Algérie

Huit femmes, un 8 Mars à La Madrague



Par Boudjemaâ Karèche (*)
C'est à la terrasse du restaurant La Baie d'Along, que tout le monde nomme aujourd'hui Le Rancho, que nous avons eu la chance de vivre un spectacle inédit et absolument formidable. La météo n'avait pas menti. Le 8 mars était une belle journée. Nous profitons donc du soleil, assis sur la terrasse qui surplombe la petite plage de la Madrague, El Djamila aujourd'hui. Cette plage a vu sa renommée grandir depuis que les autres, alentour, ont disparu.
Deux jeunes, assis au bord de l'eau, jouent tranquillement de la guitare. Vers 14 h, un groupe de jeunes femmes arrive sur la plage. Elles sont huit et l'une d'elles porte un hidjab. Sachets en plastique à la main, elles se mettent aussitôt à nettoyer les lieux. Elles ramassent tout ce qui traîne, bouteilles, canettes vides, papiers gras et vieux journaux, bouts de bois, etc. Cette opération terminée, elles placent leurs sachets dans un grand sac qu'elles ferment et déposent près de l'une des rares poubelles publiques plantées là.
Ensuite, elles lissent le sable devenu propre et accueillant, et une grande nappe blanche est étendue. Toutes se déchaussent alors et s'installent autour de la nappe qui se couvre peu à peu de petits sachets, de boîtes, de bouteilles, de fruits, de gâteaux, de thermos, en un mot, de ce qu'il faut pour réussir un pique-nique simple et appétissant. Tout en se restaurant, elles parlent de plus en plus fort et leurs rires joyeux nous parviennent par intermittence.
Les deux jeunes à la guitare ont arrêté de jouer. Ils suivent la scène de loin. Ayant remarqué que le repas prenait fin, ils se lèvent munis de leurs instruments et avancent lentement en direction du groupe. Arrivés à proximité, ils s'arrêtent et entament un air enjoué, bien de chez nous, qui cadre tout à fait avec l'ambiance détendue et festive qui règne sur la plage. Les filles comprennent aussitôt le message et rendent leur gentillesse aux garçons en les invitant à prendre place autour de la nappe. Après avoir mangé quelques fruits et s'être désaltérés, nos deux jeunes gens se relèvent et, reculant de quelques pas, se remettent à gratter sur leurs guitares non sans avoir précisé auparavant que le spectacle est offert à l'occasion du 8 Mars. Attendries, nos huit femmes les remercient et les écoutent avec attention.
Mais, peu à peu, le rythme se faisant plus vif, elles se décontractent et se mettent à marquer la cadence en tapant des mains, quelques-unes d'abord puis toutes ensemble. Leurs rires sonores se mêlent à la musique qui va crescendo. Alors, avec tous les clients de la terrasse, nous nous levons, mon épouse et moi-même, et nous nous alignons le long de la balustrade, nous transformant ainsi en spectateurs émerveillés d'un théâtre en plein air. Même les serveurs, oubliant leur travail, nous rejoignent pour apprécier avec jubilation ce magnifique spectacle. L'une des dames, la plus audacieuse sans doute, se lève pour exécuter quelques pas de danse. Les autres la rejoignent rapidement, excepté celle qui porte le hidjab et qui semble hésiter. Mais elle aussi finit par entrer dans la danse. L'instant est magique. Moment de joie pure dans un décor sublime.
Le spectacle a duré une bonne heure. Le soleil déclinant, les guitaristes ont pris congé et les jeunes filles ont remballé leurs affaires. Elles ont de nouveau fait place nette, laissant les lieux dans un état de propreté qui aurait gagné à être filmé par les champions du marketing environnemental.
Elles s'en sont allées, emportant avec elles ces moments de bonheur qui valent tous les restaurants qu'elles ne peuvent se payer. Parions qu'une fois rentrées chez elles, quand elles ont retrouvé les grains de sable restés collés à leurs pieds, elle se sont dit chacune à sa manière : «Dieu, comme il est simple d'être heureux, du soleil, un ciel bleu, des amis et des notes de guitare !» L'une d'elles aura peut-être ajouté : «Oui, vraiment, le meilleur n'est pas nécessairement ailleurs.»
(*)Ancien directeur de la Cinémathèque d'Alger


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