Algérie

Hortefeux, le cochon et l'identité française


A peine l'information connue, je me suis précipité comme tout le monde sur la toile pour y visionner les images du désormais très célèbre dérapage de Brice Hortefeux, le ministre français de l'Intérieur. Ses propos capturés par la caméra d'un journaliste professionnel (et non par un téléphone portable anonyme) sont connus de tous. Ils ont alimenté un buzz d'enfer et ont été analysés et disséqués par nombre d'éditorialistes. Parlant d'un militant UMP d'origine maghrébine (lequel souhaitait, quelle étrange idée, se faire prendre en photo à ses côtés), l'homme de confiance de Nicolas Sarkozy a laissé filer ces phrases : «Il en faut toujours un... Quand il y en a un, ça va... C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes...».

 On connaît la suite. Une belle polémique ; des accusations de racisme immédiatement jugées infondées par les ténors de l'UMP et du gouvernement qui ont fait bloc autour du principal accusé ; un parti socialiste qui, oubliant, entre autres, l'affaire Georges Frêche, a clamé son indignation à qui voulait l'entendre ; un benêt qui a juré dans une autre vidéo qu'il ne s'est pas senti insulté et un Brice Hortefeux qui a pris les gens pour des abrutis en jurant qu'il ne parlait pas des Arabes mais des Auvergnats. Les Auvergnats... Tiens donc ! C'est peut-être un nouveau code. Désormais, lorsqu'on me demandera, comme cela arrive au moins deux ou trois fois par mois, de quelle origine je suis, je répondrai, avec le sourire et en mâchonnant du chewing-gum, que je viens d'Auvergne. Mais passons.

 Ce qui m'intéresse dans l'affaire, ce n'est pas tant les propos du sieur Hortefeux ni même les réactions qui ont suivi. A ce niveau, rien de nouveau, puisque chacun a joué son rôle à la perfection. C'était une partition bien réglée. Ceux qui devaient s'indigner se sont indignés ; ceux qui devaient disculper le mis en cause l'ont fait, y compris la Licra étonnamment prompte à classer l'affaire tandis que ceux qui devaient logiquement chercher à profiter de la polémique ne se sont pas gênés à commencer par le Conseil français du culte musulman (CFCM), toujours à l'affût pour faire croire qu'il représente quelque chose sur l'échiquier politique français, et qui s'est fait une publicité bienvenue en invitant Hortefeux à un iftar (voilà un mot qui commence à faire son bonhomme de chemin dans le langage courant).

 Non, le plus important dans l'affaire Hortefeux, ce sont les propos qui ont amené les siens. Qu'entend-on dans la vidéo en question ? Il y a d'abord une voix d'homme qui s'adresse au fameux Amine (mais pourquoi avoir ajouté un e à son prénom ?) en le présentant de la sorte : «C'est l'intégration ça, c'est l'intégration ça...». Vient ensuite une voix féminine qui présente le dit Amine à Hortefeux en disant : «il est comme nous... il est comme nous... il mange le cochon et il boit de la bière...» Et c'est là qu'Hortefeux se laisse aller en lançant «il ne correspond pas du tout au prototype, alors...»

 Manger «le» cochon et boire de la bière ? Est-ce là le prototype du vrai français ? Le modèle qui peut servir de référence calibrée pour le ministère en charge de l'identité nationale ? Doit-on en conclure qu'on est un mauvais ou un faux français si on ne mange pas de porc et si on ne boit pas de bière ? Je connais des dizaines de Franco-Maghrébins qui n'ont aucun problème pour taquiner toutes sortes de bouteilles mais qui n'accepteront jamais de goûter le moindre morceau de charcuterie. Sont-ils eux aussi à mettre dans le lot de ceux qui ne correspondent pas au prototype ? Manger du porc, c'est ça s'intégrer ? Est-ce pour cela qu'une association avait tenté il y a quelques années de distribuer de la «soupe au cochon» avant d'être rappelée à l'ordre par le Conseil d'Etat ?

 Je me suis retrouvé un jour à un dîner où tout n'était que charcuterie. Impossible de ruser. J'avais le choix entre me taire ou me distinguer en demandant un oeuf au plat. J'ai préféré ne rien dire. Par la suite, j'ai appris à faire en sorte que cette question du porc ne devienne pas une gêne pour moi comme pour les autres. Au travail, quelques mots discrètement glissés au cuisinier qui préparait les repas pour les séances de brainstorming ont suffi pour avoir un plat sans porc. Une invitation à dîner ? Il suffit de l'accepter en rappelant, l'air de rien, que walou cochon. C'est toute une manière de vivre avec les autres sans pour autant adopter d'attitude ostentatoire ou véhémente. Bien sûr, il arrive parfois qu'au restaurant, les haricots verts accompagnant l'entrecôte soient ficelés avec du lard. On peut alors héler le serveur ou les mettre de côté en dominant son haut-le-coeur...

 «Tu sais que tout est bon dans le cochon ?». Que de fois ai-je entendu cette phrase prononcée sur le ton du gentil reproche. J'ai toujours peiné à trouver une réponse polie jusqu'à ce que j'écoute une émission de radio en juin dernier (1). L'invité, l'historien Michel Pastoureau, y avait longuement parlé du cochon, rappelant que les Egyptiens, les Juifs puis les Musulmans ont interdit sa consommation et que même le christianisme s'est longtemps méfié de cet animal. Auteur d'un ouvrage passionnant sur ce thème (2), l'universitaire a aussi apporté des précisions étonnantes pour ne pas dire dérangeantes.

 Selon lui, les chercheurs sont d'accord aujourd'hui pour dire que l'interdiction ne provenait vraisemblablement pas du caractère jugé impur de l'animal. Bien au contraire, c'est peut-être pour sa très grande similitude biologique avec l'homme que certains de nos lointains ancêtres ne mangeaient pas de porc. Une similitude confirmée par la science et aussi, c'est plus anecdotique mais plus impressionnant, par des témoignages d'anthropophages qui ont expliqué que la chair humaine avait le même goût que celle du porc. Et c'est désormais ce que je raconte quand on me demande pourquoi je me refuse un bon jambon beurre. Vous comprendrez pourquoi il est inutile que je décrive le silence songeur qui s'installe alors autour de la table...



(1) 2.000 ans d'histoire, 26 juin 2009.

(2) «Le cochon, histoire d'un cousin mal aimé», Gallimard, coll. Découvertes, 160 pages, 13,9 euros.






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