Algérie

Ignacio Cembrero au «Le Quotidien d'Oran»: «Les avocats du Maroc ont trouvé une entourloupette pour me traîner en justice»


? En juillet 2021 éclatait le «scandale Pegasus», du nom d'un logiciel malveillant israélien par le biais duquel ont été piratés plus de 50.000 numéros de téléphones portables disséminés à travers le monde. Parmi les pays qui ont utilisé ce logiciel espion figure le Maroc. Ce pays a ainsi espionné de nombreuses personnalités (environ 10.000) considérées comme «inamicales» ou «hostiles» parmi lesquelles le journaliste espagnol Ignacio Cembrero du journal numérique madrilène «El Confidencial», qui a dénoncé un procédé mafieux. Niant l'évidence, les autorités du Maroc viennent de l'ester en justice pour soi-disant «calomnie» et ont fomenté à son encontre une stratégie de harcèlement judiciaire destinée à le faire taire. Le procès est prévu le 13 janvier prochain à Madrid.Le Quotidien d'Oran : M. Ignacio Cembrero, ÿþle 18 juillet 2021, Forbidden Stories, un réseau de 17 grands médias internationaux, a publié les résultats d'une enquête accusant le Maroc d'avoir piraté, par le biais du logiciel israélien Pegasus, quelque 10.000 téléphones portables appartenant à des journalistes, des militants de droits de l'homme et des personnalités politiques de divers pays. Vous avez alors incriminé ce pays d'avoir ciblé votre propre téléphone portable. Pour quelles raisons, selon-vous, vous avez été visé personnellement '
Ignacio Cembrero : Je suppose que mes articles ne plaisent guère aux autorités du Maroc notamment ceux publiés sur le roi Mohamed VI. Les relations que j'entretiens avec des opposants marocains à l'intérieur et à l'extérieur du pays ne doivent pas non plus plaire. Qui plus est, je publie non seulement en Espagne mais aussi en France. Il y a peu de journalistes qui suivent de près le Maroc.
Q.O.: Les autorités marocaines ont apporté un démenti à vos accusations d'espionnage et ont décidé de vous intenter un procès pour soi-disant «diffamation» qui aura lieu le 13 janvier prochain devant le tribunal de première instance de Madrid. Elles exigent de votre part des rétractations ainsi que des indemnisations.
I.C.: Elles ont apporté un démenti non seulement à mes écrits mais aussi à tous ceux qui ont affirmé que le Maroc a utilisé le logiciel israélien Pegasus pour espionner. Pourtant, même Yair Lapid, ministre des Affaires étrangères d'Israël, avait laissé entendre dans son interview au «Monde» en 2021 que le Maroc avait obtenu une licence de la société israélienne NSO pour exploiter Pegasus. Le Royaume du Maroc ne m'a pas intenté un procès en diffamation car il ne peut pas le faire. En Espagne, en Europe, les Etats n'ont pas le droit à l'honneur. Ils ne peuvent donc pas intenter des procès en diffamation. C'est pour cela qu'en France, toutes les tentatives des avocats du Maroc ont échoué. Les avocats du Maroc ont trouvé une entourloupette pour me traîner en justice. Dans le code civil espagnol subsiste une réminiscence médiévale appelée «action de vantardise». Le Maroc m'accuse de m'être vanté d'être une victime de Pegasus alors que, d'après eux, je ne le suis pas. J'ai appris avoir été une victime de diverses façons à commencer par la publication de mon nom dans la liste diffusée par Forbidden Stories le 18 juillet 2021. Les avocats du Royaume demandent que je me rétracte et que le tribunal affirme que le Maroc n'a pas espionné avec Pegasus.
Q.O.: Le Maroc avait déposé plainte contre des médias français (dont «Le Monde», «L'Humanité» et «Mediapart») qui l'avaient accusé d'espionnage (toujours via le logiciel Pegasus). En avril 2022, ces plaintes ont été jugées irrecevables par le tribunal de Paris. Êtes-vous optimiste quant à l'issue du procès de Madrid '
I.C.: C'est la quatrième fois que le Maroc me traîne en justice, directement ou indirectement à travers des personnes interposées, depuis 2014. Ils ont essayé la voie pénale, m'accusant d'apologie du terrorisme, et maintenant ils explorent la voie civile. C'est du harcèlement pour me faire taire. Les avocats du Maroc ont échoué les trois premières fois. J'espère qu'il en sera ainsi la quatrième.