Algérie

« Il est urgent de mettre en place un modèle énergétique »



Que symbolise le 24 Février 1971 pour vous '
Le 24 Février 1971, c'est une deuxième indépendance pour l'Algérie. Le partenaire français entretenait une vision encore colonialiste par rapport aux hydrocarbures du Sahara algérien. L'Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) était créée depuis une dizaine d'années et les pays producteurs d'hydrocarbures devaient parachever leurs indépendances par un recouvrement de leurs ressources minières et pétrolières. L'Algérie a décidé dès lors, de façon souveraine, de nationaliser ses hydrocarbures. Pour la petite histoire, j'étais ingénieur à l'IAP et je préparais ma thèse, je passais mon service national à l'Académie de Cherchell. Moins de 15 jours après, nous avons été envoyés pour mettre en ?uvre cette politique algérienne de développement. Sonatrach est née le 31 décembre 1963, donc elle était une jeune entreprise. Elle avait, en six mois, remonté la pente. L'Algérie a été un exemple pour les autres pays.
Comment notre pays a joué ce rôle ' Pour le réajustement des prix du brut de novembre 1973, l'Algérie et l'Arabie saoudite désignèrent les ministres Belaïd Abdeslam et Zaki Yamani pour expliquer aux Occidentaux les décisions de l'Organisation. Pour leur part, les pays occidentaux se référaient à l'Algérie pour les grandes décisions. Il faut savoir qu'à l'époque, il y avait une grande addiction au pétrole et l'offre n'était pas assez importante face à la demande. Il y a eu donc ce que les Occidentaux appellent à tort le « premier choc pétrolier ». En fait, l'Opep demandait une revalorisation légitime du prix du baril de pétrole qui était autour de 1 dollar. En 1970, le prix du baril était inférieur à celui de 1960 puisque les multinationales, « les sette sorelle » (les sept s?urs) comme les appelait Enrico Mattei (ancien patron de la société pétrolière italienne ENI), qui s'entendaient entre elles pour se partager le monde d'après la fameuse red-line (ligne rouge) que les pays de l'Opep ont cassée. Les prix du pétrole étaient du bakchich et ne correspondaient nullement à leur valeur réelle. Ainsi, le prix est passé de 2 dollars à 11 dollars en décembre 1973. Boumediène disait : « Il faut semer du pétrole pour récolter du développement. »
Justement, qu'a-t-on réalisé avec la rente pétrolière durant cette période '
De 1965 à 1978, l'Algérie avait empoché 25 milliards de dollars (mds) avec lesquels nous avons réalisé toutes les raffineries et les complexes que nous avons. En outre, nous avons fait bon usage de cet argent pour ériger les complexes industriels dans les secteurs de la mécanique avec la SNVI (Société nationale des véhicules industriels), l'électronique avec l'ENIE (Entreprise nationale des industries électroniques), la chimie, les ciments. L'Algérie était un grand chantier. A la mort de Boumediène, l'Algérie a arrêté d'investir. C'était l'époque du PAP (programme anti-pénurie) jusqu'en 1982 lorsque le dollar valait 5 francs français et le baril 40 dollars. On a donc ouvert la manne et on a essayé d'acheter la paix sociale. En 1986, les prix du pétrole chutent brutalement car entre-temps il y a eu des producteurs hors Opep comme le Royaume-Uni et le Mexique. Les prix ont alors chuté à moins de 10 dollars. L'Algérie s'est retrouvée pratiquement à sec. Depuis 1980 à ce jour, nous n'avons pas investi quelque chose de significatif alors que la manne pétrolière nous a rapporté près de 700 milliards de dollars.
Pourtant des investissements sont annoncés à chaque fois...
Il est vrai qu'il y a des inaugurations çà et là d'usines de traitement de gaz ou un pipeline au Sud. C'est malheureusement pour rendre exportable notre énergie et accentuer l'hémorragie en la rendant disponible aux Européens et Américains. Ces investissements se font dans l'activité amont et non aval. A titre indicatif, l'Algérie tente de faire aboutir depuis 20 ans un complexe de matière plastique pour lequel nous sommes avec Total depuis 10 ans. Les Occidentaux ne sont pas intéressés par la transformation du pétrole en usines pour la création de richesse. Les appels d'offres restent infructueux pour des projets d'aval. Le Medgaz en est un autre projet qui accentue l'hémorragie du gaz. En somme, il ne faut pas être fier des 73 mds de dollars de recettes pétrolières engrangées en 2011. Au contraire, il faut s'inquiéter de ce pompage frénétique pour compenser une dépense boulimique en importations de l'ordre de 46 mds de dollars. Cette ressource unique, rare et sur le déclin est gaspillée en important des véhicules énergétivores pour 4 mds de dollars qui consomment 25% à 30% de plus de carburant. Nous avons du GPL (gaz propane liquéfié) dont on ne sait pas quoi faire. On achète des fours et des réfrigérateurs qui consomment 4 fois plus d'électricité. L'Agence nationale pour la promotion et la rationalisation de l'utilisation de l'énergie (APRUE) fait un travail remarquable sur l'économie d'énergie, en vain, car elle n'est pas adossée à une stratégie d'ensemble avec l'adhésion de toute la société. Il faut mettre en place une véritable pédagogie. L'Algérie produit 1,2 million de barils/jour (mbj) et en découvre environ 60 %, soit 0,7 à 0,8 mbj. La différence est prise des réserves. Celles-ci sont estimées à 12 mds de barils de pétrole, selon l'Agence internationale de l'énergie. Donc, notre meilleure banque est notre sous-sol en préservant nos ressources car l'énergie coûtera plus cher dans le futur. Le débat de fond qui s'impose est d'aller vers une stratégie énergétique multidimensionnelle. Il faut mettre tout à plat car la stratégie énergétique n'est pas seulement du ressort du ministère de l'Energie et de Sonatrach ou de Sonelgaz, mais de tous les départements ministériels et de la société civile. Tout le monde doit s'impliquer !
Que faut-il faire pour remédier à cette situation '
On doit former le jeune écolier pour qu'il soit l'éco-citoyen de demain. Même un imam doit faire des prêches sur l'économie d'énergie. L'Algérie possède 75 barrages mais aucun n'est hydroélectrique alors que les cinq laissés par la France le sont. On peut réaliser des barrages au fil de l'eau. C'est autant de gaz naturel en moins à consommer. Chacun a une responsabilité. On a un ministère des Transports alors qu'on ne connaît pas le parc de voitures et sa consommation. On a un ministère des Travaux publics sans aménagement des routes, sans aménagement du territoire, sans un transport en commun comme le co-voiturage. En 2030, l'Algérie comptera 45 millions d'habitants. Selon l'Agence internationale de l'énergie, à cette échéance, l'Algérie n'exportera plus de pétrole. C'est un danger !
Est-ce que l'Algérie produit plus que ce qu'elle découvre en hydrocarbures '
Non ! Nous n'arrivons pas à couvrir chaque année ce que nous découvrons. Nous consommons plus et nous produisons plus que ce que nous découvrons. La différence est prise des réserves.
Sonatrach s'est externalisée. Quel en est l'intérêt pour notre économie '
Nous avons perdu de l'argent au Pérou. Nous essayons de réactiver notre investissement en Libye mais rien n'est moins sûr. L'Algérie a tellement besoin de Sonatrach ici. Il y a un plan de charge énorme dans le pays en investissements dans l'aval. Il faut cesser de faire de Sonatrach un tiroir-caisse. Il est impératif d'imposer aux sociétés étrangères qui viennent sucer le pétrole et le gaz algériens la nécessité d'investir dans l'aval car c'est l'activité qui crée de la richesse. Et la question de fond est pourquoi produire plus que nos besoins ' Pour mettre notre argent dans des banques étrangères. Nous avons 200 mds de dollars et leur loyer est de 2 % et l'inflation est de 4 %. Donc, on ne gagne pas grand-chose. Pourquoi ne pas laisser nos richesses dans le sous-sol car notre banque, c'est ce sous-sol. Car plus le temps passe, plus les ressources se raréfient et plus elles deviennent chères. En plus, puisque nous avons cette rente, pourquoi ne pas l'investir dans de l'or. En 2009, l'once d'or était à 900 dollars et actuellement il est à 1.800 dollars. Il faudra investir en Europe dans la pierre et acheter des entreprises. L'Algérie aurait pu acquérir le constructeur automobile Saab au lieu de courir derrière Renault pour produire des véhicules.
Mais que peut-on faire dans l'immédiat '
Il est urgent de mettre en place un modèle énergétique pour savoir où on va, et organiser des états généraux de l'énergie. Cela prendrait six mois à une année. Avec ça, le ministère de l'Enseignement supérieur saura ce qu'il doit former. Nous avons construit 1 million de logements avec des chauffe-eau au gaz naturel. L'APRUE a tenté d'imposer des chauffe-eau solaires, en vain. Pourtant, nous avons conçu un prototype de chauffe-eau solaires, mais il faudra passer à l'étape industrielle en partenariat avec des étrangers. L'autre exemple est celui des climatiseurs que nous achetons. Nous dépensons sans penser ! Par ailleurs, au nom d'une mondialisation débridée, l'Algérie a accepté de faire baisser ses barrières tarifaires. Du coup, notre outil national n'est plus compétitif et nous avons perdu près de 400 000 emplois. On ne forme plus d'ingénieurs ni de techniciens. On parle d'exploration des gaz de schiste à partir de cette année.
Est-ce une bonne idée sachant que les investissements coûtent plus chers '
Les gaz de schiste sont une calamité sur le plan de l'environnement. Il faut 14 000 m3 d'eau douce pour un forage dont le rayon d'action ne dépasse pas 1 km2 pour un pays en stress hydrique. Il faudrait injecter des produits chimiques cancérigènes qui polluent la nappe phréatique et fragilisent le sous-sol. Total est intéressé maintenant pour investir en Algérie mais elle est interdite de le faire en France.


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