Sous le thème «La torture dans les écrits d'Isabelle Eberhardt», l'association culturelle Safia Ketou de Aïn-Sefra a organisé le IIe colloque national, commémorant ainsi le 108e anniversaire de sa tragique disparition ; décédée, notons-le, dans les inondations du 21 octobre 1904 de la crue de Oued-Sefra.
De ce fait, un riche programme a été concocté par l'association, comportant une cérémonie de recueillement devant la tombe d'Isabelle Eberhardt et au camp de torture de la dzira, suivie d'une projection en avant-première d'un film-documentaire sur les torturés- rescapés de la dzira, réalisé par le cinéaste Mostefa Abderrahmane. Au second point de l'ordre du jour, une conférence a été présentée par le chercheur Chami Mohamed Habib, qui a fait son exposé sous le thème «La torture dans les écrits d'Isabelle ». Dans le sillage, une vente-dédicace d'un livre de l'auteur Beghdadi Boutkhil, ayant pour titre Sous le ciel d'Aïn-Sefra, a été organisée avec une veillée de la troupe Ahna Mselmine Gnawa de Aïn-Sefra, et l'artiste Mostéfa Chanaâ (d'Oran), qui ont présenté des chansons avec une lecture des poésies sur Isabelle de certains poètes locaux. Plusieurs intervenants ont pris part au débat dans les trois thèmes (projection du film, conférence et présentation du livre), dont des étudiants qui se sont intéressés aux œuvres d'Eberhard. Enfin, plusieurs recommandations ont été notées à la clôture de ce IIe colloque, notamment le jumelage entre les villes où Isabelle a transité (Genève, Annaba, Batna, Oued- Souf, Bou Saâda, Ténes, Alger et Kenadsa) ; la création de la fondation Eberhard ; la continuité de l'arabisation de ses écrits ; la restauration du cimetière «Sidi Boudjemaâ» où se trouve sa tombe pour les visites des étrangers ; création d'un site Internet pour isabelle ; baptisation d'une rue, d'un pont, ou centre culturel au nom d'Isabelle, puisque le secretaire d'Etat au tourisme vient par une déclaration reconnaître qu'Isabelle fait partie du patrimoine national et international de l'Algérie ; de même que l'association a décidé de saisir officiellement la ministre de la Culture pour censurer le film documentaire Inssurection du sud/ouestdu réalisateur Larbi Lakehal. Isabelle Wilhelmine Marie Eberhardt est née le 17 février 1877 à Genève. A 20 ans, elle apprit déjà six langues (le français, le turc, l'arménien, l'anglais, l'arabe et le russe). «Est-ce qu'elle a 20 ans d'écriture ou elle a l'âge de 20 ans '», s'est-on interrogé en ce moment sur sa plume. Après avoir quitté la Suisse pour l'Algérie, Annaba (Bône) était la première destination d'Isabelle et de sa mère Natalia. Voyant que les bienfaits du colonialisme n'allaient pas dans le bon sens, après avoir habité le quartier européen, elles décident d'y vivre au sein d'un quartier arabe. Sa mère après sa reconversion en Islam, s'appelait Fatima Menoubia (enterrée au cimetière musulman d'Annaba). En 1900, Isabelle s'installa à Oued- Souf, adhéra à la zaouïa Soufia, et se maria avec Slimane Ehni, selon les coutumes musulmanes. En 1901, elle fut blessée à coups de sabre à Béhima (El-Oued), au procès, elle créa un scandale en sollicitant l'indulgence de son agresseur. Elle fut alors expulsée du territoire algérien et s'en alla à Marseille. L'académicienne Edmond Charleroux, dans l'un de ses écrits, décrit cet acte, comme le premier attentat intégriste de l'histoire contemporaine. En 1902, elle est de retour en Algérie, précisément à Ténès où son mari deviendrait fonctionnaire. En septembre 1903 vint dans la région en tant que reporter d 'El-Akhbaret de la Dépêche algérienne, quelques jours seulement avant que Lyautey ne devienne général de la Subdivision militaire du territoire de Aïn-Séfra. Appelé communément Si-Mahmoud, Mahmouda, ou Mahmoud Saadi, pour son uniforme masculin en cavalier arabe, elle est un de ses personnages à la fois universels et uniques. Isabelle, dont les sujets de curiosité, les motivations, tout dans son comportement était jugé repréhensible, elle revendiqua seulement la liberté de se convertir à l'Islam, d'aimer un peuple et un pays — l'Algérie — un pays qui n'était pas le sien, d'y vivre fièrement en déracinée, tout en cherchant une intégration, à première vue interdite. La liberté de prendre ses distances vis-à-vis de la société coloniale. C'était braver l'opinion et en subir les conséquences, c'était aller jusqu'au bout de soi-même en provoquant haines et suspicions, c'était aimer le désert et en mourir. L'énigme Isabelle, dont le mode de vie, les amitiés et les habits masculins avaient étonné plus d'un sur les rives du Léman, étonna bien davantage les Français d'Algérie, qui l'observèrent avec méfiance. Par sa plume précise et acerbe, elle s'est insurgée contre les comportements inhumains des troupes coloniales et dénoncé leurs agissements en sa qualité de romancière et de reporter aux journaux Al-akhbar et la Dépêche algérienne. Isabelle ne racontait de l'Algérie «rien de ce qui aurait pu plaire au colonialisme». Elle aurait pu avoir accès au monde secret des femmes : les bains, l'intimité familiale, les costumes chatoyants, les heures de farniente, le mystère des harems, les billets doux, etc. Isabelle avait les yeux ailleurs. Son regard n'allait se poser ni sur l'orient des richesses ni sur celui des mirages, il n'allait qu'à l'orient des réalités quotidiennes, aux faits et gestes des plus humbles. «… Ceux qui n'ont rien et à qui on refuse jusqu'à la tranquillité de ce rien.» Isabelle demeurait une âme en peine, en peine de liberté... Comme elle le décrit ci-après dans un extrait du désir d'Orient : «…Je travaille à noter mes impressions du Sud, mes égarements et mes inventaires, sans savoir si des pages écrites si loin du monde intéresseront jamais personne ». «N'est-ce pas la terre qui fait les peuples ' Que sera l'empire européen d'Afrique dans quelques siècles, quand le soleil aura accompli dans le sang des races nouvelles ' A quel moment nos races du nord pourront-elles se dire indigènes comme les Kabyles roux et les Ksourienne aux yeux pâles ' Ce sont là des questions qui me préoccupent souvent…», disait-elle. Isabelle fait partie du patrimoine culturel et touristique de Aïn-Sefra. D'ailleurs, pour Aïn-Sefra, elle décrit et écrit : Eté 1904 : «J'ai quitté Aïn-Sefra l'an dernier aux premiers souffles de l'hiver. Elle était transie de froid, et de grands vents glapisants la balayaient courbant la nudité frêle des arbres. Je la revois aujourd'hui tout autre. Maintenant que j'y vis, en un petit logis provisoire, je commence à l'aimer. D'ailleurs, je ne la quitterai plus pour un maussade retour vers le Tell banalisé, et cela suffit pour que je la regarde avec d'autres yeux : ce ne sera que pour descendre plus loin que j'irai là-bas, où dorment les Hamada sous l'éternel soleil…», écrit Isabelle. Notons que deux tabous ont été cassés, le premier sur la reconnaissance d'Isabelle, et le second sur l'islamité d'Isabelle. Le président Abdelaziz Bouteflika a, à deux reprises, cité Isabelle dans ses discours, notamment aux Emirats, où se tenait le forum «Désert du Monde». Alors que le président du HCI, M. Bouamrane Cheikh, a tenu une conférence sur l'islamité d'Isabelle lors de la commémoration du centenaire de sa mort organisée à Aïn-Sefra en 2004, de même que la reconnaissance du secretaire d'Etat au tourisme, en visite dans la région les 18 et 19 octobre 2012 : Isabelle fait partie du patrimoine national et international. Rappelons, enfin, que plusieurs cinéastes et écrivains, voire même des touristes algériens et étrangers, continuent à marcher sur les traces d'Isabelle à la recherche des inédits, à la recherche du moindre témoignage. L'écrivaine de l'académie de Goncourt Edmond Charleroux a consacré à Isabelle une volumineuse biographie, dont le dernier livre Isabelle du désert compte 1108 pages, et a été même invité sur les plateaux de la TV 2M/Maroc, pour une intervention sur Isabelle, alors qu'un film de 59 min intitulé La fièvre de l'errance a été réalisé par le cinéaste Ali Akika. Isabelle Eberhardt meurt tragiquement à l'âge de 27 ans, lors de la crue subite et catastrophique de Oued Sefra, le 21 octobre 1904. Elle repose au cimetière musulman Sidi-Boudjemaâ à Aïn-Sefra, aux côtés de sa consœur Safia Kettou, sur cette terre d'Algérie qu'elle a tant chérie. Notons enfin que le président de l'association Abdelkader Difallah, en clôturant ce IIème colloque, dira en substance, que l'organisation de telles journées nous permettront d'exploiter davantage et de mettre en valeur ce patrimoine culturel et touristique de la région.
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Posté Le : 23/10/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : B Henine
Source : www.lesoirdalgerie.com