Algérie

«Hors-la-loi ou l'histoire falsifiéeb de la Fédération de France du FLN»



Par Linda Amiri (*)

Dans le second volet de sa saga algérienne, Rachid Bouchareb prend pour cadre historique  la guerre d'indépendance, un sujet déjà porté à  l'écran par bien des réalisateurs. Parce qu'il tend à  dévoiler une histoire peu connue du grand public, celle de la Fédération de France du Front de libération nationale, ce long métrage marque un tournant dans l'histoire du cinéma. C'est peut-être là le seul mérite du réalisateur, car au-delà des images se pose la question de la fiabilité historique de son  scénario. Tout cinéaste, tout artiste a la liberté de traiter des faits historiques comme bon lui semble.
Cependant, Rachid Bouchareb ne présente pas Hors-la-loi comme une simple fiction mais comme «un devoir de mémoire» et c'est là que le bât blesse : chaque séquence historique comporte des erreurs d'interprétation, des anachronismes et des omissions. Du volet métropolitain de cette guerre, ce réalisateur talentueux ambitionne de tout évoquer : l'implantation des premières cellules FLN en France, la guerre civile qui l'opposa au Mouvement national algérien, l'organisation politico-administrative (nidham) et militaire (Organisation spéciale et groupes de choc) de la Fédération de France du FLN, ses réseaux de soutien, sa violence, mais aussi la répression, la guerre des polices, la Main rouge… Son intention est louable, mais faute de maîtriser son sujet, Rachid Bouchareb se perd dans la chronologie, confond les faits historiques et  ne semble pas avoir compris ce qu'implique la clandestinité en tant de guerre et encore moins ce qu'était la Fédération de France du FLN et le cloisonnement qui y régnait. Comment, en effet, ne pas esquisser un sourire devant  cette scène surréaliste où le personnage d'Abdelkader, censé àªtre un cadre du FLN recherché par toutes les polices, invite un commissaire de la DST à Â  travailler pour le compte du FLN et tout cela dans un café, au vu et au su de tous ! Comment ne pas s'offusquer lorsqu'il fait dire à  un cadre du FLN la terrible phrase de Maurice Papon : «Pour un coup donné, nous en porterons dix !» De la guerre d'indépendance en France, Rachid Bouchareb nous dresse un tableau confus, car désincarné de toute réflexion politique. Les militants indépendantistes sont assimilés à  des hommes sanguinaires, sans foi ni loi, qui placent la violence au-dessus du combat politique. Quant à  la répression policière, là encore que d'erreurs ! L'histoire de la Fédération de France du FLN est falsifiée au profit d'un récit mièvre. Tandis que ses acteurs principaux peinent à  donner du relief à  leurs personnages – à  l'exception peut-être de Djamel Debbouze –,  le réalisateur néglige les rôles secondaires : le MNA est évoqué trop rapidement et de manière caricaturale. Les militants messalistes sont réduits à  une masse silencieuse avec pour seul porte-parole un commerçant bien portant. En simplifiant la terrible guerre civile qui opposa le FLN au MNA en France, Rachid Bouchareb tombe dans la caricature et multiplie les erreurs historiques.
Hélène, le personnage censé représenter les femmes françaises des réseaux de soutien, est une jolie blonde romantique qui compte tranquillement l'argent des cotisations avec ses amis français, au milieu d'un théâtre vide… Un tel choix scénaristique dénature l'engagement des «porteurs de valises» et les fait passer pour de doux rêveurs peu inquiets des règles de la clandestinité. Pourtant, dans cette histoire commune qui lie l'Algérie à  la France, ce sont eux qui, par leur conscience politique et leurs actions, ont permis de construire des parcelles de compréhension entre les deux peuples. Ce film ne leur rend pas justice. Rachid Bouchareb cantonne les Algériennes dans des rôles de ménagères effacées ou cupides (tel le personnage de l'épouse du collecteur qui aurait poussé son mari à  détourner l'argent des cotisations pour acheter un frigo !). Sait-il que les femmes immigrées ont participé activement à  la lutte de libération ' Que certaines d'entre-elles étaient dans l'Organisation spéciale ' Qu'elles ont vécu la clandestinité et la prison ' La longue liste d'erreurs historiques, de contresens et d'omissions fait que l'on ressort de la projection révolté par tant d'ignorance.  Vouloir traiter huit ans d'une guerre dans toute sa complexité en un peu plus de deux heures était un exercice périlleux que Rachid Bouchareb n'a pas su relever. Qui trop embrasse mal étreint… On aurait aimé qu'il prenne le temps de construire ses personnages, qu'il prenne le temps de comprendre son sujet avant de le porter à  l'écran. Car il avait là un très beau projet cinématographique. Hors-la-loi décevra les initiés, toutefois s'il peut contribuer à  relancer le débat sur le rôle de l'immigration algérienne dans la guerre d'indépendance, il n'aura pas été tout à  fait vain. Pour le reste, il doit àªtre vu pour ce qu'il est : un mauvais polar.
(*) Historienne
 Institut d'études politiques
de Strasbourg


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