Algérie

HOMMAGE André Mandouze : un pédagogue militant



HOMMAGE André Mandouze : un pédagogue militant
Publié le 02.12.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie

Par Ahmed Tessa, pédagogue-auteur

Il y a de cela une quinzaine d’années, la Bibliothèque nationale du Hamma d’Alger organisait un hommage à un ami et militant de la cause de libération de l’Algérie. Ici, un rappel pour permettre aux jeunes générations de connaître un homme de valeur de la trempe d’André Mandouze. Dans la modestie qui sied tant aux grands, le défunt – décédé en juin 2006 – n’a jamais claironné son soutien à la libération du peuple algérien du joug colonialiste.
C’est de la bouche de ses amis et de ses anciens élèves que l’on a appris son «courage téméraire» – pour reprendre les termes de feu M. Hassani – le beau-frère de Larbi Ben M’hidi. En effet en pleine bataille d’Alger, en 1955, la revue Consciences Maghrébines dont il était directeur répercutait les tracts du FLN que Ben M’hidi et Abane Ramdane rédigeaient dans le secret de leur cache à la Casbah.
Mais outre les témoignages élogieux sur ses qualités de pourfendeur du colonialisme et de tenace défenseur des idées de liberté et de fraternité, il fut aussi un homme de foi, selon Monseigneur Teissier.
Les regrettés Mahieddine Malti, inspecteur de français, Madame Chaulet, professeur d’université, tous deux, ses anciens élèves ainsi que Ali Haroun et feu Lamine Khéne, anciens ministres et étudiants à l’époque, se sont succédé au micro pour restituer des moments forts – et ô combien émouvants – du Professeur de latin.
C’est en cette qualité qu’André Mandouze débarqua à Alger en 1946. D’emblée, il se distingua par ses rapports conviviaux avec ses étudiants.
À l’époque, la majorité des enseignants – tous cycles confondus – imposaient sévérité et froideur à leurs élèves. C’était la pédagogie du béton au propre comme au figuré.
Les examens de passage à répétition dès le primaire en étaient les symboles à côté du bonnet d’âne, du piquet et autres souvenirs douloureux — quoique attendrissants de nostalgie pour certains. Au niveau de l’université, les étudiants algériens se sentaient étrangers. Les comportements des enseignants, à la limite du rejet, les excluaient des décors. Ali Haroun a décrit l’image, tenace malgré le temps, de ces professeurs en robe rouge qui officiaient à la Faculté de droit d’Alger avant le déclenchement de la guerre.
Dès l’apparition de l’homme en rouge par une porte à lui seul réservée, les étudiants se levaient, obéisssant au doigt et à l’œil pour applaudir. Ils refaisaient le même geste des deux mains à la fin du cours et le professeur sortait sans un regard ni salut en direction de son auditoire.
Secs et sans âme, telles des statues : on les appelait les «mandarins du savoir», isolés dans leur bulle céleste et sourds aux pulsions de leurs ouailles.
Leur sort fut scellé en mai 1968 lors de la célèbre révolte estudiantine qui enflamma la France jacobine et certains pays d’Europe.
Si l’écrasante majorité de ses collègues cultivait ce mandarinat, le Professeur Mandouze, lui, affectionnait la proximité, la confiance et le respect mutuel avec ses étudiants. Son sens de l’écoute et de la communication déteignait sur ses méthodes pédagogiques. Il était un fervent adepte des méthodes actives qui l’amenaient à se placer en bas du piédestal construit par ses pairs de la vieille école. Il organisait des sorties pédagogiques à Tipaza et Tikjda au bénéfice de ses étudiants.
Il adaptait de la sorte au régime universitaire les pratiques novatrices d’un autre pédagogue d’envergure universelle : son compatriote et instituteur Célestin Freinet, lui aussi militant humaniste et homme de progrès.
À l’actif de ce dernier, les classes promenades, la bibliothèque coopérative, le conseil des élèves, la correspondance interscolaire, le texte libre, l’imprimerie à l’école furent (elles le sont toujours et plus que jamais) les axes majeurs d’une pédagogie libératrice du génie enfantin.
Le maître d’école n’était pas le seul détenteur du savoir. Quasi contemporain de Freinet, Mandouze, normalien — ne l’oublions pas –, a baigné avec délectation dans ce climat d’avant-garde où éducation rimait avec liberté et solidarité entre les hommes. Il refusait le statut et les contraintes hypocrites du fonctionnariat. Un révolté ? Certainement. Toutefois, il ne se contentait pas du verbe — quoique il l’avait percutant et persuasif. Il agissait, et de quelle façon !
Toujours dans le souvenir, ses anciens étudiants ont mis en valeur la symbiose entre son militantisme pédagogique et son engagement politique. Nombreuses furent ses conférences de sensibilisation aux idées de liberté données en dehors des amphithéâtres universitaires – dans des salles de cinéma entre autres. Les étudiants et lycéens – des musulmans et quelques Européens – constituaient son assistance assidue.
Les étudiants racistes et farouches anti-algériens avaient à chaque conférence essayé de provoquer le Professeur de latin. Et à chaque fois ce sont les étudiants algériens qui l’avaient défendu physiquement.
Détesté par une catégorie de ses pairs coloniaux, persécuté par l’administration coloniale, il fut arrêté et emprisonné pendant plus de 40 jours (novembre 1956) pour son soutien indéfectible à la cause du peuple algérien. Il quitta l’Algérie en pleine guerre pour la retrouver en mars 1963 en tant que premier directeur de l’enseignement supérieur de l’histoire du pays. Un poste qu’il occupa pendant dix mois avant de reprendre son poste de professeur de latin à l’Université d’Alger. À l’époque, les langues étrangères, les sciences et la modernité ne posaient pas encore problème à la conscience de nos décideurs. Pas pour longtemps, puisque le ver était déjà dans le fruit.
À ce jour, un secret de Polichinelle entoure les vraies raisons de la démission de A. Mandouze de son poste de recteur de la seule université du pays : il refusait de signer des équivalences à des diplômes/diplômés frelatés ramenés du Moyen-Orient. Ce geste fort – rares sont les Algériens qui démissionnent de leur poste — annonce les signes avant-coureurs d’un bétonnage idéologique du système éducatif algérien. Nous en payons aujourd’hui encore le prix. Ce qui fera dire au président Tebboune : «Il faut éloigner l’école de toute idéologie.»
A. T.



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