Hommages

«La gratitude, comme le lait, tourne à l'aigre, si le vase qui la contient n'est pas scrupuleusement propre.» Rémy de Gourmont
Accrocher une médaille ou une quelconque autre distinction au revers d'un vêtement d'un individu, exprime en général la reconnaissance ou l'admiration d'une collectivité ou d'une institution envers un citoyen ou envers une association (cela arrive quelquefois). C'est la manière la moins onéreuse de récompenser les mérites de quelqu'un puisque le prix qu'on offre est simplement symbolique même si la cérémonie peut paraître grandiose et mobilise parfois une foule de gens.
Cependant, la décoration (on appelle cette cérémonie décoration parce que l'on orne une poitrine d'un accessoire qui ressemble à un bijou) peut être l'instrument ou la conséquence d'une activité politique donnée: un régime ne donne pas une distinction à ses opposants ou bien, s'il le fait, c'est dans des conditions exceptionnelles. Ainsi, le grand poète et écrivain, Louis Aragon, n'a reçu la Légion d'Honneur que peu de temps avant sa mort, après une vie faite de combats et de résistance. Le président de la République française, François Mitterrand, lui avait murmuré en lui accrochant la médaille: «C'est beaucoup et c'est trop peu!» Il voulait ainsi expliquer que cette distinction était exceptionnelle mais que les mérites et la stature du poète politique dépassaient cette décoration. La couleur politique de l'écrivain avait été un obstacle à toutes sortes de distinctions. Le célèbre écrivain billettiste de l'Humanité, André Wurmser l'avait déploré dans un pamphlet resté fameux: ceux qui s'attaquent aux puissances de l'argent ont peu de chance d'arriver à l'Académie française. C'est la raison pour laquelle des écrivains fortunés et non-conformistes ont créé d'autres distinctions pour lutter contre cette ségrégation politique. Comme l'ont remarqué des gens perspicaces, les prix Nobel ont surtout été attribués aux chercheurs et gens de lettres du monde occidental: quand un homme du bloc de l'Est se voyait invité à Stockholm, on peut être sûr qu'il est dissident. Boris Pasternak (Le Docteur Jivago), Alexandre Soljenitsyne et Sakharov, des dissidents bien connus, reçurent ce prix alors que seul un communiste orthodoxe, Mikhail Cholokhov en put être distingué.
D'un autre côté, le régime soviétique fut aussi le champion des décorations: pour stimuler les travailleurs à dépasser les normes de travail, le régime institua des prix pour récompenser ceux qui battaient les records établis: comme dans les disciplines sportives! La Seconde Guerre mondiale (la Grande Guerre patriotique comme l'appelaient les Russes) avait provoqué une inflation de médailles: les militaires russes, en habit d'apparat, avaient les poitrines bardées de décorations multicolores qui faisaient ressembler ces anciens combattants aux arbres de Noël. Trop d'amour tue l'amour! Cela est valable dans tous les domaines! Mais ce qui est triste est de voir le sacrifice de certains reconnu seulement après leur décès: c'est le cas des soldats français morts en Afghanistan ou de gendarmes tués en service: après un discours émouvant du ministre de tutelle ou du président de la République et des paroles de consolation pour les proches des défunts, on épingle une médaille sur les catafalques exposés! Il faut rappeler que les soldats français tués ou blessés pendant la Guerre d'Algérie n'ont été reconnus que très tardivement comme victimes de guerre.
C'est la même chose qui se passe pour certains artistes de chez nous: ignorés pendant toute une existence, ils ne sont reconnus qu'une fois qu'ils ont un pied dans la tombe. A quoi bon organiser de splendides funérailles pour quelqu'un à qui on a fait manger de la vache enragée toute sa vie'