Algérie

ICI MIEUX QUE LA-BAS



Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr
Cette semaine, si tu permets, j'étale mes états d'âme. Oh, je sais, je sais, ce n'est pas bien ! Mais je promets que je ne recommencerais pas. Juré ! Cette fois, une fois seulement, et ce sera fini… Le gus qui met dix dinars pour survoler en montgolfière le tour de l'actualité n'a rien à faire. Il a raison, j'en conviens. Mais c'est la première fois en soixante ans que je me lâche comme ça…Pour sûr ! D'ailleurs, sont-ce vraiment des états d'âme, ces pensées noires '
Je broie de l'écorce d'ébène, c'est gratuit et dépénalisé. Couleur pour couleur, je me suis mis au vert mais je reste d'humeur grise. Un copain m'a moqué : «Avec l'arc-en-ciel de tes humeurs, tu pourrais presque faire une expo de peinture !» Tiens donc ! Pour faire rimer avec quelque chose son conseil plutôt mièvre, j'ai dit comme ça : «Pourquoi pas dans la Nièvre». Aussi bien, ça aurait pu être à Sidi Zekri ! Mais non, il faut que ce soit au fin fond de la campagne, là-bas où l'herbe est plus verte qu'ailleurs. Si ' Si, si j'en témoigne. Si le paradis devait avoir une seule et unique adresse, ce serait celle-là ! On entre au paradis après avoir retiré ses chaussures. Du coup, le moral dans le crêpe de mes mocassins, je ne sais de quoi causer ' Il pleut et cette pluie tambourine à la vitre de ma déprime. Chaque goutte percute un point sensible qui me fait me retourner dans le cirage qui me tient lieu de jour. C'est la faute non pas au paysage mais aux rides de l'âme. Elles te creusent l'être au soc. J'entends quelqu'un expliquer au téléphone que pour lui, la seule chose qui est digne d'être notée le jour de ses soixante ans, c'est qu'il peut désormais avoir des tarifs troisième âge dans les transports en commun. Ça fait rêver, ma foi ! Chacun son truc. Il avait l'air enthousiaste, le nouveau sexagénaire, à l'idée du demi-tarif ! Bon. J'ai renoncé à lui citer ce qu'écrivait André Malraux dans La condition humaine : «Il ne faut pas neuf mois, il faut soixante ans pour faire un homme, soixante ans de sacrifices, de volonté, de… de tant de choses ! Et quand cet homme est fait, quand il n'y a plus en lui rien de l'enfance, ni de l'adolescence, quand vraiment, il est homme, il n'est plus bon qu'à mourir.» C'est vrai que ce n'est pas hyper-optimiste, mais enfin… De quoi causer ' Des souvenirs. Comment voit-on un sexagénaire lorsque on a vingt ans, «l'âge des jugements définitifs», dixit Camus ' Eh bien, un sexagénaire, c'est un vieux, un périmé, un qui attend à l'ultime arrêt le passage de la desserte pour le néant ' Eh oui, que de jugements négatifs lorsqu'on ne sait pas. Le hasard en est-ce bien un ' a voulu que je relise cette semaine L'envers et l'endroit d'Albert Camus, «né pauvre dans un quartier pauvre», Belcourt pour ne pas le nommer. Cet ouvrage, Camus l'a écrit à vingt-deux ans. Il le publie en 1937 chez Edmond Charlot à Alger. Devenu célèbre, il s'est toujours opposé à la réédition de son premier livre pourtant très demandée. La raison ' S'il concède que cet essai contenait tout ce qui fera le Camus que l'on connaîtra par la suite, artiste mûri, il ne s'y retrouvait pas. En 1957, il cède à Gallimard et, dans la préface à la réédition, il répond à Brice Parain qui trouvait dans ce livre ce que Camus a écrit de meilleur, que «non, il se trompe parce qu'à vingt-deux ans, sauf génie, on sait à peine écrire». Ce n'est bien sûr pas pour évoquer la reconnaissance ou non de la paternité de ce livre par Camus que j'en parle. C'est plutôt parce que le petit jeune homme qui venait de franchir la vingtaine osait asséner des sentences aussi mûres que celle-ci : «Les jeunes ne savent pas que l'expérience est une défaite et qu'il faut tout perdre pour savoir un peu.» De quoi on cause ' L'éternelle question est encore plus lancinante lorsqu'on ne pète pas la forme. Les souvenirs ' L'inconvénient avec eux est qu'ils supposent le temps passé et que ce dernier est irrémédiable. C'est pourquoi, comme Camus, il faut ériger en vérité quasi religieuse la nécessité de vivre l'instant en quelque sorte sans âge, en soi, avec rien devant, rien derrière. Cette vérité est malheureusement vouée à dépérir dans sa gangue rhétorique. Tout la réfute. A commencer par le souvenir. Hasard en est-ce un ' , chance c'en est une d'avoir passé une soirée avec Rachid Bahri, le jeune prodige de la musique moderne, qui partage avec Camus le même quartier d'enfance : Belcourt. A dix-huit dix-neuf ans, à la fin des années soixante, alors que la liesse de l'indépendance était déjà retombée, il crée avec ses potes les Algier's, ce mythique groupe de rock. Puis il part pour la France. Là, il joue et enregistre avec les noms les plus célèbres de la musique internationale : Stevie Wonder, les Pink Floyd, Nicoletta … Evocation émue de Bill Hamani, Ahmed Malek, Guerrouabi, Mahfoud Hadj Hamou, le leader des Algier's, Malek Imache, Les Freedoms, les Turkish Blend … Vues d'aujourd'hui, ces années-là paraissent bénies ' Elles le sont sans doute par le pouvoir embellissant de la nostalgie, c'est-à-dire de ce souvenir qui suppose que le temps est passé et, comme dans la rivière de l'adage, il n'en reste que les cailloux. De quoi on cause ' De la semaine dernière ! Le passé, déjà. J'écrivais ici que le retour des vieux en politique est la plus mauvaise nouvelle fraîche qui nous ait été donnée ces jours derniers. Je tempère quand même car, quelle que soit la méthode qu'«Ils» ont utilisée pour gagner les législatives, les vieilles barbes du FLN ont mon salut d'avoir empêché les islamistes de conquérir l'Assemblée nationale. Ils les ont éloignés. Je regrette qu'«Ils» aient conservé leur islamisme.




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