Algérie

«Il est temps de le revisiter librement»



«Il est temps de le revisiter librement»
Vingt ans après son assassinat, rencontre à Oran autour du dramaturge et de l'homme.-Quelle démarche avez-vous adoptée pour la programmation de cette commémoration 'Pour cette vingtième commémoration de son assassinat, nous organisons des rencontres autour de l'impact de son théâtre, 20 ans après. Nous avons décidé d'appeler cela «rencontres», car Alloula était un homme qui allait vers le débat et l'échange. Il pouvait monter sur une table de réfectoire et jouer une de ses pièces, juste pour le plaisir de partager. Nous avons aussi décidé de mettre en avant les jeunes artistes. Au lieu de travailler sur des ?uvres de Alloula, ils viendront avec leurs propres spectacles, inspirés d'une manière ou d'une autre de son théâtre. L'idée est de mesurer l'impact actuel de l'expérience de Alloula. Nous allons également organiser des débats avec le public après les spectacles.-Comment est née la Fondation Alloula 'C'est une belle histoire, car elle s'inscrit dans la résistance au terrorisme des années ?90. La première initiative est venue de Madame Anissa Asselah qui a perdu son époux et son unique enfant, Ahmed et Rabah, assassinés au sein de l'Ecole des Beaux-Arts d'Alger, le 5 mars 1994 (soit 5 jours avant Alloula). Elle a créé la Fondation Asselah pour perpétuer la mémoire de ses hommes. Anissa était une femme extraordinaire qui m'a toujours encouragée pour me lancer dans une Fondation à la mémoire de Alloula. Elle est d'ailleurs membre fondateur de celle-ci. On a donc commencé sans financement en 2000 et, depuis, nous avons fait beaucoup de choses. En 2003, on faisait déjà une tournée en France avec une version bilingue de Lithem, mise en scène par Arnaud Meunier, dans le cadre de l'année de l'Algérie en France.-Selon vous, quelles sont les particularités du théâtre de Alloula 'Il était parti du théâtre académique classique bourgeois européen pour arriver à un théâtre populaire algérien en puisant dans le patrimoine : le meddah, el halqa, el goual? des éléments qu'il a employés sur la scène à l'italienne. Il y a aussi une anecdote intéressante qui éclaire sa vision du théâtre : avant chaque représentation, il disait à ses comédiens : «Amusez-vous !». Le dire, la parole ont un rôle très important dans son ?uvre, donc la voix et les gestes du comédien sont primordiaux. Il disait aussi que le spectateur est co-créateur de la pièce. Un peu à la manière du goual (ndlr : conteur), il n'y a pas de visualisation de l'action sur scène mais des situations et des images. L'auteur donne le fil et c'est au spectateur d'imaginer sa représentation théâtrale.Alloula disait qu'il ne se passait rien sur scène. Et cette façon de faire parlait au public. Je me souviens des représentations de El Adjouad avec des spectateurs qui revenaient 30 ou 40 fois, au point d'apprendre par c?ur le texte qu'ils répétaient avec les comédiens. Les billets se vendaient même au marché noir et les jeunes s'appropriaient les répliques. Ecrivant en arabe populaire, il faisait appel à toute la force allégorique et symbolique de cette langue. Il puisait dans la langue du terroir cette façon de dire par le non-dit et l'implicite. Et cela parlait au petit peuple, à ceux qui n'allaient pas au théâtre et qui n'avaient pas droit à la parole. Dans ses personnages, on trouve des éboueurs, des cuisiniers, des gardiens? Tous ces gens qu'on n'entend pas.-Quel était le public de ses pièces 'Il y avait beaucoup de jeunes, notamment des étudiants, qui suivaient le théâtre de Alloula. Il y avait aussi des travailleurs de la commune, des dockers... Pour la générale de El Litham, il n'a pas invité des universitaires ou des avocats mais les ouvriers pour lesquels la pièce a été écrite.-Au-delà du théâtre, comment concevait-il son engagement culturel 'Il animait la vie culturelle à Oran, participait très souvent à des débats et créait des espaces d'échange. Cela nous manque cruellement aujourd'hui. Alloula était l'un des rares artistes qui savait écouter les autres. Comme Mohamed Khadda, Hadj-Ali et d'autres, il avait une conception de la politique culturelle. Durant les années ?70 et ?80, il avait trouvé les conditions favorables à la réalisation de ses projets grâce, notamment, aux commissions des théâtres constituées des gestionnaires et de gens du métier. Alloula faisait partie de cette génération qui a vu l'Algérie renaître de ses cendres après l'indépendance et participé à la construction de la nation. A titre d'exemple, il avait participé à la rénovation du cinéma L'Escurial d'Oran auprès des ouvriers. Malheureusement, cette salle est aujourd'hui en ruine. Nous avons besoin de ces petites salles pour nos jeunes troupes afin de répéter, de se rencontrer, de faire des lectures... -Les jeunes d'aujourd'hui connaissent-ils son ?uvre 'Les jeunes ont de l'admiration pour Alloula et son théâtre qui parle à l'homme social algérien. Avec le soutien du ministère de la Culture, nous avons pu éditer son ?uvre complète mais ce n'est pas une édition pratique et elle n'est pas largement diffusée. Nous souhaitons la rééditer en formats de poche, chaque pièce séparée. Elle sera ainsi plus facilement accessible.-Est-il suffisamment revisité par les metteurs en scène 'Ce que je vais dire est très subjectif, mais mon neveu Jamil a monté Homq essalim et Etefah de manière intéressante. Cette dernière pièce est très dure car elle met en scène la souffrance des ouvriers algériens licenciés en masse, à travers un personnage qui cherche des pommes pour sa femme enceinte. Les jeunes devraient revisiter librement le théâtre de Alloula. Il est tellement sacralisé (ce qui est contraire à son caractère) que son théâtre fait un peu peur. Les jeunes devraient foncer et retravailler cette ?uvre à leur manière. Alloula disait que l'expérience qu'il avait initiée devait être poursuivie par les générations futures. Il y a aussi l'association Cirta des Issers qui a tenté des choses ; et puis une mise en scène moderne d'El-Adjouad , signée Mohamed-Tayeb Dehimi et une adaptation libre de Legoual par Ziani Chérif Ayad intitulée El Machina. Chez les jeunes, il y a encore un respect sacerdotal pour Alloula, mais il est temps de le revisiter librement. Après ça sera au public de juger.-Qu'en est-il de son impact à l'étranger 'Les pièces ont été montées dans d'autres langues. En France, dès juin 1994 (trois mois après son assassinat) France Culture m'avait contactée pour traduire El-Ajouad. Benyoucef Messaoud a ensuite traduit toute la trilogie (Legoual, El-Adjouad et Lithem) avec une première édition chez Actes Sud en 1995. Plus tard, il a traduit quatre autres pièces dans un recueil intitulé Les Sangsues. Nous avons aussi des traductions espagnoles et portugaises d'El-Adjaoud. Des Espagnols m'ont d'ailleurs dit que Alloula était le Lorca algérien. Nous souhaitons aussi éditer les ?uvres de Alloula en français avec un éditeur algérien.-Que reste-t-il comme archives, notamment audiovisuelles, de son ?uvre 'La télévision nationale publique a quasiment tout filmé, sauf Legoual. On avait demandé à Alloula de censurer une partie de la pièce et il avait refusé. Les bas-fonds aussi n'a pas été filmée pour une histoire de cachet. Avec la Fondation, nous avons créé un Centre de documentation et d'archives théâtrales en 2008. Nous avons constitué une bibliothèque spécialisée dans le théâtre algérien avec les ?uvres mais aussi des thèses d'universitaires algériens et étrangers. Faute de local et de financements, tout ce capital dort dans un centre culturel communal en périphérie d'Oran !




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