Identités

«Pour qu'un peuple trouve son identité, il faut qu'il fasse attention à sa langue et à sa liberté.» Theo Angelopoulos
«La solitude est bénéfique pour recadrer toutes les réflexions. On fait le point et on essaie de peser à nouveau les idées reçues. On peut aussi continuer tout seul les débats qui ont commencé ailleurs. Actuellement, frappée par une grave crise économique due à un grand hold-up perpétré par les grandes banques internationales, l'Europe est saisie d'une vague de xénophobie qui peut rappeler celle qui a déferlé sur le Vieux Continent au lendemain de la Grande Dépression de 1929. Il y a simplement une chose qui a changé: les musulmans ont remplacé les juifs dans le rôle de victimes expiatoires. Les musulmans ont eu le double malheur d'avoir connu divers colonialismes et celui d'être gouvernés par des potentats qui ne songent guère à améliorer le sort de leurs sujets. Forcément, les anciens colonisés vont se réfugier dans les pays où a trouvé refuge l'argent qu'on leur a volé... Alors, je souris quand j'entends le parti de la famille Le Pen et tous les autres partis de la droite chrétienne et bien-pensante, s'insurger contre la construction de mosquées car les minarets ne font pas partie du paysage habituel européen. Il n'y a pas d'exemple plus frappant de mauvaise foi: aucun monument de Paris ne fait partie du paysage éternel de la France éternelle. L'obélisque de la Place de la Concorde est un cadeau fait par le vice-roi d'Egypte à Charles X. L'arc de Triomphe est une commande de Napoléon III et la tour Eiffel, un hommage gigantesque à la métallurgie française alors en expansion. Quant aux églises françaises, les plus anciennes remonteraient à la fin du IVe siècle ou au début du Ve siècle de l'ére chrétienne. Donc, rien à voir avec la perennité des alignements de mégalithes de Carnac. Et si la mosquée de Paris a été construite dans les années 1920 en reconnaissance aux musulmans sacrifiés sur les champs de bataille du capitalisme européen, il ne faut pas s'étonner que d'autres mosquées suivent, car les enfants et les petits-enfants des sacrifiés et des exploités ont gardé une part d'identité de leurs parents. Ce qui m'étonne le plus dans l'étalage de toute cette mauvaise foi, c'est que je n'ai pas lu ou entendu une seule fois dans cette presse qu'on dit libre, une allusion à la différence de traitement des divers cultes: avez-vous ouï, un jour, qu'un élu français s'est opposé à la construction d'une synagogue ou d'un autre temple' Si oui, faites- le moi savoir. Ce sont toutes ces questions qui roulent dans ma tête quand je regarde ce paysage qui paraît éternel. Et je me sens empli d'amertume et de fierté. Je sais bien que mes ancêtres n'ont pas bâti de grands empires, qu'ils n'ont occupé aucun pays, mais qu'ils ont dû subir toutes les invasions possibles. Les Gaulois aussi n'ont pas édifié d'empire et sont passés sous le joug des mêmes envahisseurs que ceux qui ont occupé le nord de l'Afrique. Il y a des peuples comme cela: sans Histoire. Est-ce dû à leur caractère profond, à leur mode de vie de pasteurs indolents ou sont-ils victimes d'un atavisme pesant' Ceux qui ont été jadis romanisés ont-ils préféré suivre leurs anciens maîtres après s'être enrichis dans leur pays comme le font actuellement certains hauts fonctionnaires qui ont élu domicile à côté des banques qui abritent leurs rapines... Par contre, je peux bomber le torse en songeant que notre peuple, même après avoir adopté toutes sortes de religions a conservé la seule chose qui soit essentielle: sa langue. Quand je pense que dans la langue française ne subsiste qu'une centaine de racines celtes, je peux être fier de la résistance de notre parler qui a survécu malgré tous les malheurs. La langue, c'est l'âme d'un peuple.»