Algérie - Maternité

Hommage aux sages -femmes traditionnelles: les quablates.



Hommage aux sages -femmes traditionnelles: les quablates.
Vingt - troisième Khaldiya

Khaldiya N° 23

Hommage aux sages -femmes traditionnelles 'el quablates' qu'on appelait h'ennana ...

Une fois n'est pas coutume, cette khaldiya N° 23 débutera par un poème que j'ai écrit en l'hommage de ces braves et nobles femmes, ces quablates que nous appelions toutes et tous h'enna!

Poème dédicacé aux Quablates, Allah yerhame'ham

« Femmes ayant accompagné nos mères, nos sœurs,

J’ai , pour vous, une tendre pensée, du fond du cœur !

Grands - mères d'un matin, s'un soir, d’une nuit, d’un jour,

Vous resterez nos grands'mères ,celles de toujours !

Devant la douleur de l'accouchement , vous aviez un savoir-faire,

Devant la parturiente, vous exerciez un art auprès des mères !

Votre présence rassurante et compétente était un soutien,

Votre « aura » brille,dans nos coeurs et nos esprits, dans le Bien.

Nous vous devons beaucoup, la vertu et la reconnaissance.

A vous, qui assistiez avec expérience et dextérité,les naissances,

Hommage à leur doyenne, H'enna Mekkia

A Hanna El Azzaouiya,et h'enna Fatima,

Et toutes les autres qui ont officié à Nemours,

Ghazaouet,dans les douars, ville et alentours.

Excusez - moi de ne pas les, nommer, ici, toutes , ces braves

Qui ont accompagné des naissances, dans des moments graves.

Qui ont oeuvré avec respect et y sont bien parvenues.

A Ghazaouet, à toute une population, une époque, vous aviez appartenu,

Vous, qui souhaitiez, avec joie, les premières, l'accueil et la bienvenue

A tous les bébés nouveaux - venus !

Personne ne vous oubliera, Mémoires »,

D’une ville, mémoires des familles, Femmes de l’espoir.

Que Dieu Le tout Puissant vous rétribue et pai x à votre âme !

Vous avez été et êtes pour nous toutes, tous, de grandes Dames ! »

Khaled SIDHOUM



Aujourd'hui, place à un hommage particulier. D'abord , il s'adresse par ce poème ci -dessus inséré et ce texte, à des Dames et quelles Dames !

Ces figures féminines locales qui ont écrit leur histoire dans la mémoire collective de la cité des Deux Frères et des Deux Soeurs et ses environs en exerçant , dans les années 50, 60 et 70, un métier noble, une fonction sociale, paramédicale, gynécologique des plus hautes . Il s'agissait, en effet, d'accompagner nos mères à accoucher dans les meilleures conditions et aux bébés d'arriver dans ce monde, certes en criant mais en étant entre de très bonnes mains'ayadi a'amina'.

Ce sont ces quablâtes (quabla , qui accepte, qui reçoit et qui accompagne) qui vont effectuer un ensemble de préparatifs, au domicile où elles intervenaient : comme brûler de l’encens dans la chambre afin d'éloigner les mauvais esprits. Afin d'augmenter les contractions, elles étaient amenées à préparer des tisanes, masser la mère qui sera soutenue par d'autres femmes au moment crucial. Parfois, une corde suspendue à une poutre du plafond servait à la mère , durant l'accouchement. Pendant que les voisines et proches qui assistaient à l'événement étaient loquaces, racontant des histoires, des anecdotes pour détendre l'atmosphère, réconforter la mère, l'encourager et lui faire'oublier , supporter sa douleur', la quablâ, la maitresse du moment restait concentrée tout en opinant de la tête esquissant quelque sourire

La parturniente vit le moment. Elle avait déjà défait ses longs cheveux, enlevé la ceinture, ôté tous ses bijoux pour se libérer ainsi toute 'idée de fermeture et se laisser aller'. Elle se sépare ainsi, symboliquement des liens qui la rattachent à la vie pour donner la vue à un un être cher, le bébé tant attendu ou à des jumeaux . A cette époque, point d'échographie, c'est au moment crucial que la quablâ pratique et annonce la couleur !

H'enna El Aazaouiya, faisait partie des sages - femmes qu’on appelle « nos grand’mères affectueusement, l’appellation « grand’mère » accolait impérativement et respectueusement à leur nom ou prénom. C’est dire tout le respect que petits et grands leur portaient. Que ce soit H'enna Mekkya d'El Djarf, ou Hanna El Azzaouya, ou une autre du quartier de l'Ile , et bien d'autres (dont je ne connais pas les nom, mille excuses!) dans plusieurs quartiers et villages, elles étaient connues de toutes et de tous. Certaines avaient un tatouage sur le visage : pas un dessin, ni un slogan, juste un ou plusieurs traits ,quelques points, un motif fin sur le front ou au niveau du menton, comme ça se faisait, à l'époque ...

H'enna El Azaouiya était la sage - femme traditionnelle ,celle qui aidait à la mise au monde, l'accompagnatrice à tout accouchement . Habitant à Oued El Bir , Sidi Amar, elle était notre voisine. Elle était appelée partout ailleurs , à tous les moments, par tous les temps, même quand il y avait le couvre - feu, à ses risques, elle se déplaçait devant l'urgence sinon, elle venait dormir dans le domicile de l'intervention, dès la nuit tombée afin d'être sur place, si elle était prévenue bien à l'avance de l'imminence d'un accouchement.

H'enna Fatima (Kebbati épouse Siba) était aussi une quablâ connue à Ouled Ziri. Une dame frêle mais experte. Elle se déplaçait dans les villages environnants et périphériques . Dévouée, humble, elle était au service d'autrui, nuit et jour, prompte à faire son devoir d'accoucheuse rurale. Ses massages , disent les femmes qui étaient passées entre ses mains, procuraient un apaisement et un réconfort certains. Elle s'y connaissait bien. Allah yerhameha !

H'enna Mekkya (Bezzeghoud) , quant à elle, habitait la ville, El Djarf, elle était très connue , beaucoup sollicitée sur un grand périmètre et répondait à toutes les demandes . A elle seule, c'était une 'institution', une 'référence'. Elle a aidé à mettre au monde un nombre impressionnant d'enfants à la grande joie des familles comme ses consoeurs d'autres quartiers et villages. Qui n'a pas grimpé ces escaliers particuliers pour arriver chez les Bezzeghoud pour un appel d'urgence et une intervention immédiate, la nuit, comme le jour ? Elle a été une femme exemplaire, courageuse, adroite, compétente en affrontant des situations que nous imaginons parfois tendues et qui laisseraient perplexes, aujourd'hui, nos jeunes sages - femmes , certes formées...

Il faut le dire ces grandes Dames , souvent âgées, très pieuses, avaient en plus de la compétence, la foi, l'expérience, l'expertise, la psychologie, l'art et la manière. Elles pratiquaient l'accouchement, sectionnait le cordon ombilical , connaissaient la mesure avec 'quatre travers de quatre doigts et elles ligaturaient au 'fil de laine de couleur rouge -symbole de la vie-'. Suivaient les massages dont celui du périnée avec le savon, l'huile d'olive , massages immédiats (et quelques jours plus tard) pour 'repositionner les organes qui auraient pu bouger, procédait à des bandages de couleurs choisies (le blanc pour la pureté). Tout cela dans une ambiance studieuse où des femmes sont réunies pour assister, accompagner, prier avec celle qui va donner naissance à une vie. L'ambiance est assez grave puis ne dit-on pas que «l'accouchement est un rite de passage à la frontière de la vie et de la mort » . Quand enfin , on entendait les femmes dire 'el Hamdoullah elli esselektti', tout le monde respirait et des youyous fusaient. C'était la joie!

Allah yerham bi Rahmatihi el oissiaa , ces braves Dames et yassekineham el Djenna incha Allah!

Quand le travail commençait, elles étaient déjà là, ne rechignant point de venir même la veille ou quelques heures avant lorsque la situation l’exigeait. Elles n'observaient pas le repos dominical ni avaient des congés, toujours en état d'alerte et prêtes au service .Elles avaient une présence rassurante, un savoir-faire inégalable ! Elles possédaient l’art de consoler, de rassurer, de féliciter, de faire la conversation avec chacun. Humbles, modestes, pieuses, discrètes et mûres, elles avaient atteint un tel degré de professionnalisme que peu de personnes se posaient de questions sur d’éventuels risques durant leur accompagnement des accouchements.En ces temps - là, tous les accouchements se faisaient à domicile, du moins dans nos villages.

Pourtant, à Ghazaouet, à l’heure où toutes les femmes ou presque, accouchaient à domicile, l’on disait, « que la femme qui accouche a un pied ici et un pas ailleurs, voire dans latombe » Tant le fait de mettre au monde n’était pas, comme maintenant, un acte on ne peut plus, maîtrisé, pour peu qu’il soit bien suivi… Mais, avec elles, tout allait bien

Elles bravaient le mauvais temps, la nuit noire et même le couvre-feu parfois, pour venir répondre aux urgences. Au petit matin, elles étaient là, dans la journée, le soir, revenant voir les parturientes, s’enquérir de leur état… Elles n’avaient pas d’heure pour être au service d’autrui.Leur vie était un sacerdoce, une vie vouée à autrui aussi elles étaient chéries et aimées, respectées et bien reconnues, invitées partout et honorées…

Allah yerhameham!

Je ne terminerai pas quand même sans adresser un salut et tous nos encouragements à ces jeunes et anciennes sages - femmes de notre époque, qui se sont formées dans le secteur pour intervenir en milieu hospitalier. Les conditions ne sont plus les mêmes, les techniques se sont renforcées avec l'aide des moyens para médicaux et chirurgicaux, pré et post -maternité, le travail en équipe avec l'obstétricien . Elles ont choisi un métier difficile, responsable mais combien valorisant quand des enfants viennent dans ce monde, en bonne santé et naissent dans de bonnes conditions. Puissent - elles, à l'image de leurs aînées être de 'bonnes mains' et suivre l'exemple données par 'les quablates traditionnelles' , en leur temps .

Par Khaled SIDHOUM

Juin 2017

[Ce texte est tiré de mon 1er livre 'le daron, un père entre les deux rives ' 494 pages, réédité en décembre 2016 mais adapté, réécrit , réactualisé , revu presque intégralement pour cette présente Khaldiya, le Poème a été aussi modifié, enrichi par rapport à celui figurant , à l'origine, dans mon livre.]

Photos extraites du site Internet [https://www.google.fr/search?q=accoucheuses rurales, maghreb, image].

[Ces photos ne représentent aucune des personnes concernées, c'est juste pour illustrer le thème des quablâtes. ]


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