Trois semaines
après la chute de Saddam Hussein, une grand-mère accompagnée de son fils,
entreprend à pied un voyage vers la ville de Nassirya, emprisonnée depuis les
débuts des années 90. La vieille, enveloppée dans un voile noir et portant un
baluchon, l'enfant tenant dans ses mains une flûte appartenant à son père.
Perdus dans un paysage sinistre et lunaire, ce voyage s'apparente à une
véritable errance évoquée dans les écritures bibliques. Ahmed et sa grand-mère
dont on ne connaîtra pas le prénom, sont Kurdes. Après un passage par Baghdad,
méconnaissable parce que totalement ravagée par la guerre, ils arrivent à
rejoindre Nassirya et cherchent la prison où le régime qui venait de
s'écrouler, enterrait ses détracteurs. Ils ne retrouveront aucune trace du père
d'Ahmed. On les dirigera vers les fosses communes, éparpillées un peu partout
dans le pays. Ils continuent sans succès leur quête pour retrouver juste les
ossements du père d'Ahmed. Dans une crise de pleurs, la vieille, caressant un
cadavre qu'elle avait pris pour celui de son fils, dira : «j'ai cherché mon
fils dans les prisons et maintenant je le cherche dans les cimetières». On les
oriente vers Babylone, symbole de la civilisation de la Mésopotamie antique.
Dans le camion qui les transportait, la vieille, abattue par le chagrin, rendra
l'âme. N'arrivant pas à la réveiller, Ahmed implorera désespérément sa
grand-mère : «dada, ne me laisse pas seul. Nous sommes arrivés à Babylone». Le
film se termine par une indication signalant que plus de 300 fosses communes
ont été découvertes depuis la chute de Saddam Hussein.
Si Ahmed, encore enfant, et sa grand-mère
croulant sous les malheurs qu'elle a endurés, toute une vie durant, portent ce
film grave, d'autres personnages interviennent. Tel Moussa, un ancien
militaire, enrôlé de force dans l'armée, qui avait participé aux massacres des
habitants des villages kurdes. Quand il l'avouera à Ahmed et sa grand-mère,
avec lesquels il a fait un bout de voyage, la vieille le rejettera. Mais, elle
finira par lui pardonner. Il réussira à la convaincre qu'il avait commis ses
forfaits, forcé par sa hiérarchie. Elle lui a pardonné parce qu'elle savait que
son propre fils rêvait de devenir musicien mais on l'a enrôlé de force dans l'armée.
Tel cet autre Kurde, cynique et renvoyant Saddam Hussein et les Américains dos
à dos, mais qui s'est avéré très humain à l'endroit d'Ahmed et sa grand-mère,
quand il les déposera dans une gare routière de Baghdad.
Le film, sorte de métaphore sur l'ère de
Saddam, évolue en distillant des symboles. Mais la séquence la plus claire dans
ce sens est celle des familles kurdes et chiites (et c'est un choix délibéré de
son réalisateur Mohamed Darradji) qui fouillent dans une fosse qu'on venait
d'ouvrir, cherchant les ossements des leurs. Ce qui nous autorise, à croire,
que selon le réalisateur, les communautés chiite et kurde, ont éprouvé le
besoin de déterrer l'histoire de leur pays juste après la disparition de
Saddam. En émettant le vÅ“u de récupérer les restes de son fils pour les
enterrer, chez elle en pays kurde, la grand-mère d'Ahmed formule la
préoccupation de vouloir s'approprier son histoire, même marquée de sang et de
meurtres. Malheureusement, elle décédera avant de réaliser son souhait. De son
côté, Ahmed, resté seul au monde, pleure la disparition de sa grand-mère, seul
lien vivant qui le relie à son passé, avec une flûte, juste au moment où il
découvre Babylone, témoin d'une civilisation plusieurs fois millénaire.
Peut-il se réconcilier avec lui-même juste en
tournant la page, sans élucider et s'approprier son passé ? Voilà une question
lourde que pose ce film et qui n'est pas propre uniquement à l'Irak. «Ibn
Babel», film politique, sacrifie quelque peu les aspects techniques. Pas si
grave puisque c'est la première Å“uvre de Mohamed Darradji qui a commencé sa
carrière cinématographique en 2003, en France, dans le film publicitaire.
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Posté Le : 22/12/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ziad Salah
Source : www.lequotidien-oran.com