Algérie

Hors-jeu !



Il est encore trop tôt pour l'affirmer mais on peut se demander si la fuite piteuse du président Ben Ali est le signe annonciateur de la perte d'influence de la France au Maghreb. En effet, jusqu'au bout, les autorités françaises ont cru que le régime du président déchu allait surmonter la colère populaire et trouver une échappatoire. De même, jusqu'à vendredi matin, le personnel politique français, dans sa grande majorité, restait persuadé que la décision de Ben Ali de ne pas se présenter aux élections présidentielles de 2014 suffirait à calmer les revendications des Tunisiennes et des Tunisiens. Plus étonnant encore, il semble bien que la diplomatie française n'a rien vu venir. Non seulement elle n'a pas prédit ces bouleversements mais elle s'est aussi révélée incapable de décoder les nombreux signaux en provenance de la société tunisienne depuis plusieurs années, notamment la montée en force de la cyber-dissidence, sans oublier la multiplication d'émeutes à la sortie des stades de football.

 Certes, hier, la France officielle a semblé enfin se réveiller. Paris a ainsi annoncé, dans un communiqué, avoir pris «les dispositions nécessaires pour que les mouvements financiers suspects concernant des avoirs tunisiens en France soient bloqués administrativement». Les autorités françaises, qui auraient aussi refusé à Ben Ali l'asile dans l'Hexagone, se seraient aussi déclarées à «la disposition des autorités constitutionnelles pour répondre, sans délai, à toute demande sur des avoirs tunisiens en France». Une indication qui laisse à penser que les avoirs de Ben Ali ainsi que de sa famille et belle-famille, auraient été gelés. Plus important encore, le communiqué qui a été publié à l'issue d'une réunion interministérielle à l'Elysée, indique également que la France «apporte un soutien déterminé» à «la volonté de démocratie» du peuple tunisien. Dans le même temps, le communiqué tente de justifier la position française, qualifiée de lâche par de nombreux éditorialistes parisiens, en rappelant que «la politique de la France est fondée sur deux principes constants : la non ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat souverain, le soutien à la démocratie et à la liberté». Des explications bien tardives et qui ne devraient guère convaincre tous ceux qui ont reproché à Paris son silence complaisant vis-à-vis du régime de Ben Ali.

 Car l'histoire retiendra que ce silence est longtemps resté assourdissant y compris au cours de ces derniers jours. De fait, ce n'est que le 13 janvier, c'est-à-dire la veille de la fuite de Ben Ali, que le Premier ministre français François Fillon a finalement osé dénoncer «l'utilisation disproportionnée de la violence» par les forces de l'ordre tunisiennes. Des propos timides, à peine critiques mais bien plus acceptables que ceux prononcés, deux jours auparavant, par Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères. Cette dernière avait proposé l'expertise française en matière de maintien de l'ordre à la Tunisie mais aussi à l'Algérie... Une formule aussi vague qu'indécente, au moment où des dizaines de Tunisiens étaient abattus par les sbires du régime de Ben Ali.

 Dans le même temps, et à l'inverse de la France, les Etats-Unis ont joué un rôle actif qui n'est pas étranger à la chute de Ben Ali. Le 7 janvier à Washington, le département d'Etat convoquait l'ambassadeur tunisien pour dénoncer «les ingérences de l'Etat tunisien sur Internet, particulièrement sur Facebook». Pour mémoire, dès la montée de la contestation, les autorités de Tunis ont tenté de saboter les comptes Internet de cyber-dissidents. De son côté, Hillary Clinton avait déclaré, le 11 janvier, à la chaîne Al Arabiya, que les peuples arabes souffraient d'être dirigés par des leaders corrompus tout en appelant le gouvernement tunisien à s'engager dans une «solution pacifique». Enfin, vendredi soir, Barack Obama a salué avec émotion le courage du peuple tunisien et déclaré que ce dernier avait le droit de choisir ses dirigeants.

Plus important encore, cet engagement étasunien ne semble pas s'être limité à de simples déclarations. Selon plusieurs sources, les autorités américaines ont incité l'armée tunisienne à ne plus soutenir le régime et à accélérer sa chute. C'est ce qui explique pourquoi les militaires tunisiens n'ont pas ouvert le feu sur les manifestants et que, dans de nombreuses circonstances, ils aient même obligé les policiers à cesser leurs tirs. L'avenir dira donc si la Révolution des Jasmins a marqué à la fois l'enclenchement d'un processus menant à la démocratie dans le Maghreb et au déclin de l'influence française dans cette région.




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