablement réussi, et notamment ceux qui, grattant le sol du Sahara avaient fait jaillir le pétrole dont on pouvait déjà songer qu il serait drôlement utile à la France.
Tout était sans doute trop beau. C'est alors que certains coqs demeurés dans la basse-cour, peu nombreux il est vrai, et parmi les plus médiocres d'une catégorie appelée " intellectuelle ", ceux-là même qui n'avaient rien construit, n'avaient pas su ou pas osé voler, décidèrent de s'acharner sur le coq symbole d'une réussite exemplaire, et par là même, hélas! propre à déchaîner les jalousies morbides.
Savamment insufflées à petites doses régulières par tous les moyens de diffusion, le bruit commença à courir dans toute la France, que le coq avait " volé " des terres; il se serait enrichi au détriment d'autres habitants du pays arrivés avant lui; il aurait profité de sa puissance pour établir un affreux " colonialisme "...
Notre coq, par trop candide, se souvenant des broussailles à défricher, revendiquées par personne, observant les rapports entre les différentes communautés, les antennes de télévision naissantes, et les voitures également répandues parmi toutes les couches de la population, ne comprenait pas qu'on put se battre autrement qu'à la loyale.
Une fois de plus, il rassembla ses enfants, et cette fois pour la réhabilitation de la vérité. Un moment l'on put croire qu'il avait gagné...
Un certain 13 mai en effet, alors que tout un peuple réagissait instinctivement face au sceptre d'un retour moyenâgeux qu'il ne désirait évidemment point, l'on put voir sur le forum d'Alger un européen et un musulman tenant une banderole avec l'inscription : " EL-ACHOUR veut rester français "
En haut lieu, on prétendit même l'avoir " compris " l'on avait sans doute parfaitement bien compris, mais également décidé, pour de sordides raisons, d'en finir avec ce coq devenu gênant.
L'ultime combat était perdu d'avance; non pas, et c'est important, que le "vent de l'histoire" fut inévitable (il fallait bien trouver un alibi pour voler au secours des consciences quelque peu ébranlées), mais on fait, les forces occultes tenaient le haut du pavé.
Le coq eut la satisfaction de voir certains de ses fils se battre jusqu'au bout. Pour sa part, il avait choisi la seule solution qui correspondit à une longue existence noble et généreuse il devait couler pavillon haut...
Ce bien triste jour arriva. A ha faveur d'une Algérie désorganisée, une équipe de voyous viola sans vergogne le monument aux morts d'ELACHOUR... Le valeureux coq gisait impuissant, mais toujours aussi fier, couché sur une terre à laquelle il s'était identifié depuis longtemps.
L'histoire allait-elle se terminer aussi lamentablement? Etait-il possible que tant de haine pût se manifester aussi ignoblement sans le moindre corollaire alors que le drapeau tricolore flottait encore, ne fût-ce que pour quelques jours?
Eh bien non! Le sergent-chef TOULIS, un sous-officier français pour qui le mot dignité avait encore un sens, un "homme" dans tout le sens du terme qui ne pouvait supporter tant de honte, recueillit pieusement le coq symbolique au détriment de sa vie. Le lendemain même de son geste, TOULIS fut tué par les nouveaux maîtres de l'Algérie, dans les souffrances les plus atroces.
Souvenons-nous toujours du sergent-chef TOULIS; comme il est "grand" face aux minables, aux pitoyables qui viennent encore de se manifester à TOULON par crainte d'une vérité qui de toute façon jaillira tôt ou tard.
Que dire de la nouvelle traversée de la mer (dans l'autre sens)?
L'exode faisait place à la belle aventure. Mutilé dans sa chair et dans son cœur, le vieux coq pensait à ses enfants nés "là-bas", voués à la dispersion, et il n'avait pas besoin d'avoir lu BARRES pour savoir ce que serait le déracinement dans le vieux pays structuré depuis longtemps où EL-ACHOUR ne pouvait être reconstruit.
Mais il ne doutait pas cependant que les qualités de ses fils par lui inculquées trouveraient leur point d'application au sein même du désastre. le peuple de France on effet comprit très vite on les observant au labeur que les nouveaux venus n'avaient rien d'exploiteurs affamés, rien de tous les affreux défauts dont la propagande mensongère les avait affublés. Dans leur quasi totalité, les frères de France offrirent leur hospitalité.
De retour du Maghreb, du Maroc plus précisément dont je conserve d'émouvants souvenirs sur tous les plans, je viens à mon tour d'entrer dans notre véritable domaine qui est de "nulle part" comme l'a si bien défini J. BRUNE.
J'ai revu avec émotion mon fier coq gaulois. A cet instant, j'ai pensé d'abord au sergent-chef TOULIS. J'aurais voulu pouvoir lui dire, tout simplement
"Mes respects, Sergent !"
J'ai pensé à la population d'EL-ACHOUR dont il avait pendant longtemps été établi un fait bien connu, à savoir qu'elle formait une grande famille.
Un des membres de cette famille se trouve à BESANÇON notre ami Antoine BONET, garagiste on cette ville. BONET figure un de ceux qui, dix-huit ans après, sont toujours aussi fiers de leurs origines. Il ne s'en cache pas, bien au contraire, et c'est indéniablement cela qui, joint à une serviabilité légendaire lui a valu l'estime d'un nombre incalculable de Bisontins.
Quand au coq lui-même, il m'a semblé rajeuni. Ce n'est certes qu'un animal de bronze, mais il demeure pour nous un symbole exaltant. Sa crête altière élancée en un noble "cocorico! " de victoire nous fait immanquablement méditer cette phrase de Bernanos "La plus haute forme de l'espérance, c'est le désespoir surmonté".
J'ai remarqué enfin qu'il n'était pas orienté vers le sud, et cependant, sur nos cœurs endurcis, le mot ~FIN~ ne saurait s'inscrire; la belle histoire n'est point terminée.

Yves DERTIE,



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