Algérie

Huile d’Olive de Kabylie Si riche et si pauvre à la fois


Huile d’Olive de Kabylie Si riche et si pauvre à la fois
Publié le 07.01.2023 dans le Quotidien l’Expression
Par Kamel Boudjadi

Contrairement à d'autres pays méditerranéens, comme la France, l'Italie, la Grèce ou la Turquie, il n'existe aucune industrie des dérivés de l'olive à l'exception de quelques femmes qui produisent du savon traditionnel.
Synonyme de soleil, d'été, de salade fraîche, de poisson grillé, l'huile d'olive est également appréciée en automne et en hiver pour son ardence et l'intensité de ses saveurs. Contrairement à d'autres pays méditerranéens, comme la France, l'Italie, la Grèce ou la Turquie, il n'existe aucune industrie des dérivés de l'olive à l'exception de quelques femmes qui produisent du savon traditionnel. Une activité restreinte dans les villages et leurs environs. Toutefois, si l'industrie de l'agroalimentaire nécessite la mise en place d'une véritable stratégie et d'une feuille de route gouvernementale, il n'en est pas de même pour son introduction dans les restaurants, du moins au niveau local. L'huile d'olive locale est très présente par sa notoriété, mais paradoxalement pauvre de sa richesse. Aussi, pour comprendre ce phénomène, nous avons interrogé quelques restaurateurs dans différentes villes de la wilaya de Tizi Ouzou. À première vue, il apparaît clairement que la restauration traditionnelle à base d‘huile d'olive ne rapporte pas. Il n'y a pas d'engouement pour les mets traditionnels. En règle générale, tous les restaurants du genre qui ouvrent ferment après quelques mois ou quelques années pour les plus résistants. «J'ai ouvert mon restaurant, spécialité «couscous», le printemps dernier et j'ai dû fermer boutique l'automne suivant. À l'exception de la saison estivale, je n'avais pas de clients après le mois de septembre. Les gens de la région préfèrent d'autres plats comme les frites, le riz au poulet et les plats de légumes comme les lentilles et les haricots blancs», regrette un restaurateur de la ville de Tigzirt qui s'est reconverti à la restauration rapide après une expérience négative dans la spécialité Couscous et mets traditionnels. Les mets traditionnels marinant l'huile d'olive dans leur consommation ne sont pas porteurs sur le plan commercial. «Vous comprendrez bien que l'utilisation de l'huile d'olive dans la restauration rapide comme les gargotes pour la friture de pomme de terre et de sardine n'est pas possible à cause de son prix trop élevé. Seuls les restaurants spécialisés dans le couscous, dans ses diverses déclinaisons, peuvent l'utiliser et encore faut-il...», affirme un restaurateur de la spécialité, dans la nouvelle-ville de Tizi Ouzou. À l'intérieur du restaurant, les clients sont unanimes sur la qualité des mets faits avec les fèves, les mets de macédoine faite de diverses plantes locales comme les poireaux sauvages, les carottes sauvages et autres galettes, notamment celles faites d'orge appelant l'utilisation d'huile d'olive. Une huile devant être considérée comme des épices que l'on ajoute en général en très petite quantité. «J'ai proposé dans mon café des galettes faites d'orge et de farine de caroube. Au début, ça a marché à merveille, mais après quelques mois, tout s'était arrêté. Les consommateurs étaient juste des gens curieux de découvrir le goût», témoigne un tenancier d'un café situé à la Crête sur la route, vers le littoral.
L'influence de la cuisine occidentale et orientale
L'huile d'olive n'est pas un produit très recherché par les restaurateurs. Cette réalité apparaît clairement dans la nature des restaurants qui attirent les clients. Dans la ville de Tizi Ouzou ou à Draâ Ben Khedda et d'autres centres urbains, la tendance parmi les jeunes est aux restaurants spécialisés dans la cuisine rapide occidentale et orientale. Plein à craquer, un restaurant du centre-ville de cette ville très animée sur la route d'Alger sert uniquement les hots burgers, hamburger, tacos et autres kish libanais. Les jeunes en raffolent. «Le couscous et le pain d'orge avec de l'huile d'olive? Ma grand-mère nous en fait tous les jours à la maison. Je n'ai pas besoin d'en acheter. Moi, je préfère discuter avec mes copines en dégustant un tacos», répond en rigolant une jeune fille à l'air étonné par notre question. Et dire que cuisiner à l'huile d'olive en hiver permet en effet de manger des plats plus gras tout en conciliant plaisir et santé. Dans un autre restaurant de la ville de Tizi Ouzou, les tables toutes occupées étaient garnies de plats faits de légumes secs et d'autres mélanges riz et frites. «Ça coûte cher, l'huile d'olive mon ami. Son utilisation n'est pas rentable. Proposer des mets traditionnels nécessite tout un travail de fond. C'est une autre catégorie de restauration qui ne peut pas être rapide, mais plutôt dans le luxe», préconise le tenancier du restaurant.
À présent, seules les galettes traditionnelles telles que celles sous forme de pain à la menthe ou à l'oignon sont proposées dans les cafés. Cela semble bien marcher, mais il reste à développer une véritable demande pour en faire une activité rentable dans le commerce à grande échelle. «J'aime bien en consommer le matin. Mais, je vous dis franchement: ces galettes ne sont pas faites entièrement d'huile d'olive locale», affirme un jeune homme travaillant dans une banque située à proximité d'un café de la ville de Tizi Ouzou.
La couleur locale
Dans toutes les discussions que nous avons eues avec nos interlocuteurs, restaurateurs et citoyens, il apparaît en filigrane la nécessité d'une grande présence d'étrangers désirant découvrir la cuisine locale de la région. Une condition qui ne peut être réunie que dans le contexte du développement de l'activité touristique. «Les gens ici n'ont pas besoin de manger du couscous dans les restaurants, ils en ont tous les jours chez eux», tranche un restaurateur. Un avis loin d'être partagé par un autre confrère. «.O-.k, mais en Italie on trouve des plats italiens dans les restaurants. Eux aussi ils en ont dans leurs maisons», rétorque-t-il. Beaucoup de discussions convergent vers un problème d'ordre culturel. «Une fois, j'ai assisté à une discussion intéressante entre un Algérien venu justement d'Italie avec sa femme italienne, visiblement. Celle-ci avait refusé catégoriquement de manger de la pizza car, expliquait-elle, elle en mangeait tous les jours en Italie. La bonne femme voulait découvrir des plats de la région. Ce que son compagnon ne pouvait pas lui trouver», raconte un ancien restaurateur, actuellement propriétaire d'une agence de voyages. Des propos révélateurs. L'huile d'olive de la région ne peut reprendre son lustre que dans le contexte du développement de la restauration traditionnelle. Un développement qui ne peut se faire sans changement dans la perception culturelle. Dans tous les pays du monde, la première chose que l'étranger trouve dans les restaurants, c'est la cuisine locale ou un bain d'huile d'olive chaud et confortable et quelques tranches de pain fraîchement cuit vous feront sentir le bienvenu. Une entrée méditerranéenne parfaite. Les mets étrangers et rapides existent dans les restaurants, mais aux côtés des mets locaux. «Dans tous les pays que j'ai visités, j'ai trouvé leurs plats, sauf chez-moi», déplore un ancien ingénieur d'une société américaine ayant parcouru tous les continents. Pâte d'olive de Nice, la Sacca, spaghetti de la Befana, Tartinade de fève et autres mets garnissent les menus de restaurants de tous les pays du pourtour méditerranéen. Mais, hélas, quels sont les plats locaux faits à base d'huile d'olive présents dans nos restaurants? À Tizi-Ouzou ou ailleurs dans notre pays, les restaurants ne sont pas branchés sur les mets algériens. Mais en fait, pourquoi un touriste étranger viendrait-il découvrir la pizza en Algérie alors que c'est un mets italien? La question vaut son pesant d'or pour faire renaître la cuisine locale dans la restauration locale.