Algérie

Idir. Nostalgie enchanteresse de Abdelkrim Tazaroute Comme un conte de fées



Publié le 30.06.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
KADER BAKOU

Comme l’écrit Saïd Kaced dans la préface de l’ouvrage, Idir. Nostalgie enchanteresse de Abdelkrim Tazaroute «n’est pas un livre de plus sur Hamid Cheriet, mais un ouvrage à ranger soigneusement, après une lecture gourmande, au rayon des contributions majeures sur la vie et l’œuvre du chanteur qui aura le plus fait connaître le pays dans le vaste monde».
Le journaliste au long cours et écrivain Abdelkrim Tazaroute, qui n’en est pas à son premier ouvrage sur les grands noms de la chanson algérienne, aurait pu être musicien et chanteur dans une autre vie. Il est aussi un musicologue qui aime son art et son métier et qui, donc, sait de quoi il parle.

Remontant à l’origine, il écrit au début de son ouvrage : «à s’y méprendre, Idir s’est investi dans la chanson comme on accomplirait une mission, un peu à la manière de la légendaire Taos Amrouche mais aussi d’un facilitateur comme Djamel Allam et d’un anthropologue pareil à Houria Aïchi pour la chanson auréssienne à la différence près que Taos Amrouche chantait a cappella alors que le trio cité s’accompagne d’un support musical, certes avec une instrumentation minimaliste, mais tout de même bénéficiant d’une orchestration bien réelle».

À l’époque, dans les années 1960-70, le contexte, à l’échelle internationale, était propice à l’engagement politique (de gauche) et aux révolutions sociales et culturelles qui ont fait émerger le rock dans les pays anglo-saxons et aussi la chanson à textes un peu partout à travers le monde, mais aussi en France.

«Les Joan Baez, Bob Dylan, Georges Brassens, Jacques Brel, Moustaki faisaient partie de cette nouvelle génération qui s’est distinguée par des textes revendicatifs d’un idéal qui épouse l’égalité et la fraternité et qui demande à ce que soient bannies les injustices dans le monde en perpétuelle mutation. Ces revendications culturelles, sociales, politiques et économiques se faisaient au moyen d’une seule arme : une voix accompagnée d’une guitare.» (p. 23)

Au sujet de la guitare, justement, l’Américain Woody Gutherie avait écrit sur son instrument à cordes : This machine kills fascists (cette machine tue les fascistes).

Idir était lui aussi un «protest singer» à sa manière.
«Je fais partie d’une génération qui a exprimé son art dans sa langue. à l’époque, la répression culturelle était telle que l’on interdisait de dire tamazight et moi, j’arrive avec Mouglagh tamurt umazigh. C’est révolutionnaire !» a-t-il expliqué dans un entretien à la chaîne Berbère TV.

Tazaroute souligne à ce sujet : «Idir a su apporter sa touche un peu à la manière d’un Martin Luther King qui a prôné la non-violence pour faire avancer ses idées et ses revendications révolutionnaires.» Sa musique, ancrée dans les tréfonds d’une culture algérienne ancestrale, va atteindre les sphères universelles.

La douce chanson A Vava Inouva, interprétée en duo avec Zahra, a été le premier grand succès d’Idir, en Algérie et à l’étranger. Abdelkrim Tazaroute a écrit à propos de cette chanson inspirée d’un conte populaire kabyle : «Pour sa partition musicale, cette mélodie se singularise par sa simplicité déconcertante. Des notes jouées à la guitare sèche en guise d’introduction qui laisse ensuite place à une deuxième guitare qui esquisse un arpège qui surprend agréablement par sa beauté et par sa courte durée avant que les deux instruments s’unissent pour le reste de la chanson.»

Idir, de son vrai nom Hamid Cheriet, qui disait qu’il n’avait pas la vocation de chanteur, n’était pas encore résolu à embrasser une carrière de chanteur, notamment, pour ne pas froisser ses parents.
Aussi, il voulait juste écrire et composer des chansons pour les autres. D’ailleurs, il avait choisi le pseudonyme d’Idir pour rester anonyme.
Mais «le hasard» en décida autrement. Tazaroute le rappelle dans son nouvel ouvrage : «à bien y voir, Idir doit sa flamboyante carrière à une succession de heureux hasards, sans lesquels, sans doute, il n’aurait pas connu la gloire et la célébrité. Cela a commencé par un enregistrement raté de sa première composition Arsed ayites avec la chanteuse Nouara qu’il a remplacée au pied levé.» Nouara, pour des raisons inconnues, ne s’était pas présentée à la Radio Chaîne 2 pour chanter Arsed ayites alors que le créneau horaire a été réservé. Ceci poussera les producteurs de l’émission destinée aux jeunes talents à demander à l’auteur de la chanson de l’interpréter lui-même. Ce fut un succès inattendu, presque «involontaire», sans précédent !

Mais malgré le succès de sa première chanson, Idir n’avait pas l’intention d’interpréter lui-même A Vava Inouva. Il l’avait même proposée à Slimane Metref et à Djamel Allam qui vont refuser de l’enregistrer. Allam, qui avait apprécié la première version de cette chanson, avait encouragé Idir à l’enregistrer lui-même. Ce fut un autre heureux hasard !

«Ah, ce fameux hasard qui a enfanté le phénoménal Idir ! Avec l’enregistrement de Arsed ayites, il fallait une face B pour en faire un 45 tours. Il ira à la source d’un conte kabyle dont il se rappelle le refrain A Vava Inouva puis s’adressera au poète Benmohamed pour lui écrire deux couplets. Le texte en poche, il se met à composer cette berceuse avec une guitare. À l’enregistrement, il y aura une deuxième guitare pour l’arpège, jouée avec son ami Si Ahmed Abderrahmane, devenu médecin depuis», lit-on à la page 58. Le grand Cherif Kheddam, qui a énormément aidé à la concrétisation du projet, avait également joint sa voix au chœur.

Le label Idir du titre d’un chapitre du livre Idir. Nostalgie enchanteresse est né. Cela continuera jusqu’au «Triomphe à la Coupole» quelques décennies plus tard, en passant par Hasards et au bout, la gloire, Entre village et ville, Nostalgie harmonieuse ou Les hommages du cœur, tous des titres de l’ouvrage Idir. Nostalgie enchanteresse.

Le récit est plein d’anecdotes, notamment sur la mère d’Idir qui avait aimé Arsed ayites sans savoir que c’est son fils qui la chantait, et sur le sans-papiers Akli D embarqué par la police en France et relâché après avoir chanté A Vava Inouva au commissariat !

Kader B.
Idir. Nostalgie enchanteresse de Abdelkrim Tazaroute. éditions Elqobia. 134 pages. Année : 2024.




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