Ould Kablia les a tous réunis. Ils
étaient là totalement différents les uns des autres. Seul Smail
El harrez comme un troubadour chaabi
tente de trouer la qassida qui somnole ces walis.
Devant cette
façade, toute une gamme variée et sériée de voitures est en confusion de
stationnement. Un quiproquo. Il ne peut s'empêcher de passer par ce café «p'tit prince» pour cuver son café, comme il aime le dire.
El Harrez, en ce matin de février, n'a pas dérogé à
son usage. Seulement que sa mine laissait aisément se mettre en évidence une
note visible de mélancolie, enfin de peu d'empressement usuel. Dans le «p'tit prince» se trouvait une troïka d'amis. L'on discutait
de tout. Mais l'avis se le disputait à l'avis. El Harrez,
en bon orateur cherchait, avec une certitude de maitre
à convaincre ses interfaces sur les vertus qu'aurait sur la circulation
sanguine le gingembre. En fait, il savait en toutes circonstances rendre
l'imposition de son avis en une croyance scientifique. Il arrive même à
justifier par une légalité d'urgence, son défaut de bien positionner sa Mégane.
Le micro
ordinateur laisse apparaitre comme écran de veille
quelques poissons d'eau douce faisant des glouglous. Cette astuce que lui
offrent les nouvelles technologies de la graphie, permet à Smail
El Harrez d'exceller davantage dans son excès de
prudence. Dans son bureau, dressé à l'égal d'un cadi de la période coloniale
tant le décor n'est que classement, propreté et un bel agencement de dossiers
et de chemises. Son meuble de bureau est désert. Seul un journal y est installé
majestueusement, trônant tel un empereur de papeterie. Il est chargé
d'affaires, officiellement conseiller du wali. Il ne veut donc, que personne
n'ait à faire tomber son Å“il ou son flair sur cet écran mystérieux qui en fait,
est pour lui la caverne secrète de tous les ordres, instructions et autres
secrets de sérail. Il est le souffle de la wilaya. Tout y est dedans. Des
listes attributives de logements, des rapports sur le déroulement des élections
jusqu'aux lots marginaux et surtout les fondements de la coopération
internationale au niveau local. En fait sa wilaya entretenait toute une
diversité de liens avec les collectivités étrangères. Notamment avec Rennes et
Lyon. Ceci variait des dossiers de jumelage avec certains centres de grandes
métropoles françaises à de l'assistance technique municipale. En fait, il est
le nÅ“ud gordien des affaires dites réservées. C'est lui qui les gère avec toute
réserve. Sans exclusive.
Le sourire qui ne
le quitte jamais fait penser que c'est un homme tout à fait heureux. Et
pourtant il y a quelques jours une annonce spontanée et non vérifiée le laisse pantois et perplexe. Le départ du wali. Ce haut
fonctionnaire en qui le «conseiller» s'est mis avec acharnement à faire au
mieux son travail. Il lui vouait par ailleurs toute une plage d'admiration et
de dévouement. L'information est enrobée dans une rumeur publique que certains
quotidiens habitués du sensationnel ont tenu à répandre. Le mouvement de ces
gouverneurs serait imminent. Le commentaire ne se limite pas à l'évocation de
noms inscrits dans une case de départ, mais s'étend également à ceux qui
s'inscrivent dans celle de l'arrivée. Comme un registre de courrier. Ce
débroussaillage sera différemment traité dans les coulisses de la wilaya.
Partira, partira pas ? Telle est la question qui ne
cesse de perforer la profondeur du chargé d'affaires.
Isolé et pris en
tenaille, il finira par se convaincre qu'en définitive ; le mouvement est bel
et bien réel. La décision du président de la république tombe comme une
estocade dans sa tête et s'emmagasine déjà dans son compartiment informationnel
bien avant que l'édition attendue du journal de vingt-heure
ne se soit faite. Le monde tourne autour de lui au moment où il tourne en rond
dans son vaste bureau. Il pense par anticipation d'abord à ces instants de
séparation, ensuite à l'incertitude de son lendemain. Pour ce dernier la vision
est intrinsèquement opaque, confuse et ambigüe.
L'oubli de ces minutes interminables vient à son secours. Il essaye d'évacuer
la sensation qui le prendrait en de mauvaises serres le moment des adieux, dans
cette vaste salle des banquets.
La nature est
ainsi faite, se dit-il. Quel que soit l'apparat que l'on porte, l'uniforme que
l'on endosse ou le poste que l'on occupe, l'essence profondément humaine finira
un jour, le temps d'une pause ou d'une collation d'adieu; par redécouvrir sa
véritable espèce. La faiblesse. Dans tous ses sens nobles et positifs.
L'homme du fait
d'une activité quelconque tend à produire une copie de son être en vue de paraitre ce que peuvent croire ses vis-à-vis. Dans son
temps, le temps coule à flot sans qu'il puisse à intermittence s'en rendre
compte. Epris par cette idylle fonctionnelle, cherchant à chaque coup le
comment fabriquer une image qui n'en est pas authentiquement sienne, l'homme-lige, héros d'un mandat, acteur principal s'oublie
vite et se perpétue à croire à la durée du rôle. Un policier sous son uniforme
donne une autre impression, une fois qu'il s'en dévêt. Pour une raison ou une
autre, positive ou négative ; le rideau tombe, qu'il fend sous une émotion
capable de le déshabiller le laissant se voir dans toute sa nudité d'homme
sentimental, sensible et périssable.
Ses mains
tremblotent. Son cÅ“ur palpite. A le voir l'on croirait, s'apprêtant à écrire
quelque chose. Son micro le regarde autant qu'il trouve une soudaine envie
d'aller déposer dans le ventre de ce micro, comme d'habitude ; toute l'énergie
rageuse qui le morfond.
En ruminant ses
états d'âme, Smail el Harrez
se projette déjà dans la teneur du cérémonial qui devait avoir lieu, ce soir,
ou demain. Il en a vu de ces passations de consignes dans sa vie tumultueuse.
La différence n'était que dans l'espèce sentimentale que pouvait dégager le
partant ou le nouveau récipiendaire.
Aussi, le
mouvement des walis aura à entrainer est-il persuadé,
lors de réceptions d'adieu, beaucoup de pleurs, d'aigreurs et de regrets. Ce
seront des instants pleins de silence plaintif et de soupirs sans cris. Pour
une dernière fois, l'amabilité et la sincère courtoisie, se dispenseraient des
usages d'un protocole. Certes recommandé, mais contraignant et inutile.
Justement, c'est ce lourd protocole auquel, l'homme se soumet ou tient à y
soumettre les autres, qui dans de pareils moments ; fout le camp et brise les
cadenas de toute chasteté.
Les premières
touches de lettres qu'il tente de pianoter sur son clavier font un titre aussi
fort en émotion. «Adieu monsieur le wali». Il s'arrête le temps de se remuer
pour tirer encore une cigarette. La énième depuis moins d'une heure. Il pense
être dilué dans l'espace de cet entre-temps, de cette l'obligation de réserve
qui tout au long de son cheminement carrièral a fini
par le fondre dans la peau d'un véritable otage du système. Un prisonnier de la
parole. Il se tait en toute circonstance. Le mutisme est une garantie de
survie. Du moins en ce qui concerne la cuisine de l'Etat et partant celle de la
wilaya. Autrement il trouve tout mot à toute question.
Si la postérité
locale aura à juger sinon à tenter de faire une approche évaluative d'un wali,
commençait-il son dessin alphabétique transcrit en temps réel sur le plasma de
cet écran lumineux qui lui fait face. Le résultat serait de clamer que Monsieur
Nour El Bédoui est
justement de ces commis de l'Etat qui n'ont de cure que le développement local
en toute conformité aux lois de la République et aux intérêts suprêmes de la
cité. La réhabilitation du service public visant le rapprochement de
l'administré à l'administration, dans sa bouche n'est pas un vain mot. C'est
une vérité qui s'est inscrite dans le registre des réalisations. Ainsi la
majorité des daïras ont eu leurs nouveaux sièges. Toutes sont munies de
services de proximité d'entre police, protection civile et autre. Le logement
ici, est une marque déposée avec authentification des droits de son auteur. Ce
logement démultiplié deviendra un calvaire pour la ville. L'intrusion et les
campagnards de tout bord ont déjà pris pignon sur route. Les campus et les
instituts universitaires fleurissent comme des roses aux belles couleurs. Hélas
ils seront très tôt fanés par défaut de prise en charge. Car le remplaçant du
wali parti, est mal en point avec son environnement. Grabataire, il se
raccroche à tout.
Smail el Harrez en transcrivant ces
aveux, il sait de quoi il parle. Ce sont, en toute simplicité ses idées qui se
sont réalisées. Il était pour beaucoup dans le tracé de la feuille de route
infrastructurelle de l'élan de développement de la wilaya. Il est quasiment
derrière l'ensemble des projets structurants. Parce qu'il était écouté par Nour El Bédoui, qu'il a
intériorisé à son égard une tendance de totale loyauté. Il entretenait de
l'exaltation face à ce personnage, qui pourtant n'était pas un canon de labeur
ou un foudre de guerre, peuvent dire les lointains observateurs. Juste bon
élève. Bel entrepreneur. Un wali-logeur. Bien des
walis avant lui, ont fait les annales de la cité. Ils ont pu renverser des
casquettes, démystifier des empires et casser de la mauvaise résistance.
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Posté Le : 09/06/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com